Un survivant de la Shoah, fondateur du mémorial d’Amsterdam, s’adressera à l’ONU
Le fondateur du « Namenmonument » prononcera vendredi un discours lors de la Journée internationale de la mémoire des victimes de la Shoah, à New York
AMSTERDAM, Pays-Bas – Soixante-dix ans après la proposition d’un artiste d’ériger un monument en mémoire des noms des 100 000 Juifs néerlandais assassinés pendant la Shoah, le souhait est devenu réalité grâce à un « enfant caché » survivant, qui a perdu une cinquantaine de proches dans le génocide perpétré par les Allemands.
Le 27 janvier, Jacques Grishaver, aujourd’hui âgé de 80 ans, s’adressera à la Tribune des Nations unies, à New York, à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah. L’activiste inlassable évoquera comment il est parvenu à bâtir un « monument national en mémoire de la Shoah », non loin de l’endroit qui l’a vu naître et grandir.
« Je l’ai fait pour que tous les noms soient honorés », a déclaré Grishaver au Times of Israel lors d’une interview au mémorial, inauguré par le roi des Pays Bas, Willem-Alexander, et Grishaver en septembre dernier.
Le principal obstacle rencontré par Grishaver et le comité néerlandais d’Auschwitz, a-t-il confié, a été l’emplacement du mémorial. Des voisins ont en effet intenté des poursuites concernant deux premiers emplacements proposés pour le complexe conçu par le fameux architecte Daniel Libeskind.
« Cela aura été long et complexe, mais nous avons toujours été sérieux », a déclaré Grishaver, dont les efforts lui ont valu la médaille d’or de la ville d’Amsterdam et la promotion au grade d’officier de l’Ordre d’Orange-Nassau (il avait déjà été nommé chevalier en 2006).
Le Namenmonument a été bâti avec 102 000 briques portant chacune le nom, la date de naissance et l’âge à la mort d’une victime, y compris des centaines de non-Juifs. Les briques forment des murs qui ressemblent à un labyrinthe, mais d’en haut, elles forment le mot hébreu « se souvenir ».
En levant les yeux depuis le mémorial, on aperçoit des lettres géantes coiffées d’acier dentelé qui donnent l’effet miroir caractéristique du Namenmonument. Ces derniers mois, Libeskind a reçu plusieurs prix et nominations pour le Namenmonument, visible depuis les étages de la synagogue portugaise de la capitale hollandaise.
« Cette semaine, le mémorial a reçu des scolaires chaque jour », s’est réjoui Grishaver, qui a consacré 15 années à ce projet. « C’est pour cela que nous l’avons fait. »
En qualité de président du Comité néerlandais d’Auschwitz depuis 1998, Grishaver souhaitait construire un monument similaire à celui voulu par l’artiste juif néerlandais Jaap Kaas après-guerre, et qui avait été refusé par les dirigeants juifs de l’époque. Ce projet voulait rendre public le nom de toutes les victimes juives néerlandaises.
Estimant que la proposition de Kaas ressemblait davantage à un « acte d’accusation » à l’encontre de la société néerlandaise, les dirigeants juifs d’après-guerre optent alors à l’époque pour un « Monument de la gratitude juive » accompagné de ce texte : « Aux protecteurs des Juifs néerlandais pendant les années d’occupation ». Or, près de 80 % des juifs néerlandais ont été déportés et assassinés, – le pourcentage le plus élevé de tous les pays d’Europe occidentale.
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Niché derrière des arbres sur la très fréquentée Weesperstraat, le monument de la gratitude juive, en forme d’autel (conçu par Jobs Wertheim), s’est élevé pendant près de 70 ans. Sur son vélo, Grishaver passait régulièrement devant pour se rendre à ses cours de danse de salon, dit-il, et le sol en était souvent inondé.
« C’est le monument le plus horrible qui existe sur la persécution des Juifs », déplore Grishaver.
« Des maisons spoliées »
Par un après-midi pluvieux de décembre, Grishaver se fraye un chemin à travers le Namenmonument, échangeant parfois quelques mots avec les visiteurs.
Au début de sa quête, en 2006, le mémorial était supposé prendre place dans le parc de Wertheim, situé à côté des jardins botaniques Hortus et de maisons cossues. Mais des riverains s’y sont opposés, et le comité de Grishaver a été contraint de porter son regard ailleurs.
« Beaucoup de ceux qui nous ont poursuivis en justice vivent dans des maisons volées aux Juifs », fustige Grishaver, connu pour sa ténacité.
En 2016, un emplacement beaucoup plus fréquenté, situé non loin du parc de Wertheim – adjacent au musée de l’Ermitage et proche de la rivière Amstel –, est sélectionné par le maire de la ville et le comité de Grishaver. Il est alors prévu que le National Holocaust Namenmonument remplace l’obscur Monument de la Gratitude Juive, qui serait déplacé de quelques mètres.
Mais peu de temps après l’annonce officielle, de nouveau, des riverains s’opposent au projet, rappelle Grishaver.
Leur principale objection, se souvient Grishaver, tenait au déracinement de 24 arbres, qui était pourtant indispensable à la réalisation des travaux.
« Pour eux, ces arbres étaient beaucoup plus importants que ces 100 000 victimes », lâche Grishaver, dont le comité a été contraint de payer des frais élevés pour porter l’affaire en justice.
Une fois la plainte des riverains écartée par la plus haute juridiction des Pays-Bas – le Conseil d’État –, la construction du Namenmonument a pu commencer. Fin 2019, les premiers coups de pioche sont donnés sur un terrain détrempé où une rangée de bâtiments, démolis dans les années 1960, abritait autrefois 240 Juifs néerlandais dans 80 appartements.
Les visiteurs viennent parfois avec de petites pierres blanches pour les placer sous les briques. D’autres viennent au Namenmonument avec des pierres peintes en mémoire d’un parent ou d’un ami.
Chaque mois, explique Grishaver, des travailleurs municipaux « effectuent des réparations » « comme dans un cimetière ». Le complexe est fermé par de grandes portes, la nuit, et des systèmes de sécurité sophistiqués ont été installés pour dissuader les vandales.
En novembre, précise Grishaver, 150 noms ont été ajoutés sur un petit mur pavé composé de 1 000 briques vierges. Adressés aux responsables du Namenmonument par des chercheurs et des visiteurs, ces noms ont été confirmés par des historiens néerlandais comme étant ceux de victimes de la Shoah.
En se promenant dans le Namenmonument qu’il a contribué à faire sortir de terre, Grishaver confie y voir un signe d’espoir pour l’avenir.
On estime à 1 500 le nombre de visiteurs du mémorial, chaque jour, scolaires inclus. Ce public constitue une vraie priorité pour Grishaver. Ce fut même pour lui un soutien pendant ses quinze années d’efforts.
« J’entends parfois des jeunes regarder l’âge des victimes et demander pourquoi un enfant a été [assassiné à l’âge de] six mois », évoque Grishaver. « Les jeunes souhaitent en savoir plus. Les personnes plus âgées disent que tout cela remonte à bien longtemps », conclut le survivant.