Un ex-vendeur d’options binaires-Forex : « Voici comment nous trompons les clients »
Après quelques semaines dans l'industrie, Joshua a dit sa femme : "Même si cela signifie que nous allons mourir de faim, je ne peux plus faire ce travail"

Depuis l’enquête initiale du Times of Israel – « Les loups de Tel Aviv : la vaste et immorale arnaque du Forex dévoilée » – nous avons été contactés par des dizaines d’ex-employés et de victimes de cette industrie qui cherchent à partager leurs expériences.
Nous nous intéresserons aux victimes plus en détail dans les articles à venir. Cette interview se concentre quant à elle sur les processus malhonnêtes par lesquels les « investisseurs » – en fait des clients naïfs qui sont entraînés dans un jeu d’argent truqué – se font embobiner et flouer.
Joshua Oleh, originaire des États-Unis, a récemment travaillé comme « agent de conversion » pour une entreprise d’options binaires de taille moyenne, en dehors de Tel-Aviv. Son travail consistait à contacter des gens dans le monde entier et à les persuader de faire du « commerce » en ligne sur une plate-forme d’options binaires – c’est-à-dire à les persuader de lui donner leur argent – tout en leur promettant des profits élevés. Cependant, selon ses dires, tous les clients avec qui il a travaillé ont au final tout perdu.
On estime que plusieurs centaines de milliers de clients à travers le monde ont été escroqués de façon similaire au cours des dernières années, ceci apparemment, avec le consentement tacite des autorités de réglementation et d’application des lois israéliennes.
La société pour laquelle Joshua a travaillé continue à escroquer le public depuis ses bureaux situés à Ramat Gan.
Comment êtes-vous arrivé jusqu’au secteur des options binaires ?
Mon travail de l’époque touchait à sa fin et j’étais désespérément à la recherche d’un autre travail. Ma femme était enceinte. Je devais trouver n’importe quel travail. J’ai beaucoup d’expérience dans la vente parce que je travaillais pour l’entreprise familiale, une agence d’assurance. Apres avoir envoyé mon CV à des entreprises de commerce en ligne, j’ai reçu de nombreux appels de compagnies d’options binaires. J’en ai choisi une.
Qui étaient vos clients ?
La plupart étaient des Indiens et des Nigérians. Vous étiez chanceux si vous tombiez sur des clients européens, en particulier des Allemands. Ils étaient les plus désireux de « faire du business » et déposaient de l’argent en euros ou en livres plutôt qu’en dollars, ce qui était mieux pour nous.
Nous n’étions pas autorisés à vendre des options aux Américains ni aux Israéliens. Je me souviens que nous avions eu du mal avec un gars iranien. En raison des sanctions, les sociétés de cartes de crédit ne voulaient pas travailler avec eux. Nous avons donc dû lui dire que nous ne pouvions pas l’« aider ».
Combien d’argent les ‘investisseurs’ donnent-ils en général ?
Le dépôt minimum était au départ de 200 dollars. Plus tard, nous avons décidé de ne permettre à personne de se lancer en dessous de 250 dollars. Certaines personnes, dans des endroits comme l’Inde et le Nigeria, empruntaient de l’argent auprès de leurs famille ou amis. Certains d’entre eux sont désespérés. Ils se disent « c’est là ma chance de devenir riche ». Et ils sont prêts à prendre des risques.
Tout le monde ne fait pas de dépôts. Vous passez en moyenne 2-3 minutes au téléphone avec chaque personne et après 20 ou 30 personnes, quelqu’un fait un dépôt.
Je devais appeler 250 personnes par jour. Je n’en pouvais plus de parler, à la fin de la journée. Je recevais peut-être 12 dépôts par jour, allant de 250 dollars à 1 000 dollars. Les agents de rétention pouvaient obtenir plus d’argent (leurs clients avaient déjà fait leur dépôt initial et étaient maintenant « convertis »). Ils pouvaient obtenir 5 000 dollars ou même 10 000 dollars, surtout de la part d’Européens et de Canadiens.
Je me souviens d’un client en particulier, un Pakistanais. Il était sur le point de se marier et avait emprunté de l’argent pour investir avec nous afin d’avoir un beau mariage.
Il m’a donné 500 dollars, ce qui représente beaucoup d’argent au Pakistan. Nous avons parlé sur Skype et il m’a donné son numéro de carte de crédit, puis nous avons continué le processus. Deux ou trois jours plus tard, il avait perdu tout son argent. Il m’a demandé : « Qu’est-ce qui se passe ? »
On m’a dit de ne pas répondre. On m’a dit de le bloquer sur Skype.
