39e semaine de manifestations anti-refonte : « Vous ne nous diviserez pas »
Une semaine après des heurts entre Juifs religieux et laïcs à Yom Kippour, des manifestants à Tel Aviv ont bloqué l'autoroute Ayalon avec une soucca
Des dizaines de milliers d’Israéliens se sont rassemblés dans tout le pays samedi soir contre le remaniement du système judiciaire du gouvernement pour la 39e semaine consécutive, après que Yom Kippour a vu le fossé entre la religion et la laïcité du pays exposé amèrement lors d’un office de prière public à Tel Aviv.
Selon les organisateurs, les manifestations se sont déroulées dans environ 150 endroits à travers le pays.
À Tel Aviv, des manifestants ont bloqué l’autoroute Ayalon en installant une soucca – une cabane éphémère dans laquelle les Juifs pratiquants prennent leurs repas pendant la semaine de la fête juive de Souccot, qui a débuté vendredi soir – recouverte d’affiches anti-gouvernement. Ils ont finalement été expulsés par la police et la circulation a repris.
La police a arrêté deux manifestants qui avaient bloqué l’autoroute et a infligé des amendes de 1 000 shekels à sept autres personnes, ont rapporté les médias israéliens.
La Treizième chaîne, citant la société CrowdSolutions, a estimé que quelque 85 000 personnes s’étaient rassemblées rue Kaplan, à Tel Aviv. Au centre de la foule, une grande pancarte a été déployée sur laquelle on pouvait lire : « Vous ne nous diviserez pas ! », une référence apparente aux événements de Yom Kippour qui avaient semé la discorde une semaine auparavant.
Les organisateurs ont déclaré que les manifestations de la 39e semaine mettraient en évidence ce qu’ils appelaient la nature conflictuelle et destructrice du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
כמה עשרות פעילי מחאה נגד ההפיכה המשטרית חוסמים את איילון צפון בין ההלכה לקק״ל עם סוכה, אבוקות ונרות עשן pic.twitter.com/DRyks447bz
— Bar Peleg (@bar_peleg) September 30, 2023
« Il est expert dans l’art de diviser les gens sur des bases sectaires, religieux contre laïcs, gauche contre droite – diviser pour [mieux] régner », ont déclaré les organisateurs dans un communiqué avant les manifestations. « L’économie s’effondre et tout ce que nous obtenons, ce sont des provocations et la poursuite du démantèlement de la démocratie. »
Les manifestations ont eu lieu quelques jours après qu’une organisation religieuse a tenté d’organiser un office public de prière de Yom Kippour au cœur de Tel Aviv avec une mehitza improvisée – une sorte de cloison ou de barrière utilisée pendant les prières pour séparer les hommes des femmes, conformément à la halakha – la loi juive orthodoxe.
Rosh Yehudi, un groupe religieux orthodoxe, avait déclaré qu’il organiserait une prière de masse sur une place du centre de Tel Aviv pour Yom Kippour, même si la ville, soutenue par les tribunaux, lui avait interdit d’ériger une mehitza, déclenchant des confrontations amères entre les participants et les manifestants, et des scènes sans précédent de colère et d’accusations en ce jour du Grand Pardon juif.
« Je n’ai jamais vu notre sécurité nationale dans un état aussi mauvais », a déclaré Dan Harel, ancien chef d’état-major adjoint de Tsahal, dans un discours prononcé à Tel Aviv. « Ce gouvernement malveillant conduit à la désintégration de Tsahal et constitue une véritable menace existentielle. Les mesures prises par le gouvernement pour affaiblir la Haute Cour de justice ont déjà causé des dommages considérables aux réserves des unités les plus importantes de Tsahal, entraînant une perte de préparation et de capacité opérationnelle significative. »
À Kfar Saba, Ayala Procaccia, juge à la retraite de la Cour suprême, a pris la parole. « Le régime nous a trahis. Cette trahison résonne profondément dans l’âme du peuple libre. Ce peuple ne se reposera pas tant que l’allégeance du régime ne nous reviendra pas, à nous les citoyens. »
À Haïfa, des dizaines de personnes ont manifesté contre la montée en flèche de la violence dans la communauté arabe, qui a fait 190 morts depuis le début de l’année.
Les événements de cette semaine ont été perçus par beaucoup comme une extension du conflit sociétal déclenché par la refonte judiciaire du gouvernement, qui s’est étendu à de multiples secteurs du quotidien et se superpose à des visions très divergentes de l’avenir et du caractère du pays.
