60 ans après, le massacre de Kafr Kassem est « une blessure qui saigne encore »
Des responsables arabes et israéliens ont marqué l’anniversaire de l’évènement, mais pour certains, les causes, notamment l’Élection du Peuple juif, ne sont pas réglées
Dov Lieber est le correspondant aux Affaires arabes du Times of Israël

KAFR KASSEM – Le mot était passé, depuis les commandants de la région : tuer tous les villageois arabes qui ne respecteront pas le couvre-feu. C’était le 29 octobre 1956, le premier jour de la campagne d’Israël dans le Sinaï, et l’armée craignait que des raids traversent les villages près la frontière jordanienne, la Ligne Verte actuelle.
De nombreux villageois de Kafr Kassem n’étaient pas au courant de ce couvre-feu, et sur leur chemin, le soir, une unité de la Police des Frontières a abattu 43 hommes, femmes et enfants, et en a blessé 13 autres. Six arabes israéliens ont été tués dans les affrontements qui ont suivi. Plus tard, le juge israélien qui s’est occupé de l’affaire a qualifié l’ordre d’ouvrir le feu d’acte « ouvertement illégal ».
Soixante ans plus tard, lors d’un évènement organisé au centre culturel de Kafr Kassem, un panel s’est réuni, parmi lesquels figuraient l’ancien chef du Shin Bet (les services des renseignements), un rabbin, des députés arabes israéliens à la Knesset, ainsi que des universitaires. Ils ont conclu que les blessures devaient encore guérir.
Ils soutiennent également que les conditions qui ont causé cet accident se sont empirées.

L’un des intervenants était Ami Ayalon, un ancien politicien qui dirigeait le Shin Bet et ancien commandant de la flotte militaire israélienne.
« Je présente des excuses, au nom de mon pays, dont les soldats ont tué des citoyens innocents. La marque de Caïn ne sera effacée que lorsque que chacun d’entre nous transmettra cette histoire à ses enfants », a déclaré Ayalon, qui occupe désormais le poste de chef du programme de la sécurité nationale à l’Institut Démocratique d’Israël, à l’origine de cette rencontre.
Le rabbin Michael Melchior, un ancien ministre et grand rabbin de Norvège, a déclaré qu’Ayalon avait déjà dit tout ce qu’il comptait dire, et a donc déposé ses notes, et a prononcé un discours « du fond du cœur ».
Melchior s’est adressé à l’assemblée comme d’un pupitre dans une synagogue (il dirige effectivement une communauté à Jérusalem, citant les textes saints, rapportant les paroles des rabbins, et notamment celles du visionnaire sioniste religieux, le rabbin Abraham Isaac Kook.
Il a déclaré que l’horreur de ce massacre n’a été surpassée que par le fait que ceux qui l’ont perpétré ont été rapidement relâchés de prison, et certains d’entre eux ont même eu de l’avancement. »

« Cela a suscité beaucoup de questions sur l’essence de l’existence [d’Israël]. J’ai été élevé dans une école juive. J’y ai appris pourquoi nous sommes juifs et pourquoi nous existons. En tant que juifs, nous sommes supposés construire une société modèle. Reconnaître ce massacre est essentiel pour notre existence ici, afin de construire cette société modèle. »

Le regretté président israélien Shimon Peres avait présenté des excuses pour ce massacre, en 2007, lors d’une visite au village pour la fête musulmane d’Aïd al-Adha. En 2014. Reuven Rivlin est devenu le premier président en exercice à participer à la cérémonie annuelle.
Le maire de Kafr Kassem, Adel Badir, a décrit la tragédie comme « une blessure qui saigne encore », et soutient que cet acte était délibéré, et qu’il émergeait de préjugés et normes qui sont encore d’actualité.
Le député Issawi Frej (Meretz), résident de Kafr Kassem, a déclaré que l’atmosphère anti-arabe qui régnait en 1956 est « encore plus forte » aujourd’hui.
Il a avancé que la notion d’Élection du peuple juif nourrit un sentiment de supériorité, et contribue à la diabolisation de l’autre.
Frej a également souligné que plus de 4 000 personnes se sont rassemblées dans le village samedi, pour commémorer le soixantième anniversaire du massacre. Pour lui, ce massacre ne tombait pas dans l’oubli, bien au contraire. Il laisse une marque grandissante sur les résidents.
« Il est du devoir de l’État de reconnaître et d’assumer ce massacre et tout ce qu’il implique, et nous lutterons pour. Même si cela doit prendre un siècle », a-t-il déclaré.

Après la rencontre, le Times of Israel a demandé à Frej ce qu’il attendait comme excuses de la part du gouvernement, pour le massacre de 1956.
« Premièrement, il faudrait inclure ce massacre dans les programmes éducatifs juifs et arabes, et les leçons que l’on en a tiré. Deuxièmement, que les jeunesses juives et arabes internalisent le récit de l’autre. Nous ne voulons plus de : ‘je fais partie du peuple Élu, et il est juste invité’, mais plutôt le contraire. »
Du progrès pour Kafr Kassem
Sarsour Mustafa, âgé de 72 ans, dont le grand père est né dans le village, raconte que cette rencontre a « rapproché les deux nations ».
Mustafa évoque le massacre comme un souvenir. Un de ses camarades d’école a été tué.
« C’est un progrès pour Kafr Kassem », dit-il. Il indique que chaque année, davantage de personnes se rendent au village pour commémorer cette tragédie.