Carbone, un film musclé d’Oliver Marchal pour raconter l’arnaque du siècle
Le réalisateur de la série Braquo s'est emparé de l'histoire de cette arnaque dont le bilan global s'élève à 1,6 milliard d'euros de préjudice au fisc
Une fraude tentaculaire à 385 millions d’euros, 36 suspects de tous horizons, dont une ex-enseignante marseillaise parmi les rôles principaux : le procès avait été le plus gros dossier d’escroquerie à la TVA sur le marché des quotas d’émissions de carbone.
Pour le scenario, il suffisait presque de se baisser pour le ramasser, tant l’histoire réelle dépassait déjà la fiction de film noir en termes de rebondissements, de meurtres, et de sommes engagées.
Olivier Marchal, réalisateur de films policiers – 36, Quai des orfèvres, Gangsters, Les Lyonnais au cinéma, et la série Braquo– s’est donc emparé du sujet. Gérard Depardieu, un habitué de l’ancien flic réalisateur est aussi de l’aventure, il est le beau-père d’Antoine Roca, à l’origine de l’arnaque, « un homme ordinaire, menacé de perdre son entreprise » qui « met au point une arnaque qui deviendra le casse du siècle. Rattrapé par le grand banditisme, il lui faudra faire face aux trahisons, meurtres et règlements de compte » résume le synopsis
On y retrouve Laura Smet et Mickael Youn est Laurent Melki, conseiller et ami de Roca.
En 2013, 3 juges ont demandé un procès devant le tribunal correctionnel pour 36 personnes dans un volet hors-norme de la fraude à la TVA sur le marché des droits à polluer, considérée comme une spécialité du milieu franco-israélien. Bilan global de « l’escroquerie du siècle » : 1,6 milliard d’euros au préjudice du fisc.
Une équipe hétéroclite
Dans ce volet « marseillais », ils sont avocat, comptable, retraité, serveuse ou salarié de bar-tabac, soupçonnés à des degrés divers d’avoir participé au détournement et blanchiment de plus de 385 millions d’euros de TVA, au préjudice de l’Etat, selon l’ordonnance des juges Aure Buresi, Serge Tournaire et Guillaume Daieff, dont l’AFP a eu connaissance.
La vaste arnaque s’est nouée depuis la région de Marseille entre 2006 et 2009 autour de Christiane Melgrani, 59 ans, « ingénieure commerciale » dans une société de bâtiment, après avoir été enseignante en mathématiques et gérante de bar. Déjà condamnée notamment pour trafic de drogue et escroqueries, la Marseillaise est considérée comme « l’une des actrices principales » de cette fraude à la TVA qu’elle aurait commencé à tester dès 2006, selon une source proche du dossier, ce dont elle se défend.
L’ampleur de la fraude n’avait été découverte qu’en 2009 lorsqu’un signalement de Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, avait repéré les activités suspectes des sociétés Energie Groupe et RIDC (Realson International Development Corporation). A leur tête, des retraités comme gérants de paille recrutés parmi les proches de Christiane Melgrani.
Comptes offshores
Les juges soupçonnent la Marseillaise d’avoir monté un réseau de sociétés fictives opérant sur le marché des droits à polluer pour détourner la TVA perçue au moment de leur revente. L’argent s’est ensuite volatilisé dans les circuits de blanchiment de sociétés en Europe et de comptes offshores.
Incarcérée, Christiane Melgrani devra répondre d’ « escroqueries à la TVA et blanchiment en bande organisée » et d’ « association de malfaiteurs », aux côtés de deux autres protagonistes clés de la fraude, poursuivis des mêmes chefs d’accusation : Gérard Chetrit, lui aussi écroué et Eric Castiel, installé en Israël et sous le coup d’un mandat d’arrêt.
Les enquêteurs ont aussi mis en évidence l’implication d’un avocat marseillais, Arié Goueta, « intervenu à chacune des étapes » de l’escroquerie et le « rôle important » d’un acteur de la fraude « Carbone », Grégory Zaoui, dans la « dissimulation » du produit de la fraude. Visé par un mandat d’arrêt depuis le 25 juillet, il a été condamné mercredi dans une affaire similaire dite « Crépuscule » à six ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Une arnaque redoutable
En 2008 et 2009, une série de fraudes à la TVA ont prospéré sur le marché des droits à polluer conçus pour lutter contre le réchauffement climatique.
Sur le modèle d’une fraude classique à la TVA, des sociétés fictives achetaient des droits d’émission de CO2 hors taxe dans un pays étranger, avant de les revendre en France en encaissant la TVA, puis d’investir les fonds dans une nouvelle opération. Sauf que la TVA n’était jamais reversée à l’État.
Avec ce produit dématérialisé, à la traçabilité opaque, ne nécessitant ni transport ni stockage, le « carrousel de TVA » se révélait encore plus facile. « C’était tentant. C’est un peu le voleur qui raconte avoir volé une voiture parce que le garage était ouvert », glisse un avocat de ces dossiers.