Comment les élections en Israël ont mis en surchauffe un vérificateur des faits
Noa Barak, de l'association The Whistle, a démystifié les affirmations de Liberman concernant une interdiction de la circoncision, la fraude électorale de masse et plus encore
Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël
Selon de fausses allégations, des journalistes et des célébrités de premier plan ont soutenu le Premier ministre pour un autre mandat. Un faux article a lui annoncé qu’un chef de parti était déterminé à interdire la circoncision. Une fausse citation d’un homme politique de premier plan dénigrait ostensiblement ses rivaux en raison de leur appartenance ethnique. On a aussi pu voir passer de fausses allégations selon lesquelles les élections d’avril auraient été volées.
Dans les semaines qui ont précédé les dernières élections israéliennes du 17 septembre, des rumeurs folles et de fausses représentations des faits ont largement circulé avant que la vérité, comme on dit, n’ait eu l’occasion d’éclater.
Cela ne se produit pas seulement ici, bien sûr ; Israël n’est pas le seul pays à connaître un environnement d’information chaotique. Une étude récente du Pew Research Center a révélé, par exemple, que plus de la moitié des sondés américains ont déclaré avoir partagé une nouvelle dont ils savaient ou ont appris ultérieurement qu’elle avait été inventée.
Lors d’un événement à Tel Aviv, un expert israélien et son homologue allemand ont comparé leurs notes lors d’une table ronde sur le rôle joué par la désinformation et la propagande lors des récentes élections dans leurs deux pays.
Noa Barak, directrice de la recherche et du développement d’une organisation à but non lucratif appelée The Whistle : The Israeli Fact-Checking Organization (Le sifflet : l’organisation israélienne de vérification des faits), a déclaré à l’auditoire qu’une grande partie de la désinformation préélectorale que son organisation avait suivie sur les réseaux sociaux concernait moins des questions politiques que des rumeurs non fondées visant des politiciens spécifiques.
« Sur les réseaux sociaux, nous avons vu beaucoup de rumeurs et de fausses déclarations sur les principaux candidats. [Le chef du parti Kakhol lavan] Benny Gantz a été une figure éminente de la désinformation, tout comme [le candidat du Camp démocrate et ancien Premier ministre] Ehud Barak. Il y a eu beaucoup de calomnies à l’égard des rivaux politiques et beaucoup de fausses déclarations attribuées aux politiciens », a-t-elle dit, s’adressant au public en anglais.
Mme Barak, dont l’organisation surveille les déclarations des politiciens et ce qui a été dit à leur sujet sur les réseaux sociaux, a également cité Stav Shaffir, membre de la Knesset du Camp démocrate, comme une victime de la désinformation.
« Shaffir aurait dit qu’elle n’aimerait pas que des Juifs mizrahi dirigent le Parti travailliste, faisant référence à Amir Peretz et Orly Levy. Elle n’a jamais dit ça. »
Une autre désinformation répandue, au nom de Barak, était l’affirmation selon laquelle Avigdor Liberman, le chef de Yisrael Beytenu, avait dit qu’il espérait supprimer complètement le commandement juif de la circoncision.
« Nous avons vu de faux tweets qui semblaient provenir de Liberman disant qu’il proscrirait la circoncision. Ce n’est jamais arrivé. »
« D’autre part, a-t-elle ajouté, il y a eu beaucoup de faux soutiens à des politiciens, en particulier pour Netanyahu [censément] par des journalistes comme Ehud Yaari et Avri Gilad et aussi par des célébrités comme Ninet Tayeb. »
L’organisation pour laquelle travaille Mme Barak, The Whistle, a été fondée il y a deux ans et demi et a commencé ses activités en janvier sous les auspices du journal économique israélien Globes. Sa « mission initiale », a-t-elle dit, consistait à vérifier les déclarations des politiciens dans les médias grand public et sur leurs comptes rendus des réseaux sociaux.
« En fait, nous avons un étudiant qui écoute des heures d’entretiens tous les jours et qui note les déclarations de faits qui peuvent être vérifiées. » Les résultats de ces contrôles sont publiés dans une chronique quotidienne de Globes.
Il y a cinq mois, The Whistle s’est donné une deuxième mission, surveillant plus particulièrement les réseaux sociaux, et a rejoint le programme de vérification des faits [fact-cheking] de Facebook.
