Sur TikTok, une désinformation soigneuse renforce la présence anti-Israël
Les chansons de Taylor Swift peuvent-elles aider les créateurs de contenus pro-israéliens à séduire la génération Z, échapper aux « essaims » de haineux et tromper l'algorithme « mystérieux » – prétendument biaisé – de TikTok ?
NEW YORK – Quand il ne dort pas ou ne combat pas au sein de son unité d’artillerie de réserve, Adiel Cohen, 25 ans, combat les ennemis de l’État juif sur TikTok.
Originaire de Tel Aviv et actuellement stationné près de l’une des frontières d’Israël, Cohen a commencé à créer du contenu pour TikTok en 2020.
« Le harcèlement psychologique y a atteint un niveau record », estime Cohen, évoquant les créateurs de contenus sur TikTok dont les vidéos rendent hommage au Hamas et diabolisent Israël depuis l’invasion d’Israël par le Hamas, le 7 octobre dernier.
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Suite à l’envoi par le Hamas de quelque 3 000 terroristes, dans le sud d’Israël, pour commettre un horrible carnage qui a coûté la vie à 1 400 personnes auxquelles s’ajoutent 240 otages, TikTok est devenu la principale source d’informations sur le conflit pour des millions de jeunes de 18 à 24 ans, cible démographique de la plate-forme chinoise.
Mercredi, des créateurs de contenus de TikTok de tout premier plan se sont associés pour exiger que la plateforme, fondée en 2016, assume la responsabilité des contenus antisémites qui pullulent. Partout dans le monde, chefs d’Etat ou de gouvernement et institutions financières demandent l’interdiction de TikTok en raison de son antisémitisme « rampant ». (L’Inde a déjà interdit la plateforme en juin 2020, pour motifs de sécurité.)
« Pour le dire simplement, TikTok est dépourvu de certaines fonctionnalités de sécurité essentielles pour protéger les créateurs de contenu juifs et la communauté juive sur TikTok au sens large, ce qui nous met en danger numérique et physique », peut-on lire dans la déclaration « Dear TikTok », dont émergent des noms de signataires connus, comme Amy Schumer, Isaac Mizrahi ou encore Debra Messing.
Selon un récent sondage CAPS Harris de Harvard, 51 % des jeunes adultes « trouvent une justification » aux massacres perpétrés par le Hamas, et ce en partie parce que leur principale source d’information sur Israël, depuis le 7 octobre, vient de vidéos publiées sur TikTok.
Le site d’information Axios a rapporté cette semaine que depuis le 16 octobre, de par le monde, 210 000 messages ont circulé avec le hashtag #StandwithPalestine et 17 000 avec #StandwithIsrael. Citant les données de TikTok, le site d’information a déclaré que 87 % de l’audience des publications #StandwithPalestine avait moins de 35 ans, contre 66 %, celle de #StandwithIsrael. Il y a plus d’un milliard d’utilisateurs de TikTok dans le monde.
« Aujourd’hui, l’antisémitisme et la violence ont atteint des niveaux inédits », estime Cohen, évoquant les vidéos TikTok qui célèbrent les massacres à l’aide d’images choquantes prises par les terroristes du Hamas grâce à leurs mobiles.
Vendredi, TikTok a répondu à la critique en signalant que 925 000 vidéos antisémites avaient été supprimées par la plateforme depuis le 7 octobre.
Promettant d’investir davantage dans des « instruments de modération », la plateforme a rejeté les informations des médias selon lesquelles TikTok alimenterait le sentiment anti-israélien depuis les massacres du Hamas.
« Ces derniers jours, une analyse peu solide des données des hashtags TikTok liés au conflit a été menée, qui a fait dire à tort à certains que TikTok diffusait davantage de contenus pro-palestiniens que pro-israéliens aux utilisateurs américains. C’est tout simplement faux. En fait, depuis le 7 octobre, aux États-Unis, le hashtag #standwithisrael a gagné 1,5 fois plus de vues que #standwithpalestine : 46,3 millions de vues contre 29,4 millions de vues », peut-on lire dans le communiqué de vendredi.
« Une vision complètement déformée »
Fernanda Jampolsky, 24 ans, se sent réfugiée dans son propre pays.
