Snowden: Les Saoudiens ont éliminé Khashoggi grâce à la technologie israélienne
Le lanceur d'alerte et ex-employé de la NSA qualifie le groupe NSO israélien de "pire du pire", et a été accablé par un ancien du Mossad, désormais reconverti dans la surveillance
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Dans une allocution vidéo prononcée mardi devant un groupe de journalistes israéliens et d’autres invités, Edward Snowden, le lanceur d’alerte et ex-employé de la NSA en fuite, a critiqué le fleuron dans le secteur israélien de la cyber-surveillance, en adressant au NSO Group, basé à Herzliya, ses plus sévères critiques.
Suggérant un lien entre l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et l’utilisation présumée par l’Arabie saoudite du logiciel Pegasus du groupe NSO, Snowden a demandé au public israélien : « Comment se fait-il que… les industries des pays développés utilisent leurs pouvoirs non pour sauver des vies mais pour faire de l’argent à un tel point et à un tel niveau d’insouciance et d’irresponsabilité que cela commence concrètement à faire des victimes ? »
M. Snowden a décrit le Groupe NSO israélien comme « la pire des pires sociétés de cybersurveillance » et a déclaré que « toute son activité est basée sur l’idée de développer des outils de piratage informatique ».
Snowden s’est adressé à un parterre d’invités par vidéoconférence depuis Moscou lors d’un événement à Tel Aviv organisé par une agence de relations publiques israélienne, Orenstein Hoshen. L’auditoire était composé principalement de journalistes ainsi que de clients et de sympathisants de la société de relations publiques.
Le groupe NSO a fait l’objet de nombreuses controverses au cours des dernières années, le Citizen Lab, organisme canadien de surveillance de l’Internet, affirmant que le logiciel Pegasus commercialisé par la société est utilisé par un certain nombre de pays « dont les pratiques en matière de droits de l’homme sont peu reluisantes et dont les services de sécurité publique se sont rendus coupables de pratiques violentes ».
Pegasus infecte les téléphones des particuliers en leur envoyant des messages texte qui les incitent à cliquer sur une pièce jointe. Si la cible clique sur le lien, l’entreprise obtient le contrôle total du téléphone, y compris son contenu et son historique, et la possibilité d’activer son microphone et sa caméra à volonté.
« Le groupe NSO est une compagnie israélienne », a déclaré M. Snowden à l’auditoire de Tel Aviv. « Elle est basée à Herzliya. Pour beaucoup de gens dans l’auditoire, cela rend la situation beaucoup moins effrayante ; une grande partie de la peur se dissipe, parce que vous faites confiance à votre industrie plus qu’aux autres ».

Mais Snowden a invité l’auditoire à examiner comment les outils israéliens de cybersurveillance sont utilisés pour nuire à l’étranger.
« Dans le monde d’aujourd’hui, [le groupe NSO] est le pire des pires dans la vente de ces outils de vol qui sont largement utilisés actuellement par des acteurs plutôt malfaisants pour violer les droits de l’homme des dissidents, des opposants et des activistes », a-t-il dit.
Snowden a qualifié l’activité du groupe NSO de « sorte de prédation ».
« Ils envoient des liens à des journalistes mexicains, à des personnalités des médias, à des membres des forces de l’ordre, à des responsables de la santé publique et à des organismes anti-corruption. Pourquoi ? Comment ? Cette société à Herzliya ne sait même pas qui sont ces gens. Mais elle s’en moque, parce que ce n’est pas son problème. »
M. Snowden a déclaré à l’auditoire qu’il y avait des raisons de croire que le logiciel Pegasus du groupe NSO est lié au meurtre de Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie.
« Comment connaissaient-ils ses intentions ? Comment ont-ils décidé qu’il était quelqu’un contre qui ils avaient besoin d’agir et qu’il valait la peine de prendre le risque ? » a-t-il demandé.
« Et la réalité est qu’ils avaient mis sur écoute un de ses amis et contacts en utilisant un logiciel créé par une société israélienne. Nous ne connaissons pas la chaîne des conséquences parce que cette entreprise ne fera jamais de commentaires à ce sujet, mais c’est l’une des plus grosses histoires dont on ne parle pas. »
Snowden, un ancien sous-traitant de l’Agence de sécurité nationale américaine, a divulgué à la presse des milliers de documents classifiés en 2013, révélant l’étendue de la surveillance des données privées mise en place après les attaques du 11 septembre 2001.
Depuis, il vit en exil.
Les États-Unis l’ont accusé d’espionnage et de vol de secrets d’État, mais M. Snowden a déclaré qu’il aimait toujours son pays et qu’il espérait y retourner un jour.
Il a également déclaré à l’assistance que le fait qu’Israël espionne les Etats-Unis est un secret de polichinelle.
« Israël a un réel avantage technologique, en particulier dans ce genre d’opérations offensives. Même la NSA se rend compte que nous sommes piratés par les Israéliens. Lorsque nous établissons notre classement des priorités en matière de contre-espionnage, c’est toujours les quatre mêmes – Chine, Russie, Israël et France », a-t-il dit. « Si je devais les mettre dans un palmarès, je mettrais Israël au-dessus de la France. »
Rien à cacher, rien à craindre.
Après Snowden, Ram Ben-Barak, ancien directeur adjoint du Mossad, a apporté un démenti cinglant aux propos de Snowden.
« Comme c’est agréable d’être libéral, de dire de belles choses sur la liberté d’expression », a dit Ben-Barak avec sarcasme. « Si vous voulez mon avis, j’ai l’impression que c’est un gars jeune et très talentueux qui apparemment ne se sentait pas assez remarqué, alors il a décidé de prendre des mesures pour attirer l’attention. »
Ben-Barak a accusé Snowden de dévoiler des secrets américains et de mettre ses agents secrets en danger.
« Je pense qu’il a beaucoup de chance d’avoir volé des informations aux Américains et non aux Russes », a-t-il dit. « S’il avait volé les Russes, il se serait retrouvé avec une pilule de polonium dans l’estomac. »

Ben-Barak est le directeur d’une société de cybersurveillance, The Fifth Dimension, financée en partie par la société de capital-risque liée à la Russie Columbus Nova. Il est également membre du conseil d’administration de Cyabra, une société qui propose d’aider ses clients à repérer les faux profils Internet.
Plusieurs cadres supérieurs de Cyabra ont également travaillé pour Psy-Group, une société qui aurait fait l’objet d’une enquête de Robert Mueller, conseiller juridique spécial des États-Unis, pour des prétendues offres pour interférer dans des élections américaines.
Ben-Barak a déclaré à l’auditoire que les technologies de cyber-surveillance ont contribué à contrecarrer les attaques terroristes.
« Il y a deux ans, il y avait des attaques au couteau chaque jour ici. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons combattre avec des méthodes d’il y a 20 ans », dit-il. « Je ne pense pas que les citoyens qui n’ont rien à cacher aient de quoi s’inquiéter. Le gouvernement ne surveille pas tout le monde. Et le but du système est de vous protéger, vous et nous. Nous avons stoppé la plupart des attaques au couteau avec ce genre de technologie. »
Israël déjoue 40 attentats terroristes par mois, a déclaré Ben-Barak au public, faisant écho aux commentaires formulés plus tôt dans la journée par le chef du service de sécurité intérieure du Shin Bet.
« Vous vous rendez compte de ce que serait ce pays si le Shin Bet ne faisait pas un excellent travail pour éviter 40 attaques terroristes par mois ? Cet endroit serait-il habitable ? Notre démocratie ressemblerait-elle à ce qu’elle est ? »
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