Un an après, Kfar Aza et Nir Oz restent vides, leurs habitants toujours en détresse
Les résidents passent voir leur maison, fouillent les décombres et secouent la tête, incrédules à l'idée que des proches soient toujours otages à Gaza

Cinq jours après l’attaque du Hamas du 7 octobre, Batsheva Yahalomi expliquait aux journalistes les heures éprouvantes passées au kibboutz Nir Oz quand on a tiré sur son mari Ohad et que toute la famille a été capturée par des terroristes de Gaza.
Yahalomi et ses deux plus jeunes filles ont réussi à échapper à leurs assaillants, mais son fils de 12 ans, Eitan, a été emmené à Gaza, tout comme son père. Eitan a été libéré au bout de 52 jours à la faveur d’un échange otages contre prisonniers lors d’une trêve d’une semaine, fin novembre, mais Ohad se trouve toujours à Gaza.
Depuis lors, Batsheva et ses trois enfants vivent à titre provisoire dans un kibboutz du nord, en essayant de se reconstruire.
Aujourd’hui, un an plus tard, Yahalomi est à nouveau devant sa maison du kibboutz Nir Oz : les feuilles couleur magenta du nouveau bougainvillier rampent le long du mur derrière elle et, dans le jardin, flotte une banderole avec le visage d’Ohad et un mot sur sa bravoure.
Elle accompagne les journalistes chez elle, entre la table de la salle à manger jonchée d’articles ménagers en désordre, les murs criblés de balles et tachés du sang d’Ohad, dans leur maison inhabitée depuis un an.
Avec une grande dignité, Yahalomi décrit, une fois de plus, les événements terrifiants de ce jour-là, la prise en otage sur deux motos, Eitan sur l’une d’entre elles avec deux terroristes, elle avec les deux filles sur l’autre, alors en point de mire des centaines de Gazaouis en train de courir en direction de leur kibboutz.
« C’était comme l’exode d’Égypte », confie Yahalomi en parlant de ces Gazaouis ordinaires en tongs, portant des téléviseurs et conduisant des tracteurs de kibboutz, se déplaçant entre Gaza et la barrière du kibboutz. « Un grand nombre d’entre eux sont venus piller, armés de gros couteaux : je me souviens des couteaux parce que c’était extrêmement violent, presque surréaliste. Devant moi, Gaza devenait de plus en plus grande et la route vers le kibboutz de plus en plus petite. »

C’est la vue de deux chars de Tsahal et d’un hélicoptère qui a offert à Batsheva le moment dont elle avait besoin pour s’échapper, avec ses deux filles, de leur moto en panne. Elles ont passé des heures cachées avant de retourner au kibboutz, en lieu sûr.
C’est en janvier dernier que Batsheva Yahalomi a reçu, pour la dernière fois, une information de l’armée israélienne lui disant qu’Ohad était toujours en vie : depuis, l’armée a perdu sa trace. Au même moment, un groupe palestinien radical a diffusé une vidéo d’Ohad expliquant qu’il avait été tué par des tirs de Tsahal.
« Je ne sais que penser », confie Yahalomi, une femme menue qui dégage un sentiment de calme et de grande dignité. « Je préfère croire qu’il est vivant, mais nous ne sommes pas naïfs. »
Son fils, Eitan, est toujours convalescent, mais il redoute de s’endormir à cause des cauchemars.
La plupart des familles du kibboutz Nir Oz ne sont pas rentrées chez elles. Ce kibboutz, qui est l’une des plus petites communautés du sud, a été l’une des plus durement touchées le 7 octobre : 117 de ses 400 habitants ont été tués ou kidnappés. Il y a encore 29 otages de Nir Oz retenus en otage à Gaza.
« Ces otages sont des proches », explique Rita Lifschitz, dont le beau-père, Oded Lifshitz, 84 ans, est toujours otage : sa femme, Yocheved Lifschitz, a elle été libérée le 28 octobre, en même temps qu’une autre femme de Nir Oz.

Sept maisons seulement sur les 220 que compte le kibboutz Nir Oz sont intactes, explique Ola Metzger, une habitante dont les beaux-parents, Yoram et Tami Metzger, ont également été pris en otage. Tami Metzger a été libérée à la faveur du cessez-le-feu de novembre, mais son mari Yoram, 80 ans, a été tué en captivité. Sa dépouille a été retrouvée et ramenée par l’armée israélienne, cet été, pour être inhumée en Israël.
« Nos rituels ne sont pas ce qu’ils devraient être », regrette Metzger.
Ola Metzger, 45 ans et originaire du Kurdistan, vit au kibboutz depuis son alyah et ses quinze ans. Elle explique comment elle est restée dans la pièce sécurisée de sa maison en compagnie de son mari Nir et de leurs deux enfants adolescents pendant près de 12 heures, avant leur libération par l’armée en fin d’après-midi, le 7 octobre.
Ils ont entendu pas moins de trois ou quatre groupes de terroristes ou pillards entrer chez eux, mais aucun n’a réussi à pénétrer dans la pièce sécurisée.
« C’était une vraie roulette russe », confie Metzger, qui vit actuellement avec sa famille dans la ville voisine de Kiryat Gat, avec les autres membres du kibboutz. « Certains ont eu de la chance. »
La plupart, non. La porte de la maison de Yair Yaakov a été ouverte à la grenade par les terroristes. Yaakov a été tué, son corps et sa conjointe, Meirav Tal, elle en vie, ont été pris en otages. Tal a été libéré fin novembre.
Des journalistes se regroupent autour de la porte toute simple d’une autre maison du kibboutz Nir Oz, celle de la famille Bibas. Le trottoir devant chez eux est dans toutes les mémoires du fait des images tournées par les terroristes au moment de la capture de Shiri Bibas, terrifiée, serrant Ariel, quatre ans, et son bébé Kfir, dans ses bras. Son mari, Yarden Bibas, a lui aussi été kidnappé ce jour-là.

