Washington à ses alliés arabes : ne fixez pas d’échéance pour une solution à 2 États, après la guerre
L'administration Biden cherche à promouvoir un cadre plus réduit dont il est toutefois certain qu'il sera rejeté par le gouvernement de Netanyahu, selon des documents obtenus par le Times of Israel
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
L’administration Biden cherche à empêcher ses partenaires arabes d’avancer une vision ambitieuse de ce que pourrait être la paix israélo-palestinienne une fois que la guerre à Gaza sera terminée, et elle voudrait plutôt promouvoir un cadre plus réduit dont il est toutefois certain qu’il sera rejeté par le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, selon des documents qui ont été obtenus par le Times of Israel.
Depuis le début de l’année, les États-Unis ont pris la tête d’un groupe où siègent des ministres saoudien, émirati, qatari, égyptien, jordanien et issu de l’Autorité palestinienne de premier plan, avec pour objectif de mettre au point un plan qui déterminera de la prise en charge de la bande de Gaza dans l’après-guerre.
Les ministres arabes se sont aussi réunis de leur côté, en tant que panel indépendant de Washington. Au mois d’avril, ils ont mis le point final à leur plan « pour le lendemain » de la guerre qui oppose actuellement Israël au Hamas à Gaza – un plan qui comprend une reconnaissance internationale immédiate d’un état palestinien, l’établissement d’une force de maintien de la paix en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et le lancement de négociations entre Israël et l’Autorité palestinienne. Ces pourparlers, qui ne pourraient pas durer plus de deux ans, aboutiraient notamment, à terme, à l’abandon par Israël du contrôle des checkpoints installés en Cisjordanie – un contrôle qui passerait entre les mains de l’Autorité palestinienne, selon des passages de la proposition obtenue par les États-Unis qui ont fuité auprès des médias.
Si les États-Unis soutiennent la solution à deux États que les six partenaires arabes s’efforcent de mettre en avant, ils ont néanmoins estimé que la proposition en elle-même était « complètement irréaliste », selon un diplomate arabe proche du dossier.
Reconnaissant toutefois qu’il ne pouvait pas se contenter de rejeter la proposition arabe sans offrir d’alternative, le département d’État a énoncé, dans un projet, une série de principes qui pourront être utilisés comme base pour les discussions de l’administration américaine avec ses partenaires au Moyen-Orient, a indiqué l’officiel arabe.
Le responsable a reconnu que cette initiative n’avait pas été une priorité de premier plan aux yeux de l’administration Biden qui s’intéresse surtout, pour le moment, à finaliser un accord sur les otages qui pourrait mettre un terme à la guerre qui oppose Israël au Hamas dans la bande de Gaza, une guerre qui avait été déclenchée par l’attaque barbare qui avait été commise par le groupe terroriste palestinien sur le sol israélien, le 7 octobre.
Le document du département d’État américain, qui est intitulé « Déclaration conjointe sur les principes en soutien à un avenir de paix pour les Israéliens et pour les Palestiniens », a obtenu l’approbation de la Maison Blanche, a commenté un responsable de Washington. Il a ajouté que les États-Unis l’ont utilisé comme base pour leurs discussions passées et en cours avec leurs alliés arabes – et ils entreront encore en compte lors des pourparlers auxquels le secrétaire d’État Antony Blinken devrait prendre part, au début de la semaine prochaine, en Égypte, au Qatar et en Jordanie.
Ce document est très similaire aux principes que Blinken avait déjà mentionnés à Tokyo, le 8 novembre, quand il avait évoqué l’après-guerre à Gaza, même s’il y a eu quelques ajouts dans la mesure où Washington voudrait pouvoir trouver des terrains de compromis avec ses partenaires du Moyen-Orient.
Le document obtenu par le Times of Israel comprend dix principes :
1. Un appel lancé à la communauté internationale, à qui il est demandé d’apporter son soutien à la reconstruction de Gaza, avec l’ouverture de tous les postes-frontières de la bande, ce qui permettrait de garantir l’entrée sans entrave des aides humanitaires.
2. Le rejet de la gouvernance de l’enclave côtière par d’éventuels groupes terroristes. « Toutes les organisations terroristes et tous les groupes armés doivent être désarmés et renoncer à la violence. Un mécanisme de désarmement, de démobilisation et de réintégration facilitera ce processus à Gaza », note le document.