À Jérusalem, l’ancien membre de la Knesset Dov Khenin a abordé la question dans son discours. « Le gouvernement a utilisé contre nous la vieille stratégie romaine : diviser pour mieux régner. Cette fois, c’est laïcs contre religieux. Nous ne tomberons pas dans ce piège. Tout comme nous ne sommes pas tombés dans le piège des Juifs ashkénazes contre les Juifs séfarades, et nous ne tomberons pas dans le piège des Juifs contre les Arabes. »
Les organisateurs de la manifestation de Jérusalem ont dénoncé à la fois les violences commises contre les fidèles venus assister à la prière collective de la Neïlah place Dizengoff à Tel Aviv et les organisateurs de la prière pour avoir introduit la politique dans un événement religieux et pour avoir « méprisé » la décision de la Haute Cour qui a soutenu le droit de la municipalité de Tel Aviv d’interdire la prière séparée par sexe dans l’espace public.
Le rabbin Benny Lau, éminent dirigeant communautaire et militant, a pris la parole pour la première fois lors du rassemblement de Jérusalem, félicitant les manifestants tout en déplorant que leurs cris de « démocratie » et de « honte » n’aient pas comblé le fossé qui sépare la société israélienne.
« Pendant des mois, j’ai dit aux organisateurs que je n’avais rien à dire », a déclaré Lau, expliquant pourquoi il n’avait pas pris la parole lors des manifestations « Sauvons notre maison commune » à Jérusalem devant la résidence présidentielle. « Nous sommes au bord du gouffre – que faut-il qu’il se passe de plus pour que nous nous réveillions ? », a-t-il ajouté.
Le rabbin Lau a déclaré que son entourage avait été déçu par son silence, mais qu’il prenait la parole à la suite du soutien honteux apporté par certains politiciens ostensiblement orthodoxes, entre autres personnes, à un extrémiste juif condamné après avoir tué trois membres d’une famille palestinienne dans un incendie criminel en 2015 dont un bébé de 18 mois
Il a dénoncé les éléments d’extrême-droite qui, selon lui, ont donné à la religion juive une image sombre, fondamentaliste et coercitive, affirmant que ce n’était pas le judaïsme dans lequel il avait été élevé, qui prône la solidarité et l’attention mutuelles et « peut être un phare de moralité pour le monde entier ».
Lau a dévoilé une initiative (lien en hébreu) baptisée « Meet in the Sukkah » (« Se rencontrer sous la soucca »), qui se déroulera au cours de la semaine prochaine et verra des personnes ayant des visions du monde différentes se réunir pour dialoguer sous les cabanes temporaires traditionnelles construites pour Souccot.
« Peut-être que – dans cet espace – parviendrons-nous le temps d’une semaine à respirer ensemble, à sortir de la rigidité de la maison familiale, à échapper à l’entêtement des cloisons obstructives, et à en ressortir avec plus d’espoir pour une vie d’unité », a-t-il déclaré.
Les manifestations ont également eu lieu alors que la Haute Cour examine des recours déposés contre plusieurs lois litigieuses adoptées par le gouvernement, dont une qui limite le contrôle judiciaire des décisions gouvernementales en utilisant le critère juridique du « caractère raisonnable », et une autre qui interdit aux tribunaux ou au procureur général d’ordonner à un Premier ministre de se récuser.
La deuxième audience des recours déposés contre les deux textes législatifs – qui modifient les Lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël et qui n’ont jamais été invalidés par la Haute Cour – s’est achevée jeudi.
Les membres de la coalition ont menacé à plusieurs reprises de ne pas se conformer à un tel arrêt s’il était rendu, et le Premier ministre Netanyahu a refusé de s’engager à le faire.
Le Premier ministre Netanyahu a refusé de dire si son gouvernement se conformerait à un éventuel arrêt de la Cour dans cette affaire. Par ailleurs, de nombreux députés de la coalition ont clairement indiqué qu’ils ne se conformeront pas à une éventuelle décision de la Haute Cour concernant la loi du « caractère raisonnable » ou ont refusé de dire qu’ils le feraient.
Les décisions sur ces deux questions ne sont pas attendues avant un certain temps, mais elles pourraient donner lieu à un affrontement sans précédent avec le gouvernement s’il rejette tout ou partie de la législation, et pourraient précipiter une crise constitutionnelle sans précédent.