Tout à côté, dans la même rangée de maisons du kibboutz, se trouve la maison d’Itzik Elgarat, 69 ans, lui aussi toujours otage à Gaza.
Lundi dernier, soit une semaine avant le premier anniversaire du 7 octobre, le kibboutz Nir Oz est calme et silencieux, mais vide : seul le bruit occasionnel des coups de feu ou d’une explosion interrompt un temps le chant des oiseaux.
Un ficus fantastique aux innombrables racines apporte beaucoup d’ombre à la pelouse centrale du kibboutz, mais l’odeur âcre des maisons calcinées se fait encore sentir. Plusieurs souccot sont toujours debout, un an après l’attaque menée par des centaines de terroristes.
Le kibboutz s’apprêtait à voter l’admission de 40 nouvelles familles le 11 octobre, se souvient Ola Metzger. Aujourd’hui, certaines de ces familles vivent dans des appartements avec le reste du kibboutz dans deux immeubles de Kiryat Gat.
« Nous reconstruirons », assure Metzger.
Yifat Zailer, cousine germaine de Shiri Bibas, se trouve dans le jardin d’enfants Strawberry du kibboutz, à l’endroit-même où l’aîné de sa cousine – Ariel – venait de faire sa rentrée en septembre dernier.

Son nom, ainsi que celui de ses camarades de maternelle, est imprimé sur un autocollant au-dessus d’un porte-manteau devant la porte de la salle de classe. À l’intérieur, tout est noirci et rempli de suie, le plafond affaissé, les petites tables, les chaises, les jeux et les livres, endommagés par l’incendie allumé par les terroristes.
« Le temps n’y fait rien, je ne m’y habitue pas », confie Zailer, qui vit à Tel Aviv avec sa jeune famille mais est l’une des proches des Bibas les plus actives pour obtenir leur retour en Israël. « Même dans mes pires cauchemars, je ne pensais pas que ce serait aussi long. »
La tante et l’oncle de Zailer ainsi que les parents de Shiri – Margit et Yossi Silberman – ont été assassinés chez eux à Nir Oz, près de Shiri et Yarden dont la maison a été calcinée.
« Personne ne peut nous dire quoi que ce soit : toute cette famille a
disparu », déplore Zailer en avouant que, désormais, ses enfants, âgés de 3 et 18 mois, ont une maman un peu différente, moins patiente et beaucoup moins à la maison car en train de se battre pour sa cousine et les siens.
Le même calme règne dans le kibboutz voisin de Kfar Aza, communauté de 1 000 habitants dans laquelle 62 personnes ont été tuées et 19 prises en otage le 7 octobre.

Douze des otages de Kfar Aza ont été libérés et deux d’entre eux – Yotam Haim et Alon Shamriz – ont été tués par des tirs accidentels de Tsahal. Ils avaient été pris en otage dans le quartier des jeunes du kibboutz, là où les plus jeunes membres du kibboutz, pour la plupart âgés d’une vingtaine d’années, vivaient côte à côte dans de petites maisons d’une seule chambre.
La moitié de ces jeunes ont été brutalement assassinés et l’autre moitié, traînés de force à travers champs, certains violentés, et emmenés à Gaza.
Zohar Shpak, 58 ans, est l’un des rares membres du kibboutz à y vivre actuellement. Avocat de profession, il est revenu pour aider à remettre le kibboutz en état, ce qui passe aussi, en ce moment, par la recherche de la tête de l’un des habitants sauvagement décapité par les terroristes.
« Ils n’ont pas seulement tué des gens, ils ont fait des choses horribles », confie Shpak, qui a grandi dans le nord, sous la menace des roquettes Katioucha en provenance du Liban, et s’est installé à Kfar Aza pour y élever ses trois enfants.

Shpak travaille également avec le groupe Justice sans frontières du 7 octobre, qui poursuit l’UNRWA, l’agence controversée pour les réfugiés palestiniens, pour responsabilité dans les crimes internationaux commis le 7 octobre.
Ce jour-là, il s’est réfugié dans la pièce sécurisée de sa maison avec sa femme, sa fille, son petit-fils et ses deux chiens : le lundi suivant, il retirait les cadavres. Le kibboutz n’a été totalement débarrassé des terroristes que quatre jours plus tard.
Il montre du doigt, de l’autre côté de la clôture qui entoure la communauté, les quartiers bien visibles de Shejaiya et Jabaliya, dans la bande de Gaza. Les terroristes sont passés par une petite porte mais aussi par l’entrée principale lorsqu’ils ont attaqué, le 7 octobre.
Sa femme et ses enfants sont toujours évacués, mais Shpak, lui, est là. Chez lui, même si rien n’est plus pareil.
« Nous avons une maison », conclut Shpak, « pas un chez-soi ».
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