Comment trouviez-vous vos clients potentiels ?
Les campagnes de marketing étaient vraiment bonnes, vraiment convaincantes. Nous avions créé une célébrité fictive pour faire parler des options binaires. Et puis les campagnes étaient accompagnée de promesses de gains d’argent. Nous promettions que si vous aviez été perdant sur vos dix premières transactions, nous vous rembourserions votre argent. Nous avions également une très bonne optimisation par l’intermédiaire des moteurs de recherche.
Si vous recherchez sur Google le nom de mon entreprise, vous pouvez lire des témoignages convaincants, paraissant des plus honnêtes, rédigés sur d’autres sites et disant « faites attention aux escroqueries, mais selon mon expérience cette société donne les meilleurs résultats. »
Lorsque le « lead » apparaissait sur notre écran, on pouvait savoir de quelle campagne de marketing il provenait. Nous avions été informés de toutes les nouvelles campagnes, de sorte que nous pouvions répéter le même message.
Que disiez-vous aux clients afin de les amener à déposer de l’argent ?
Nous leur disions tout et n’importe quoi. Nous leur demandions, ‘Combien d’argent voulez-vous faire ?’ Ils disaient : ‘Je veux un million.’ Donc, nous disions : ‘Cela vous prendra environ 6-7 mois, mais nous allons vous aider ».
Nos clients étaient très optimistes et enthousiastes parce que nous les encouragions. On m’a toujours enseigné que lorsque vous êtes au téléphone avec quelqu’un et que vous essayez de vendre, il faut s’assurer que vous parlez avec le sourire, car c’est quelque chose qui peut s’entendre. Nous les mettions en condition, nous développions une vraie relation avec eux.
Que se passait-il après qu’un client ait fait un dépôt ?
Après le dépôt initial du client, celui-ci était envoyé à l’équipe de rétention. Si le client utilisait un robot (un programme informatique qui négocie pour les clients, afin de soi-disant éliminer les pièges psychologiques de la transaction), ils disaient : ‘On a ce nouveau robot qui présente des taux de réussite très élevés aux transactions. Mais pour être admissible, vous devez déposer tant de dollars' ».
Sinon, l’agent de rétention pouvait dire : ‘Je me spécialise dans l’or, j’ai observé sa valeur. Si vous mettez 1 000 dollars maintenant sur cette transaction, vous obtiendrez de bons résultats. Je dis à tous mes clients de le faire et je le fais moi-même’. Certains des meilleurs agents de rétention pouvaient attirer des dépôts s’élevant à plusieurs dizaines de milliers de dollars par jour.
Si une transaction est réussie, les clients gagnent entre 60 et 80 % du montant qu’ils ont misé. Dans le cas contraire, ils perdent tout. Les gens perdent progressivement tout leur argent. Mais les managers suivent également la réussite de chaque compte. Si un client se porte bien, les managers font changer les paramètres du compte ; ils font en sorte que cette personne ait moins de chances de réussir.
Mais si le client a prédit que l’or va monter et qu’il a eu raison ?
Ils inventaient des excuses. Nous stipulons dans nos termes et conditions que les taux à la fin de la journée ne reflètent pas réellement les vrais taux de fermeture de la bourse car il existe un retard dans la réception des chiffres. (D’autres ex-employés de sociétés d’options binaires ont détaillé d’autres ruses au Times of Israel. Selon l’ancien employé d’une entreprise qui emploie plus de 1 000 personnes dans une tour de bureaux de Tel-Aviv, les pertes sont garanties parce que la « chambre de commerce » de la société binaire contrôle la plate-forme de négociations – comme un casino truqué qui manipulerait la roue de la roulette. Parmi les nombreuses ruses employées pour garantir la perte des clients, comme l’a indiqué un ex-employé, la société encourage les clients à faire de mauvaises transactions, montrant aux clients des chiffres inexacts, ne permettant pas aux clients de négocier sur certaines valeurs, créant des « faux clients » afin de suggérer qu’une certaine valeur est populaire, vendant aux clients des valeurs qu’ils n’ont pas demandées ou effectuant des transactions qu’ils n’ont pas demandées.
Comment poussiez-vous les clients à continuer de miser de l’argent ?