3. Le retrait total d’Israël de la bande de Gaza sans aucune réduction du territoire de cette dernière, sans occupation militaire ou sans déplacement forcés des Palestiniens – les civils étant autorisés à retourner dans les villes et dans les villages de la bande qu’ils avaient fui dans le contexte de la guerre.
4. Une réunification de Gaza et de la Cisjordanie, placées sous le contrôle de l’Autorité palestinienne – cette dernière recevant l’assistance de ses partenaires internationaux pendant une période de transition, au lendemain de la guerre, jusqu’à ce qu’elle soit prête à assumer pleinement la gouvernance dans la bande.
5. Un appel en faveur de la reprise des négociations de statut final entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine, des pourparlers qui partiront du principe qu’ « une fin durable au conflit israélo-palestinien et la fin de l’occupation ne peuvent se réaliser que par le biais de négociations directes ».
6. Le soutien apporté à un état palestinien « indépendant, contigu et viable » sur la « base des lignes du 4 juin 1967, avec des échanges de territoire mutuellement convenus et une solution acceptée par les deux parties à la question des réfugiés palestiniens, comme l’envisage l’Initiative de paix arabe ». (Le président américain Joe Biden avait déjà, dans le passé, exprimé son soutien aux lignes de 1967 mais cela semble être la première fois que les États-Unis font également allusion à l’Initiative de paix arabe. Avec une différence toutefois : la proposition initiale de l’Initiative de paix arabe prévoyait la mise en place d’une solution à deux États qui ouvrait la porte à la normalisation des relations entretenues par l’État juif avec ses voisins arabes alors que le document américain s’appuie sur l’approche contraire).
7. « La possibilité de la normalisation des liens de l’Arabie saoudite et d’autres États arabes avec Israël, une perspective accompagnée par des progrès concrets vers la solution à deux États, est une piste prometteuse qui permettrait d’aboutir à la paix, à la sécurité et à une intégration régionale qui profiteront à tous », fait remarquer le document.
8. Le rejet des actions unilatérales entreprises par les deux parties « dont l’expansion des implantations et des avants-postes, et la glorification du terrorisme et de la violence ». Les deux parties qui sont aussi appelées à respecter l’État de droit et à s’opposer aux incitations à la haine, à la violence ou au terrorisme de la part des responsables et des individus plus généralement.
9. Un appel à respecter les engagements qui ont été pris au cours des sommets qui avaient eu lieu, l’année dernière, à Aqaba et à Sharm al-Sheikh – ces sommets avaient d’ailleurs dénoncé les actions unilatérales susceptibles d’être entreprises des deux côtés. Le document américain recommande aussi vivement de maintenir le statu-quo mis en œuvre sur le mont du Temple, « en reconnaissant le lien profond entretenu par les fidèles de nombreuses confessions avec Jérusalem et en reconnaissant également que la question des frontières de Jérusalem fera l’objet de négociations de statut final ».
10. Un appel lancé à l’Autorité palestinienne à mettre en vigueur des réformes d’envergure « qui se concentreront sur la bonne gouvernance, sur la transparence, sur la lutte contre la corruption, sur l’éducation et sur des réformes sociales ».
« Nous acceptons de focaliser nos efforts diplomatiques sur la promotion de ces principes, en établissant ainsi les conditions nécessaires pour la paix durable entre Israël et les Palestiniens comme pour la sécurité de la région », dit le document américain.
Répondant à une demande de réaction sur le sujet, un porte-parole du département d’État a indiqué que le document « entre dans le cadre d’une réflexion beaucoup plus large qui a été menée en coordination avec nos partenaires arabes, ces derniers mois ».
De manière notable, la vision présentée par les États-Unis ne prône pas « une voie irréversible vers un état palestinien, une voie soumise à un calendrier. » Blinken avait pourtant insisté de manière répétée sur le fait qu’il faudrait mettre en œuvre un plan et fixer des échéances pour que l’Arabie saoudite accepte de normaliser ses relations avec Israël.
Mais Netanyahu ne semble guère intéressé à l’idée d’accepter ne serait-ce qu’une voie ouverte vers l’établissement, à terme, d’un état palestinien. Le Premier ministre a affirmé qu’une telle perspective s’apparenterait à une « récompense » après que le groupe terroriste du Hamas a commis, le 7 octobre, ce qui devait être le pire massacre de Juifs depuis la Shoah.