À Amsterdam, la lutte contre l’antisémitisme passe par l’autodéfense
Les projections d'émigration et les discussions sur les permis de port d'arme sont au cœur d'un événement international organisé aux Pays-Bas dans l'ombre des violences anti-Juifs
AMSTERDAM – Lors d’une conférence juive internationale près de la capitale néerlandaise, des participants brandissant des couteaux à beurre se tenaient face à des homologues non armés dans une atmosphère de tension.
Un instructeur a crié « allez-y » et les participants armés se sont élancés vers ceux qui ne l’étaient pas, qui ont crié « stop » et ont fait de leur mieux pour bloquer l’attaque avec un bras, donner un coup de poing ou griffer avec l’autre – et s’enfuir.
Cette scène inhabituelle s’est déroulée lundi dans le cadre d’une session de formation à l’autodéfense organisée par l’Association juive européenne (AJE) à l’occasion de sa réunion annuelle, qui rassemble quelque 150 délégués venus de tout le continent.
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Elle reflétait un besoin accru d’autonomie et une désillusion croissante quant à la capacité ou à la volonté de certains pays et institutions de l’Union européenne (UE) de protéger les Juifs européens, qui constituaient déjà une minorité malmenée avant l’explosion des actes antisémites qui ont suivi l’assaut barbare et sadique du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre et la guerre qui s’en est suivie dans la bande de Gaza.
Le rabbin Menachem Margolin, directeur de l’AJE, qui a co-organisé la conférence cette semaine, a cité les niveaux records d’actes antisémites signalés l’année dernière dans les pays européens, notamment en France (augmentation de 284 % par rapport à 2022), au Royaume-Uni (+ 146 %), aux Pays-Bas (+ 245 %) et en Allemagne (+ 36 %). Il a souligné l’hostilité de certains hommes politiques de l’UE et de ses États membres à l’égard d’Israël, ce qui, selon lui, incite à l’antisémitisme.
« Nous sommes arrivés à un point où les mots ne suffisent plus. Nous devons agir, et la première action que nous devons entreprendre est de pouvoir nous défendre de nos propres mains contre les personnes qui veulent nous faire du mal », a déclaré Margolin pour expliquer la décision d’enseigner l’autodéfense lors du rassemblement, où de nombreux participants étaient des dirigeants communautaires âgés de plus de 60 ans.
Le groupe de Margolin, a-t-il dit, fait pression sur les gouvernements européens pour obtenir des réglementations qui permettraient aux Juifs qui se sentent – ou sont présumés – menacés par des attaques antisémites d’obtenir plus facilement des permis de port d’armes.
« Certains Juifs étaient auparavant beaucoup plus réticents à cette idée, mais les dirigeants de la communauté s’y intéressent de plus en plus. Certains d’entre eux ont commencé à porter une arme eux-mêmes », a souligné Margolin.
Ernst de Reus, un dirigeant des Juifs hollandais de la région méridionale du Limbourg, a suivi la formation d’autodéfense avec son épouse Rivkah, qui a demandé à demi-mot à l’instructeur d’y aller « doucement » avec son mari lorsqu’il l’a invité pour une démonstration.
« Nous avions une certaine expérience des arts martiaux il y a quelques années, donc cela nous a semblé naturel, mais en même temps, on se rend compte qu’il faut encore beaucoup d’entraînement pour que la mémoire musculaire se mette en place », a expliqué Ernst de Reus au Times of Israel. « Ce que je retiens surtout, c’est que même dans une telle situation, qui malheureusement devient de plus en plus fréquente de nos jours, vous n’êtes pas sans défense. Il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire, même si vous êtes un peu plus âgés que nous », a-t-il assuré.
L’instructeur d’autodéfense, qui travaille avec des membres de la communauté juive d’Anvers, majoritairement ultra-orthodoxes, a déclaré que 600 personnes s’étaient inscrits à ses cours depuis le 7 octobre, soit dix fois plus que l’année précédente.
À défaut de pouvoir les battre, il faut savoir renoncer
L’approche des dirigeants de la communauté juive à l’égard de l’alyah – l’immigration des Juifs en Israël – a été longuement débattue lors de la conférence. Margolin s’est autrefois publiquement opposé aux appels lancés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu aux Juifs européens pour qu’ils viennent s’installer en Israël. Mais il a changé d’avis. « Mon message au Premier ministre israélien est le suivant : ‘Nous n’en sommes pas encore là, mais soyez prêts, préparez vos agences gouvernementales, car des milliers de Juifs d’Europe occidentale arriveront bientôt.' », a déclaré Margolin.
L’Agence juive pour Israël s’attend à voir arriver cette année plus de 3 200 olim hadashim – ou nouveaux immigrants – en provenance de la seule France, soit trois fois plus qu’en 2023.
L’AJE n’appelle pas les Juifs à immigrer en Israël, a précisé Margolin. « C’est un choix individuel. »
Mais il envisage un scénario de fuite des Juifs d’Europe. « Je ne cherche pas à contrarier qui que ce soit, mais nous devons être réalistes. Avant que les gens ne déménagent, ils doivent vendre des biens. Lorsqu’il apparaîtra clairement [que c’est le cas], il pourrait y avoir un effet domino : il pourrait y avoir une pénurie d’acheteurs, les prix pourraient chuter, les gens pourraient devoir vendre à perte, ce qui déclencherait une fuite effrayante et désordonnée. Nous sommes à un moment où nous devons vraiment prévoir une telle éventualité », a déclaré Margolin.
