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Témoignage

« The Plot Against America » est la série qui m’aura le plus effrayé

Avec des personnages incroyablement réalistes et un sens perturbant de la manipulation, la série a rendu plus tangible la réalité de l'antisémitisme sur laquelle je travaille

Morgan Spector, au centre, dans le rôle de  Herman Levin et Zoe Kazan, à droite, dans le rôle de Bess Levin dans la série de HBO "The Plot Against America." (Crédit : Michele K. Short/HBO)
Morgan Spector, au centre, dans le rôle de Herman Levin et Zoe Kazan, à droite, dans le rôle de Bess Levin dans la série de HBO "The Plot Against America." (Crédit : Michele K. Short/HBO)

JTA — Je ne m’attendais pas à ce que l’adaptation par HBO du roman de Philip Roth The Plot Against America, mini-série réalisée par David Simon, me ferait peur à ce point.

J’ai l’habitude d’être submergé par des nouvelles portant sur la recrudescence de l’antisémitisme et des crimes de haine dans le monde entier. Voici certains des titres de la semaine passée : une synagogue incendiée en Russie, un prêtre roumain qui a comparé les Juifs au coronavirus et un groupe néo-nazi, avec à sa tête un adolescent de 13 ans, qui avait programmé de faire exploser une synagogue.

J’ai également été amené à évoquer dans mes articles la manière dont les attitudes antisémites et xénophobes – celles-là même qui avaient été revendiquées par le tireur de la synagogue de Pittsburgh et par les manifestants du rassemblement de Charlottesville qui avaient hurlé « Les Juifs ne nous remplaceront pas » – sont revenues dans les discours underground à travers tous les États-Unis.

Mais, en réalité, j’avais l’impression qu’une grande partie de ces faits d’actualité se passaient dans un monde finalement très éloigné de mon quotidien. Attention, ne pensez pas que je ne sais rien sur la Roumanie – c’est simplement que c’est un pays excessivement différent des banlieues du New Jersey, où je me suis réfugié avec mes parents au cours de cette quarantaine.

Et concernant le nombre de ces incidents, on a beaucoup discuté, entre journalistes, de la meilleure manière de rendre compte de toutes ces croix gammées peintes à la bombe sur des monuments et institutions juives pendant une semaine donnée dans le monde – ne serait-ce que parce que la plupart du temps, il s’avère tout simplement impossible de pouvoir se rendre dans la totalité des sites pris pour cible.

Alors, d’une certaine manière, je m’attendais presque à ce que « The Plot Against America » ne m’apprenne rien de nouveau.

Le roman de Roth (que je n’ai pas lu, il faut tout de même le noter), évoque une famille juive bloquée dans une histoire alternative angoissante dans laquelle l’antisémite de triste mémoire Charles Lindbergh est devenu président des États-Unis. Il laisse le pays à l’écart de la Seconde Guerre mondiale, établit des relations amicales avec l’Allemagne nazie et encourage un courant du suprémacisme blanc à peine déguisé – le même dont nous sommes témoin aujourd’hui.

Des croix gammées commencent à apparaître sur des stèles juives. Un rassemblement politique libéral tourne à la violence lorsque des partisans des nazis l’attaquent à coups de bâton et à coups de poing. Un responsable nazi vient en visite officielle à Washington.

Pour certains, voir ce récit sur petit écran, sous la forme d’une série télé fascinante et bien écrite, serait bien sûr une expérience horrible – mais pas pour moi, journaliste plongé depuis des années dans la couverture de la réapparition de ce type de mouvements dans la vraie vie. Ou c’est tout du moins ce que je pensais.

Mais j’avais complètement tort. La série a fait naître quelque chose d’étonnant chez moi : elle a rendu tout ce sur quoi je travaille immédiat, terriblement proche et palpable – et par conséquent, plus effrayant encore.

J’ai eu le temps de réfléchir à la série et j’ai trouvé plusieurs éléments expliquant l’impact puissant qu’elle a eu sur moi.

Le premier, c’est le monde juif créé par Philip Roth (et David Simon par extension, créateur de séries très applaudies comme « The Wire » et « The Deuce » et l’un des meilleurs scénaristes de télévision de sa génération) et qui, s’il est fictif, n’en est pas moins incroyablement réel. Une famille juive américaine typique, ça n’existe pas – le pays a toujours été riche de différentes expressions religieuses. Mais la famille Levin qui se trouve au centre de la série se rapproche tout de même d’un archétype américain.

Sous de nombreux aspects, la famille Levin pourrait être une version 1940 de la mienne. Elle n’est pas très religieuse, mais entretient des liens culturels juifs forts. Elle va à la boulangerie juive davantage qu’à la synagogue. Ses membres peuvent réciter des phrases en hébreu, mais ce n’est pas pour autant qu’ils comprennent ce qu’ils sont en train de dire.

D’autres séries récentes dépeignant des Juifs ont eu tendance à pencher vers les stéréotypes, et non vers les archétypes.

« Hunters« , diffusée sur Amazon et consacrée aux chasseurs de nazis de New York, en est un exemple : ses efforts d’authenticité juive reposaient sur une soupe Kneidler, sur des plaisanteries sur les carpes farcies et sur des prières et accents yiddish ridicules. Alors lorsqu’un personnage de « Hunters » qualifie un autre de « youpin », je n’ai pas eu le sentiment d’être attaqué – ni que l’un de mes semblables était attaqué.

En comparaison, toutes les insultes, dans « The Plot », sont un coup porté au visage. Lorsque la famille Levin est sommée de quitter son hôtel pour aucune autre raison que sa judéité, et que la police ignore ses accusations de discrimination, je me suis senti mal à l’aise. Quand un antisémite incroyablement grand vient à leur table, dans un café, en leur demandant de garder le silence, j’ai voulu me cacher la tête sous mes oreillers.

Mais David Simon capture également un sentiment plus crucial encore en termes d’affect que la judéité des personnages : ce sentiment d’être contrôlé, surveillé, manipulé. Le gouvernement clame les soutenir, mais ce n’est qu’une protection symbolique – une situation apparemment stable, pourtant susceptible de sombrer vers les ténèbres à chaque moment.

L’idée de me trouver moi-même sur cette ligne de crête, entre sécurité et manque de sécurité, m’a rempli de terreur quand je regardais la série. En ce qui me concerne tout du moins, je l’ai trouvée plus puissante que l’un de ces films déchirants sur la Shoah où les Juifs sont violentés et assassinés à l’écran.

Parce qu’elle m’a montré ce que je pourrais être amené à traiter à l’avenir dans mon travail si l’histoire devait emprunter, ne serait-ce que légèrement, la mauvaise direction.

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