Comment un scientifique « accidentel » a reçu le prix Nobel
Robert Lefkowitz relate sa carrière qui a débouché sur une découverte utilisée dans 50 % des médicaments approuvés par la FDA
Le Dr Robert Lefkowitz se souvient très bien de cet appel téléphonique qui a changé sa vie reçu tôt le matin depuis Stockholm il y a près de neuf ans. A 69, après des décennies de recherche, il recevait la plus haute
distinction : le prix Nobel.
Aujourd’hui, ce scientifique juif américain, lauréat 2012 en chimie réfléchit à sa vie dans Une chose amusante s’est produite sur le chemin de Stockholm : comment l’adrénaline a engendré une découverte accidentelle.
« Ce type d’appel téléphonique est une expérience incroyable pour quiconque ayant remporté un prix Nobel » a déclaré Lefkowitz au Times of Israel. « Vous savez à ce moment-là que votre vie va changer du tout au tout. »
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Lefkowitz et son ancien stagiaire post-doctoral Brian Kobilka ont partagé le prix, assisté à la cérémonie Nobel et aux banquets, point culminant d’une série de festivités de 10 jours en Suède qu’il compare au Super Bowl le dimanche. En effet Lefkowitz – qui fait partie de la faculté du Duke University Medical Center depuis 1973 – a aussi été honoré par le légendaire entraîneur de basket-ball masculin de l’université, Mike Krzyzewski, lors d’une cérémonie au cours de laquelle les étudiants ont scandé : « Il est si intelligent ! » C’est à lui qu’est revenu le premier lancer lors d’un match de baseball de ligue mineure dans la ville natale de Duke, à Durham, en Caroline du Nord. Ce qui ne fut pas le cas avec ses chers Yankees de New York.
Lefkowitz est un fan des Yankees depuis son enfance dans le Bronx. Il est diplômé de la prestigieuse Bronx High School of Science et de l’Université Columbia où il a fait son premier cycle à la faculté de médecine. Dans les années 1960, avec un nouveau médecin nommé Anthony Fauci, Lefkowitz a participé à un programme gouvernemental unique durant la guerre du Vietnam avec les récents diplômés des écoles de médecine.
Dans un des chapitres du livre, il décrit la relation que sa famille entretient avec la Shoah. Bien que ses grands-parents aient fui la Pologne plusieurs dizaines d’années avant la Seconde Guerre mondiale, d’autres membres de sa famille ont péri dans la Shoah. Lefkowitz a visité la ville natale de ses ancêtres à Czechostowa, en Pologne. Il y a vu les pierres tombales de membres de sa famille dans le cimetière juif abandonné.
Lefkowitz a co-écrit le livre avec un autre ancien post-doctorant, Randy Hall. Il espère que ses collègues scientifiques le liront, mais aussi des lecteurs profanes et, peut-être, des jeunes intéressés à devenir comme lui médecin-scientifique.
Les bérets jaunes
C’est la guerre du Vietnam qui a donné à Lefkowitz sa vocation de chercheur. Marié en première noce à Arna Gornstein, il avait fondé une famille. Comme nombre de personnes de sa génération, il considérait cette guerre comme illégale et immorale et ne voulait pas être enrôlé. Le « US Public Health Service » a été pour lui une alternative, car elle proposait un programme aux récents diplômés des écoles de médecine, qui ainsi s’engageaient à travailler durant deux ans pour le gouvernement. C’est ainsi qu’il est entré à l’Institut national de la santé. (National Institutes of Health).
L’admission à l’institut n’était pas facile pour ceux que l’on surnommait en plaisantant les Bérets jaunes. Trois autres futurs lauréats du prix Nobel ont été acceptés la même année que Lefkowitz – Harold Varmus, Michael Brown et Joseph Goldstein – et Fauci. Parmi les chercheurs qui ont suivi les huit années d’existence du programme, on compte 10 autres futurs lauréats au Nobel.
Des décennies plus tard, Fauci et Lefkowitz ont eu successivement présidé l’Association of American Physicians. Lefkowitz a déclaré que Fauci – qu’il dit être « un bon ami » – travaille « sans relâche » pour superviser la réponse au COVID-19 aux États-Unis, ce qui est « assez remarquable » à 80 ans.