Bien qu’elle ait fait son alyah il y a de cela trois ans, les massacres du 7 octobre l’ont incitée à retourner dans sa famille, à San Paolo, au Brésil. Depuis le Brésil, Jampolsky créé des vidéos Tik-Tok pro-israéliennes qui génèrent régulièrement plus de 200 000 vues chacune, explique-t-elle au Times of Israel.
Après le 7 octobre, assure-t-elle, « tout a changé en ligne ».
Jampolsky est l’un des centaines d’activistes israéliens associés aux organisations de défense des droits Israel-Is et TalkIsrael. Il y a deux mois, ces organisations ont formé une cohorte d’activistes des réseaux sociaux, dont Jampolsky fait partie, pour « changer le récit sur Israël sur TikTok », explique-t-elle.
Sur TikTok, le principal problème auquel sont confrontés les activistes israéliens est la « nature totalement personnalisée de l’algorithme », affirme Jampolsky. « C’est même un peu fou », ajoute-t-elle.
Jampolsky fait référence à la capacité de TikTok à « proposer » à ses utilisateurs des vidéos correspondant à ce qu’ils ont déjà vu ou ce qui les a fait réagir sur la plateforme, évaluée à 5 milliards de dollars.
« Pour la génération Z, les vidéos de Gaza qu’ils voient sur TikTok sont leur première source d’information sur Israël », analyse Jampolsky. « Ils ont une vision complètement déformée de ce qu’est le pays ».
Fait très révélateur, sur TikTok, la plupart des créateurs de contenus arabes « n’ont eu aucun problème à condamner les massacres du Hamas », dit-elle. « C’était très facile pour eux de condamner le Hamas parce qu’ils savent ce que Hamas veut dire. »
Mais Jampolsky et Cohen soulignent tous deux que la « désinformation » est le principal problème posé par l’algorithme de TikTok, qui non seulement « hyper-personnalise » le contenu de chaque créateur, mais bloque simultanément les points de vue contraires.
« J’ai eu l’impression d’être prise d’assaut par tous les créateurs de contenus qui haïssent Israël, le mois dernier », regrette Jampolsky.
« Immédiatement retiré »
Dans la nuit du 7 octobre, alors que les terroristes du Hamas étaient toujours en liberté, Cohen a été rappelé et s’est rendu à sa base. Immédiatement, il a commencé à travailler sur les véhicules et les outils de son unité.
« Je fais en sorte de jongler entre ce qui se passe sur les réseaux sociaux et mon travail de soldat en guerre. Mentalement, c’est un vrai challenge car le massacre qui a eu lieu le 7 octobre dernier a été extrêmement traumatisant », explique Cohen.
« Les deux premières semaines de la guerre, je n’arrêtais pas de faire des cauchemars. J’étais là, en train de me battre. Dans mon sac de couchage, sous la tente, j’ai commencé à pleurer en me repassant les images », confie Cohen, qui compte 63 000 abonnés sur TikTok.
Son parcours vers l’activisme sur TikTok est le produit d’une autre crise : pendant la pandémie de COVID, Cohen a commencé à voir « de plus en plus de contenus antisémites en ligne », et peu de choses sont faites pour le combattre, regrette-t-il.
Cohen a commencé par tourner des vidéos en « réponse » aux créateurs de vidéos prônant le mouvement BDS contre Israël. Sa stratégie a évolué pour se concentrer sur les vidéos qui éduquent les gens ou « démystifient » les vidéos de créateurs anti-Israël, explique-t-il.
@adielofisrael #stitch with @Aurora Bird (Birdy) LAND BACK✊???? (unless you’re Jewish) #israel #palestine #gaza #indigenous #landback
La propagande anti-israélienne qui déferle sur TikTok est difficile à bloquer, indique-t-il, en partie parce que les vidéos sont « présentées sous couvert de plaidoyers pour les droits de l’homme ou la justice sociale, de sorte que TikTok ne peut pas les interdire aussi facilement que les néonazis ».
Cependant, poursuit-il, la fonction « blocage » de la plateforme est également « l’un des principaux problèmes, en particulier lorsque les choses s’intensifient, cela devient une tendance », rappelle Cohen, qui a également généré des messages pro-Israël sur TikTok lors de l’opération « Gardien des murs » de Tsahal, également à Gaza, en 2021.
« Quel que soit le responsable de l’algorithme, il est hyper-centré sur nous, les créateurs de ces contenus », affirme-t-il.