Certains agents sont de bons juges de caractère. Nous examinions également leurs maisons sur Google Maps afin d’évaluer leur fortune personnelle et jusqu’où nous pouvions les pousser.
Si les clients acceptent un bonus (un cadeau des fonds de la société), ils sont coincés parce qu’ils ont accepté de trader pour plusieurs fois la valeur dudit bonus. Un grand pourcentage de gens prennent le bonus. Au final, les gens se ruinent et veulent partir. On ne garde jamais les clients pendant très longtemps.
Que se passe-t-il si le client dit ça suffit, rendez-moi ce qui reste de mon argent ?
S’il a accepté un bonus, cela signifie qu’il a accepté de faire un certain nombre de transactions, donc nous disions désolé, c’est impossible. Le client commençait à nous insulter et nous raccrochions le téléphone sans jamais prendre à nouveau les appels.
Est-ce que certains clients ont retiré de l’argent ?
Non, je n’ai jamais vu un seul scénario où quelqu’un retirait son argent.
Je me souviens qu’une fois, nous avons reçu trop de rétro-facturation par carte de crédit. Je suppose que les clients se sont rendus compte que c’était une arnaque et inversaient les charges. Nous ne pouvions plus prendre les paiements par carte de crédit pendant un certain temps.
Les gestionnaires étaient en panique. Ils nous ont donné des listes de comptes inactifs et nous ont dit de les vider. Nous avons appelé les gens et nous leur avons dit : « Vous savez que vous avez 200 euros ici et cela vous coûtera une taxe pour les retirer, cela n’en vaut pas la peine. Pourquoi n’utilisez-vous pas un nouveau robot Forex qui marche vraiment bien ? ». Les clients signaient pour utiliser le robot Forex et dans les jours qui suivaient leur argent avait disparu.
Qu’est-ce qui vous a poussé à démissionner ?
J’ai commencé à chercher un nouvel emploi environ deux semaines après avoir commencé. Pendant ma pause déjeuner, j’étais sur les groupes pour l’emploi sur Facebook. Ma femme voyait à quel point j’étais secoué quand je rentrais. Après environ six semaines, j’ai dit à ma femme : « Même si cela signifie que nous allons mourir de faim, je ne peux plus faire ce travail ». Cela me détruisait. Je me sentais très mal vis-à-vis de moi-même.
Ils ont un énorme roulement du personnel. Les gens détestent ce qu’ils font. Je comprend tout à fait la raison pour laquelle ce secteur est toujours à la recherche de nouveaux employés.
Je dirais que les gestionnaires ne sont pas dans la même catégorie. Ils sont excités, ils donnent de l’alcool et apportent de la nourriture, mettent de la musique. Certains des gestionnaires font des appels téléphoniques eux-mêmes. Ils sont vraiment dedans et ne pensent pas que ce qu’ils font est mal
Avez-vous obtenu une fiche de paie ?
Non, je n’en ai pas eu. Ils déposaient mon salaire directement sur mon compte bancaire.
A votre avis, combien de personnes travaillent dans cette industrie en Israël ?
Des milliers. Il y a une nouvelle société d’options binaires tout le temps. Cela doit tourner autour de 10 000, peut-être plus. En fait, je me souviens que des gens de l’étranger avec des accents britanniques sont venus à notre bureau pour apprendre comment mettre en place [ce système] ailleurs. Donc, nos gestionnaires leur ont expliqué : vous devez avoir Internet à cette vitesse, voici comment vous formez les agents. Apparemment, c’est une industrie qui s’exporte et Israël exporte son savoir-faire dans les options binaires.
Avez-vous parlé à quelqu’un de votre expérience après être parti ?
J’ai eu une femme et un bébé et je me suis inquiété d’être poursuivi si je disais quoi que ce soit publiquement de l’entreprise. Mais j’espérais que [la lumière soit faite] et que je pourrais essayer d’expliquer ce qui m’est arrivé.
Etes-vous allé à la police ?
Non, ce n’est pas considéré comme étant illégal ici. J’ai essayé de comprendre comment ils sont en mesure d’opérer en Israël. C’est seulement illégal sur le marché pour les citoyens israéliens. C’est immoral et cela devrait être illégal. Je me souviens que ma femme et moi avions passé un entretien pour vivre dans une communauté religieuse. J’avais déjà quitté l’entreprise mais le rabbin m’a posé des questions à ce sujet. Après que je lui ai expliqué, sa réponse a été : « Il y a des Juifs qui font cela ? ».
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