Joël Mergui, président du Consistoire de Paris, qui a co-parrainé l’événement dans un hôtel adjacent à l’aéroport Schiphol d’Amsterdam, a déclaré aux journalistes : « Depuis la Shoah, il n’y a jamais eu autant de Juifs en Europe qui ont dû repenser leur avenir. »
Après le 7 octobre, Mergui a déclaré avoir fait le tour des communautés juives françaises pour leur dire « de ne pas avoir peur ». Avant d’ajouter, que « lorsque nous avons vu les jeunes s’agiter sur les campus universitaires, avec les attaques antisémites qui se produisent tout autour de nous, nous commençons à nous demander si nous avons [encore] le droit de ne pas avoir peur ».
Il a attribué cette réalité à « la montée de l’islamisme radical, qui est une nouvelle forme de totalitarisme comme nous l’avons vu dans le nazisme il y a 80 ans ». Les Juifs ne sont que les premières victimes de cette évolution, a-t-il ajouté, « mais nous avons l’impression que le monde ne saisit pas tout à fait la gravité de la situation ».
Les préoccupations en matière de sécurité ont été l’une des raisons pour lesquelles les organisateurs ont tenu la conférence à Schiphol plutôt qu’en ville, a également déclaré Margolin.
Les Juifs envisagent d’occuper un campus européen
Lors de la conférence, un jeune rabbin et un ancien dirigeant d’une communauté juive européenne planifiaient leur propre action, avec une non-juive experte en antisémitisme, autour d’une collation au coin café. Ils prévoient la première occupation par des Juifs d’un campus universitaire européen au cours de l’été, en réponse aux dizaines d’actions de ce type menées par des militants anti-Israël et pro-palestiniens.
Les raisons d’une telle action sont doubles, a déclaré l’ancien dirigeant communautaire, sous couvert d’anonymat. « Tout d’abord, il s’agit de montrer notre présence et de faire entendre notre voix, évidemment », a-t-il déclaré. « D’un point de vue plus stratégique, dès que les administrations des campus se rendront compte que les émeutes et le désordre se répandent, elles seront plus enclines à les réprimer. »
Les universités de Paris, d’Amsterdam, de Bruxelles et d’ailleurs ont connu de multiples occupations, dont certaines se poursuivent, par des étudiants qui protestent contre Israël et l’accusent de génocide. Dans certaines localités, les occupations de campus se sont accompagnées de violences et de discours de haine, notamment à l’encontre des Juifs en tant que groupe.
Plus de 37 000 personnes seraient mortes à Gaza depuis le début de la guerre, selon le ministère de la Santé du Hamas. Les chiffres publiés par le groupe terroriste sont invérifiables, et ils incluraient ses propres terroristes, tués en Israël et à Gaza, et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.
L’ONU indique que quelque 24 000 victimes ont été identifiées dans les hôpitaux à ce jour. Le reste du chiffre total est basé sur des « informations médiatiques » plus obscures du Hamas.
Israël dit avoir tué 15 000 terroristes au combat. Tsahal affirme également avoir tué un millier de terroristes à l’intérieur du pays le 7 octobre.
L’événement organisé à Schiphol a réuni de nombreux orateurs non juifs, notamment du groupe Christians for Israel, qui a co-parrainé la conférence avec le ministère israélien des Affaires de la Diaspora.
« Sachez que vous n’êtes pas seuls », a déclaré le pasteur Frank Heikoop, président de l’association Christians for Israel International, dans un discours prononcé lors de la conférence.
Le grand rabbin néerlandais Binyomin Jacobs, qui travaille en étroite collaboration avec les Christians for Israel, a qualifié le soutien de leurs communautés à Israël et aux Juifs de « rayon de lumière dans une situation très sombre ». Mais Jacobs, qui est également enseignant, a souligné les difficultés auxquelles sont confrontés les éducateurs. « S’il y a de la haine dans le foyer, on n’y a pas accès. Vous n’avez pas la clé », a-t-il déclaré.
Lors de la dernière session de la conférence, les quelque 160 participants ont adopté à l’unanimité une résolution qui, outre des déclarations de soutien à Israël et à la liberté de religion en Europe, critiquait Josep Borrell. Le plus haut diplomate de l’UE est de facto le ministre des Affaires étrangères de l’UE.
Borrell, qui a accusé Israël d’être à l’origine de la famine à Gaza et d’avoir « créé » le Hamas, a « contribué de manière significative à l’antisémitisme actuel et à la diffamation de l’État d’Israël », peut-on lire dans la résolution dont les termes sont inhabituellement sévères.
Le bureau de Borrell n’a pas répondu à la demande de commentaire du Times of Israel.
Dans son discours à la conférence, Katharina von Schnurbein, coordinatrice de la Commission européenne pour la lutte contre l’antisémitisme et la promotion de la vie juive, a énuméré les efforts entrepris par son bureau pour freiner les attaques, y compris la promotion d’une plus grande responsabilité des plateformes Internet pour permettre les incitations à la violence antisémite.
Mais von Schnurbein, une alliée précieuse des Juifs européens qui a été ovationnée lors de la conférence, a également reconnu une réalité qu’elle a qualifiée « d’absurdité » après le 7 octobre, lorsque quelque 3 000 terroristes du Hamas ont assassiné près de 1 200 personnes en Israël et en ont enlevé 251 autres, parmi d’autres crimes de guerre et atrocités.
« La pire attaque contre les Juifs depuis la Shoah », a-t-elle déclaré en faisant référence au 7 octobre et à la Shoah, « a conduit au plus haut niveau d’antisémitisme dans le monde depuis la Shoah ».
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