« Il y a une nouvelle fonction sur Facebook qui vous permet de signaler un message comme étant une fake news ou une fausse nouvelle », a déclaré Barak. « Facebook envoie ces messages marqués à des tiers qui vérifient les faits. Facebook n’a pas son mot à dire sur ce qui va être vérifié et quel sera le résultat du contrôle. »
Toutefois, les comptes Facebook des politiciens ne sont pas soumis à cette vérification des faits, car Facebook craignait qu’une telle surveillance ne porte atteinte à la démocratie ou à la liberté d’expression, a-t-elle dit. Au lieu de cela, d’autres nouvelles partagées sont vérifiées.
Une fois que The Whistle a vérifié un message sur Facebook, il peut le juger « faux », « en partie faux » ou « malhonnête », a dit Barak. Si le message est jugé non conforme aux faits, Facebook en informera l’éditeur du message ainsi que tous les utilisateurs qui l’ont partagé.
« Facebook ne supprime pas le contenu. Les gens peuvent toujours partager l’information qu’ils veulent partager. Mais ils sont prévenus et obtiennent un lien vers notre vérification. »
Barak a dit que le discours sur les réseaux sociaux, selon son expérience, est « beaucoup, beaucoup plus sauvage que le discours politique [des médias traditionnels et hors ligne] ».
Elle a ajouté qu’une autre différence est que dans les médias grand public, les politiciens font souvent de fausses déclarations sur des questions de politique, alors que sur les réseaux sociaux, les mensonges que son organisation a vus avaient tendance à être au sujet de quelque chose qu’un politicien avait dit ou fait.
« Les politiciens dans les médias grand public disent des choses qui ne sont pas vraies sur les questions financières, le système de santé ou le conflit [palestinien]. C’est triste, mais il y a une bonne nouvelle, car cela signifie que les politiciens croient toujours que le public se préoccupe de ces questions, par opposition à de simples ragots, calomnies et rumeurs folles. »
Non seulement certains politiciens israéliens parlent encore de questions de fond, a fait remarquer Mme Barak, mais certains se sont même corrigés après que The Whistle eut souligné leurs erreurs.
Une des personnalités politiques qui l’ont fait, mais qui n’est plus à la Knesset, était Michal Rozin de Meretz. « Nous avons tweeté une rectification à l’un de ses tweets. Elle a dit : ‘Vous savez quoi. Vous avez raison. Je retire ce que j’ai dit.' »
Mais la rétractation de Rozin était atypique, dit Barak.
« Nous voyons quelques exemples de politiciens qui ne cessent de répéter les mêmes fausses affirmations. Et nous les corrigeons encore et encore. Et finalement, ils modifient leurs déclarations.
Naftali Bennett de Yamina, l’ancien ministre de l’Éducation, par exemple, a affirmé à plusieurs reprises que le nombre d’élèves du secondaire qui ont passé le baccalauréat de mathématiques de cinq unités avait doublé sous sa direction.
« Le nombre d’étudiants n’a pas doublé [pendant son mandat de ministre]. Il a pris un chiffre initial de trois ans avant sa candidature. Mais ensuite » – après que l’inexactitude lui ait été signalée – « il a fini par cesser de dire cela, et a commencé à dire ‘presque doublé' ».
« Peu de politiciens admettront publiquement qu’ils avaient tort », a fait remarquer Mme Barak. « Nous en avons eu un qui a admis lors d’un appel téléphonique que nous avions raison. Mais je comprends, c’est très embarrassant à admettre. »
Allégations de fraude électorale
Mme Barak a déclaré que la désinformation la plus importante de la campagne électorale de septembre était peut-être l’affirmation selon laquelle il y aurait eu une fraude électorale majeure lors des élections nationales précédentes en avril.
« Il y a eu notamment une déclaration du Premier ministre lui-même, qui a prétendu que les élections avaient été volées au Likud du fait de fraude électorale, notamment dans le secteur arabe. Il a dit que cela avait coûté au Likud deux sièges à la Knesset. C’est devenu une affaire importante.
« Après cette déclaration, nous avons assisté à une déferlante de politiciens, en particulier de droite et du Likud, qui ont répété cette affirmation. Il y avait des centaines de messages et de tweets diffusant cette information. Cela a conduit à une tentative d’adoption d’une loi sur les caméras [qui aurait permis aux membres du parti d’amener des caméras dans les bureaux de vote], qui n’a finalement pas été adoptée », a-t-elle dit.
