Sarah Halimi : Désaccord après une commission d’enquête parlementaire mouvementée
La rapporteure LREM affirme que "les règles de notre état de droit" ont été respectées dans la procédure ; Meyer Habib, président de la commission d'enquête, affirme le contraire
Le président UDI de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale pointe des « dysfonctionnements abyssaux » de la police et de la justice dans l’affaire Sarah Halimi, la rapporteure LREM assure que les règles ont été respectées : le désaccord persiste, quatre ans après le meurtre de cette sexagénaire juive.
Le déroulement de cette commission d’enquête a cependant été critiqué, son président Meyer Habib ayant certes affirmé ne pas vouloir « remettre en cause la décision de justice » mais s’étant fait rappeler à l’ordre à plusieurs reprises par le président de l’Assemblée.
Il n’y a pas eu de procès dans cette affaire qui a suscité une vive émotion. La Cour de cassation, tout en entérinant le caractère antisémite du crime, a confirmé en avril dernier l’irresponsabilité pénale du meurtrier, gros consommateur de cannabis, pris d’une « bouffée délirante » lors des faits.
Depuis, à la suite d’une commande d’Emmanuel Macron, le Parlement a voté en décembre une réforme du régime d’irresponsabilité pénale, pour prévoir deux exceptions très encadrées à la règle selon laquelle « on ne juge pas les fous ».
Les parlementaires sont remontés aux faits eux-mêmes et à l’instruction, dans le cadre d’une commission d’enquête diligentée depuis septembre par le groupe UDI.
« Il est sain de ne pas juger les fous, mais Kobili Traoré l’était-il vraiment ? », a lancé devant la presse mercredi Meyer Habib, élu franco-israélien.
Aux côtés de Constance Le Grip (LR) et François Pupponi (MoDem), il a plaidé la préméditation du meurtre – qui ferait « tomber » l’irresponsabilité – et affirmé que « comme dans l’affaire Dreyfus, rien ne pourra arrêter la vérité ».
Les travaux de la commission d’enquête parlementaire Sarah Halimi sont terminés. Après trois mois intenses, difficiles…
Posted by Meyer Habib on Tuesday, January 11, 2022
Selon ces députés, les policiers arrivés sur place la nuit du drame auraient dû pénétrer dans les lieux plus rapidement. Mais la rapporteure LREM Florence Morlighem évoque un « respect strict de la doctrine d’intervention ».
Selon une information du Parisien datant de mai dernier, l’assassin de Sarah Halimi a quitté depuis plusieurs mois l’unité pour malades difficiles (UMD) où il avait été admis. Il reste néanmoins toujours hospitalisé sous contrainte et aucune date de sortie n’est encore prévue.
M. Habib déplore aussi qu’il n’y ait pas eu de reconstitution des faits lors de l’instruction judiciaire, ni d’exploitation des téléphones de M. Traoré. Il épingle les demandes successives par les juges d’expertises psychiatriques du meurtrier alors que la première, qui concluait à une simple altération du discernement, satisfaisait les parties.
La rapporteure affirme de son côté que « les règles de notre état de droit » ont été respectées, à l’unisson du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti qui avait été auditionné.
« L’absence de dysfonctionnement grave n’exclut pas que de meilleures décisions auraient pu être prises ni que certaines règles ne pourraient pas évoluer pour répondre à des situations similaires à celles-ci », souligne-t-elle en formulant 12 propositions.
Mme Morlighem avait succédé en novembre au précédent rapporteur Didier Paris (LREM), qui avait démissionné pour contester la divulgation par M. Habib du contenu d’une audition à huis clos sur les réseaux sociaux, avec des commentaires remettant en cause les propos tenus.
Anne Ihuellou, magistrate, vice-présidente de l’instruction dans l’affaire Sarah Halimi, avait été interrogée par la commission en novembre dernier. Pendant l’audience, Meyer Habib avait affirmé constater « qu’il y a des zones d’ombre et des questionnements dans la manière dont cette enquête a été conduite ».
Elle a notamment été interrogée sur son refus d’organiser une reconstitution du crime, suite à une expertise du Docteur Zagury, qui estimait qu’il y avait un « risque de rechute délirante » de la part de Kobili Traoré.
« Un expert psychiatre dit ‘on peut la faire’ [la reconstitution] et vous, vous dites ‘on ne va pas la faire !’ », avait regretté le député François Pupponi. « C’est difficile à organiser, une reconstitution. C’est un énorme travail ! », avait répondu la magistrate, invoquant également sa « surcharge » de travail. « Ce dossier était prioritaire, mais ce n’était pas le seul, on a fait au mieux en fonction de nos moyens », avait-elle déclaré.
Il lui avait aussi été demandé pourquoi elle n’avait pas entendu les voisins et témoins qui, depuis leurs fenêtres, avaient assisté à la mise à mort de la septuagénaire ; pourquoi il avait fallu dix mois pour reconnaître le mobile antisémite du crime ; pourquoi les proches et les fréquentations de Traoré n’avaient pas été mis sur écoute ; pourquoi l’endoctrinement islamiste de l’assassin avait été mis de côté, écartant d’emblée la piste d’un acte terroriste ; pourquoi elle ne s’était jamais rendue sur les lieux… À ces questions, Mme Ihuellou avait répondu en invoquant la règle de droit.
Anne Ihuellou a instruit l’affaire – en cosaisine avec sa collègue Laurence Lazerges – entre 2017 et 2019. Elles avaient estimé, dans leur ordonnance du 12 juillet 2019, qu’il y avait des « raisons plausibles » de conclure à l’irresponsabilité pénale de Kobili Traoré. La Cour de cassation a rendu définitive en avril dernier cette irresponsabilité pénale.