Une chanteuse polonaise retrouve et sublime ses racines juives dans le punk yiddish
Dans son nouvel album, qui sortira le 20 avril en mémoire du soulèvement du ghetto de Varsovie, Maria Ka fait rimer féminisme et anti-conformisme sur des rythmes électro
- L’auteure-compositrice-interprète polonaise et de langue yiddish Maria Ka en concert. (Crédit : Iwona Wojdowska)
- L’auteure-compositrice-interprète polonaise et de langue yiddish Maria Ka en concert. (Crédit : Iwona Wojdowska)
- L’auteure-compositrice-interprète polonaise et de langue yiddish Maria Ka en concert. (Crédit : Iwona Wojdowska)
Résolument ancrée dans le présent et l’avenir, l’auteure-compositrice-interprète polonaise Maria Ka est en train de révolutionner le monde de la musique juive avec une langue, le yiddish, pourtant vieille d’un millénaire.
Influencée par le rock psychédélique, le punk et des artistes tels que Björk, The Dead Weather ou The Kills, Ka a sans vergogne pris ses distances avec la scène klezmer d’antan.
« Je suis venue au yiddish par quelque chose de totalement irrationnel. J’ai senti que c’était une langue pour moi », explique Ka au Times of Israel.
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Dans la plus pure tradition punk anti-conformiste, son quatrième et dernier album en date, « Der Hemshekh » (La suite), met à l’honneur ces « femmes invisibles », effacées des archives historiques traditionnelles. Cinq titres sur les dix que compte l’album sont des compositions originales. L’album sortira le 20 avril, en mémoire du 80e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.
Même si elle chante aujourd’hui en mamaloshen, Ka (nom de famille complet Kawska) ne connaissait pas le yiddish avant de l’étudier dans le cadre de sa double maîtrise en psychologie et études juives à l’Université Jagellonne de Cracovie, obtenue en 2011.
« J’ai aussi étudié l’hébreu dans le cadre de ma maitrise, mais le yiddish m’était beaucoup plus facile d’accès. Il y a eu un vrai déclic », confie-t-elle.
« Tout s’explique par des raisons culturelles. Je ne suis pas du tout religieuse », ajoute-t-elle.
Aujourd’hui âgée de 36 ans, elle expliquait dans une récente interview depuis Gdansk, où elle vit depuis 11 ans, avoir voulu suivre des études juives pour mieux comprendre ses origines juives « cachées » .
L’auteure-compositrice-interprète fait partie de ces nombreux jeunes Polonais à s’être découvert une ascendance juive cachée depuis fort longtemps.
« Mes origines juives ne sont pas claires. Les racines juives de ma famille se perdent dans un silence voulu pour oublier le traumatisme. J’ai néanmoins découvert que, côté paternel, des Juifs avaient été tués pendant la guerre. J’ai consulté des archives et fait des recherches généalogiques, mais c’est très compliqué en l’absence de documents », explique Ka.
En tant que féministe, Ka était mécontente que l’histoire et le point de vue des femmes soient absentes de ses études juives à l’université. Pour prendre l’exact contre-pied, elle a consacré sa thèse, par ailleurs très bien notée, aux femmes – personnages et actrices – de l’âge d’or du cinéma juif en Pologne dans l’entre-deux-guerres.
La fascination de Ka pour le cinéma polonais de l’entre-deux-guerres l’a poursuivie. En 2018, elle a sorti un album avec un camarade qui a recréé la bande originale – perdue – d’un film de 1924 avec en vedette le célèbre duo d’actrices – mère-fille – juives polonaises Esther-Rachel et Ida Kaminska.
Ce lien étroit avec le théâtre et le cinéma de l’entre-deux-guerres est perceptible dans ses apparitions sur scène comme à l’écran. Au quotidien, elle arbore un look très discret. Mais sur scène et dans ses clips, elle porte des tenues très vives et colorées.
« J’y ai réfléchi, et je pense que cela tient à mon attirance pour l’avant-garde de l’entre-deux-guerres. Et aussi au fait que je me sens en phase avec des artistes qui ont un grand sens du spectacle », dit-elle.
Lorsqu’elle est seule sur scène, elle joue des claviers et du sampler. Elle se produit parfois avec un hautboïste et un batteur, avec lesquels elle répète dans les locaux de la nouvelle synagogue de Gdansk, située à 10 minutes de chez elle. La synagogue et le centre communautaire ont été construits en 1927 et ont survécu à la Seconde Guerre mondiale.
« La synagogue était une école de musique à l’époque soviétique, du fait de son acoustique fabuleuse », explique-t-elle.
Ka est également conférencière sur la culture juive, le yiddish et les femmes dans le monde juif à l’Université des sciences sociales et humaines de Sopot, en Pologne, et ailleurs.
« Je parle notamment de l’absence des femmes dans l’espace public et de la façon dont elles sont sous-représentées dans le monde musical », ajoute-t-elle.
Ce n’est pas par hasard que Ka a commencé à enregistrer son dernier album, « Der Hemshech », en 2020, au moment des manifestations contre l’interdiction quasi totale de l’avortement édictée par la Cour suprême polonaise.
« J’ai participé aux manifestations publiques et nous avons tourné un clip lors d’une des manifestations à Varsovie. C’est une question qui m’est très chère. Une de mes amies n’a pas pu se faire avorter alors que le fœtus qu’elle portait était malformé. C’est très traumatisant », confie Ka.
Il ne fait aucun doute que Ka évoque des problèmes on ne peut plus sérieux, mais sa musique peut être ludique. Dans le clip de « Bingo » par exemple, qui parle des identités multiples, les nombreuses déclinaisons du visage de Ka qui virevoltent à l’écran sont très amusantes.
Ka a enfreint la règle qu’elle s’est elle-même fixée, à savoir de ne pas interpréter de chansons du folklore yiddish, en enregistrant le très entraînant « Dzhankoye », qui évoque la fierté des paysans juifs d’une ferme collective de la péninsule de Crimée. Elle a fait cette entorse en soutien à l’Ukraine, suite à l’offensive russe de février 2022.
Ka s’est vue remettre deux Bubbe Awards, décrits dans Tablet par Rokhl Kafrissen comme étant « ce qui ressemble le plus à des Grammys dans le domaine de la nouvelle musique yiddish et juive ». Le premier, en 2021, est venu récompenser « Krankheyt » (Maladie), tiré de son album
« Di arumike velt » (La nouvelle réalité).
Elle a reçu le deuxième prix en 2022 pour « Ven es regnt » (Quand il pleut), tiré de son album « Di shaykhesn » (Les liens). Dans cette chanson, elle parle de son désir de vivre pour toujours parmi la nature « à l’abri des bruits envahissants de la ville ».
Pour Ka, parler et travailler en yiddish n’a rien à voir avec l’ethnographie ou la volonté de protéger une langue qui a perdu la majorité de ses 11 millions de locuteurs dans la Shoah. Pour elle, être auteure-compositrice-interprète, c’est d’abord et avant tout avoir les deux pieds ancrés dans la société d’aujourd’hui.
« J’essaie de faire évoluer notre rapport à la langue », conclut-elle.
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