Dans une vidéo en direct sur Facebook le 3 septembre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré : « Nous ne les laisserons plus voler nos élections. Il s’avère qu’il y a eu fraude électorale à grande échelle lors des élections précédentes et j’estime que s’il n’y avait pas eu cette fraude, nous aurions obtenu 61 sièges à la Knesset et nous aurions pu former un gouvernement et épargner à notre État d’Israël ces [nouvelles] élections inutiles. »
« Et maintenant, ils essaient encore de voler les élections, et nous essayons d’empêcher cela en installant des caméras dans tous les bureaux de vote. »
Parallèles avec l’Allemagne
Le Dr Henning Lahmann, chercheur principal à la Digital Society Institute de l’ESMT Berlin et chercheur invité à l’Israel Public Policy Institute, financé par la Fondation Heinrich Boll, a évoqué les trois campagnes électorales cette année en Allemagne : l’élection nationale du Parlement européen en mai, ainsi que les élections nationales en Saxe et au Brandebourg en septembre.
« Depuis 2015, nous voyons des récits sur la migration. Depuis l’augmentation du nombre de réfugiés syriens et d’autres migrants en provenance du continent africain, les partis de droite et d’autres groupes nous parlent de la montée de la criminalité et de la fin de la culture occidentale en Europe », a-t-il dit.
En Saxe, dit Lahmann, il y a eu un mème qui s’est répandu que « si nous continuons sur notre lancée, nous n’aurons plus le droit de manger du porc en Allemagne dans les cinq prochaines années ».
M. Lahmann a déclaré que si la question des migrants a dominé le discours lors des dernières élections, des accusations de fraude électorale ont également été formulées en Allemagne.
« Il y a eu une histoire dans le Brandebourg selon laquelle il y avait eu des votes pour le parti de droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui n’avaient pas été comptés. Il s’est avéré que c’était faux à au moins 80 %. »
M. Lahmann a déclaré que le parti de droite AfD a vu son soutien augmenter régulièrement au cours des dernières années, mais qu’il y a également eu des réactions de rejet. « Il y a aussi eu une tendance inverse. Donc on ne sait pas ce qu’il en est. Il est difficile de dire quel impact a eu la désinformation sur les réseaux sociaux. »
Lahmann a ensuite déclaré au Times of Israel que la facilité avec laquelle les contrevenants peuvent cacher leur identité en ligne est un gros problème.
« Les discours de haine et la négation de la Shoah sont contraires à la loi en Allemagne. Mais vous devez être capable de montrer qui est derrière tout ça, de prouver qui en est responsable. »
M. Lahmann a déclaré que l’anonymat sur Internet n’est pas entièrement une mauvaise chose et que, dans les pays répressifs, il donne aux dissidents et aux contestataires la protection dont ils ont besoin pour se faire entendre.
Interrogé sur l’existence d’outils en ligne permettant de retracer l’origine d’un mème ou d’un texte, Lahmann a fait mention de Tracemap, une startup berlinoise.
Différents pays, mêmes problèmes
Mme Barak a déclaré à l’auditoire qu’elle avait assisté à la conférence de vérification des faits Global Fact 6 au Cap, en Afrique du Sud, en juin, avec plus de 250 participants représentant 55 pays.
« C’était incroyable pour nous tous de voir à quel point nous venons tous de pays différents et de scénarios politiques et sociaux complètement différents et que nous connaissons tous des problèmes similaires. Par exemple, nous avons beaucoup de problèmes techniques similaires. Comment rendre notre travail plus efficace, parce que c’est un travail très fastidieux. Il faut deux minutes à quelqu’un pour dire quelque chose de faux et je peux ensuite passer trois jours à vérifier les faits. Il y a donc la question de savoir comment accélérer les choses. »
Mme Barak a déclaré qu’un autre défi auquel sont confrontés les vérificateurs de faits du monde entier est de savoir comment discerner si une photo a été trafiquée. Elle a brièvement enseigné à l’auditoire comment utiliser la « recherche d’image inversée » de Google.
Mais Mme Barak a déclaré que la principale conclusion qu’elle en a tirée est que la vérification des faits ne peut à elle seule résoudre le vaste et écrasant problème de la désinformation à l’ère du numérique. « Il n’y a pas de remède à la désinformation », déplore-t-elle.
« Nous ne pouvons pas leur dire constamment les faits », a-t-elle ajouté, les aidant à faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, et, en tout cas, « ils ne vont plus nous croire longtemps ».
La seule solution, dit Barak, c’est l’éducation : « Nous devons éduquer les gens, les former à faire la différence entre les types de contenu. C’est une situation tellement effrayante et désordonnée sur le plan culturel dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Les gens ont besoin de savoir qui est quoi. »
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