En d’autres termes, TikTok diffère de Facebook, Instagram ou Twitter, qui sont tous – en gros – des versions en ligne des babillards communautaires. Pour « devenir viral » sur TikTok, le nombre de followers ou de likes que vous avez recueillis n’a aucune importance, seul compte le nombre de personnes qui va partager une vidéo que vous avez créée.
« Les vidéos pro-israéliennes les plus virales sont loin d’être aussi virales que les vidéos pro-palestiniennes », analyse Cohen. Selon lui, c’est le signe que les militants pro-israéliens sont clairement en sous-nombre sur TikTok.
Depuis le 7 octobre, certaines vidéos de Cohen ont été « immédiatement supprimées » par Tiktok parce que « l’algorithme lui-même peut aller contre vous, en fonction de certains mots employés », explique-t-il.
Avant les massacres du Hamas, TikTok informait les créateurs de contenus des infractions constatées aux règles de la plateforme lorsqu’il supprimait des vidéos. Depuis le 7 octobre, les messages de « blocage » par TikTok ne donnent aucune précision, analyse Cohen.
Les vidéos qui célèbrent et justifient les massacres du Hamas, en revanche, ont été vues par des millions de jeunes adultes dans le monde entier, assure Cohen. Il n’y a pas assez de créateurs de contenus pro-Israël pour faire face à ces essaims, regrette-t-il.
« La facilité avec laquelle ces vidéos deviennent virales et se propagent dans le monde entier est effrayante, alors que les créateurs pro-israéliens ont du mal à faire voir leur contenu au niveau international ».
Dans un sens, estime Cohen, l’algorithme de TikTok est comme une cour d’école à l’échelle mondiale : si plusieurs gros bras s’en prennent simultanément aux créateurs de contenus pro-israéliens, l’algorithme renvoie cette haine aux créateurs sous la forme de vidéos encore plus extrêmes, ce qui fait que le public se radicalise tout seul.
« C’est un mystère que je ne peux pas vraiment expliquer autrement que la partialité de la plateforme elle-même ou des gens », analyse Cohen à propos de l’algorithme de TikTok.
« Du fleuve à la mer »
Taylor Swift est bien plus importante qu’il n’y paraît, assure Jampolsky.
En effet, les tubes de la star donnent à Jampolsky un cadre pour ses vidéos sur TikTok et lui permettent de créer un « lien » avec les jeunes du monde entier, dit-elle.
Un autre problème lié à la création de contenus pro-Israël sur TikTok est que les vidéos réalisées au Moyen-Orient ne « deviennent pas virales » aussi facilement que les vidéos réalisées aux États-Unis, explique Jampolsky. Malgré tout, depuis le 7 octobre, il est plus facile pour les deux parties au conflit israélo-palestinien de produire des vidéos susceptibles de « devenir virales » à l’échelle mondiale, de « briser le mur », comme le présente Jampolsky.
« Ce ne sont pas les arguments historiques ou les conférences qui vont attirer l’attention ». « J’essaie de mettre les choses dans une perspective plus humaine », ajoute-t-elle, évoquant la vidéo dans laquelle elle s’est filmée en train de courir vers un abri anti-aérien de Tel Aviv avec son chien.
Depuis les massacres du mois dernier, des millions de créateurs de contenus sur TikTok ont visionné des vidéos du slogan « De la rivière à la mer », qui fait référence à l’élimination de l’État juif à l’intérieur de toutes les frontières, explique Jampolsky.
« Ils partagent l’expression « De la rivière à la mer », mais quand on leur demande ce que cela signifie, la majorité l’ignore », assure-t-elle. « Ils ne se documentent pas vraiment sur les causes profondes de ce conflit ».
Si la communauté pro-israélienne cherche les moyens de contrer la propagande anti-israélienne sur TikTok, « il faut prendre garde et prendre énormément de recul, 300 pas au moins, parce que nous sommes extrêmement impliqués, très très proches de la question ».
Evoquant à nouveau la « désinformation » – plutôt que l’antisémitisme – comme principale menace posée par TikTok, Jampolsky explique le processus de pensée du créateur « lambda » de la génération Z.
« Les Palestiniens ne méritent pas de mourir. Je ne peux pas soutenir la mort d’enfants. C’est donc Israël qui est à blâmer. Les Juifs sont des suprémacistes blancs avec lesquels il est difficile de se sentir émotionnellement connecté », explique Jampolsky.
« Il nous faut à tout prix tordre le cou à cette idée sur les réseaux sociaux », conclut-elle.
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