Lefkowitz affirme qu’il est de plus en plus rare qu’un médecin cumule en même temps la recherche et la médecine et déplore que seuls 10 % des scientifiques le font aujourd’hui.
C’est le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui : « D’où viendra le prochain Tony Fauci ? »
Les récepteurs qui ont permis le Nobel
Une grande partie de la recherche de Lefkowitz au cours des 50 dernières années a porté sur une partie d’une cellule appelée récepteur, nécessaire au fonctionnement d’un médicament ou d’une hormone.
« J’ai consacré ma carrière », a-t-il dit, « en essayant de comprendre, de clarifier, d’étudier la nature des récepteurs hormonaux et médicamenteux. Quand j’ai commencé, il n’y avait aucun consensus là-dessus. »
Puis il a prouvé l’existence d’un type de récepteurs appelés bêta adrénergiques. « Adrénergique » qui est un dérivé de « l’adrénaline ».
Au début des années 1980, l’adrénaline était un sujet en plein développement. L’équipe de Lefkowitz étant en concurrence avec d’autres institutions, dont l’Université hébraïque de Jérusalem.
« Essayer de cloner le gène du récepteur bêta est très technique et
difficile », a déclaré Lefkowitz. « Dans le livre, quelques chapitres sont aussi consacrés à cette intense compétition entre chercheurs. »
Non seulement Lefkowitz a réussi, mais il a aussi découvert que les récepteurs bêta adrénergiques font partie d’une famille plus large appelée récepteurs couplés aux protéines G ou GPCR. Selon le site Web Nobel, ce sont ses recherches sur les GPCR qui lui ont valu le prix Nobel.
« D’autres scientifiques se sont lancés en utilisant les technologies que nous avions développées », a déclaré Lefkowitz. « Nous savons aujourd’hui qu’il existe 1 000 récepteurs différents. Les processus physiques chez les humains et les autres mammifères sont désormais identifiés… comment nous voyons, comment nous sentons, comment nous goûtons… tout ce qui se rapporte au moins à trois des cinq sens. »
Les implications sur le long terme sont nombreuses, a déclaré
Lefkowitz : « Je pense que la plus importante d’entre elles est que ces récepteurs sont facilement transformables en médicaments. » Il en est ainsi de la moitié environ de tous les médicaments approuvés par la FDA aux États-Unis.
Il a également découvert un processus qui concerne des récepteurs appelés désensibilisation. Ce mécanisme empêche le récepteur de recevoir le signal d’une hormone ou d’un médicament, ce qui amène « au développement de nouveaux types de médicaments », a-t-il expliqué.
Les GPCR et la désensibilisation ont été découvertes au cours de la même période de 12 mois, de 1986 à 1987.
« C’est parfois incroyable de voir comment les choses surgissent ensemble », a déclaré Lefkowitz.
« Nous avons fait deux découvertes vraiment importantes et fondamentales cette année-là. »
Tout au long de sa carrière, se souvient-il, « les gens m’avaient dit : ‘Bob, c’est sûr que tu vas gagner le prix Nobel’… [Les années] ont passé. Cela ne s’est pas produit. Au milieu des années 2000 « j’en suis presque arrivé à la conclusion que je n’allais jamais remporter le prix. »
Puis tout s’est précipité en octobre 2012, avec l’appel téléphonique de Stockholm à 5 heures du matin.
« Avant de décrocher, j’ai compris que quelque chose se passait », a déclaré Lefkowitz. « Effectivement, c’était le président du comité du prix de
chimie. »
Et puis tout s’est bousculé durant la journée « les téléphones sonnent … il y a des conférences de presse et des gens qui appellent pour féliciter, ainsi que 1 500 courriels de collègues. »
Dans sa biographie rédigée à la première personne sur le site Web Nobel, Lefkowitz explique qu’en 2012, il faisait partie des 33 lauréats juifs du prix Nobel, qui avaient fréquenté les lycées publics de New York, dont beaucoup étaient enracinés dans les migrations juives d’Europe de l’Est entre 1881 à 1924. On trouve notamment cette même année le Dr Alvin Roth, co-lauréat en Sciences économiques.
Un dimanche Super Nobel
La cérémonie Nobel a lieu le 10 décembre, anniversaire de la mort d’Alfred Nobel et fête nationale en Suède. Avant le voyage transatlantique, Lefkowitz a participé à la traditionnelle rencontre des lauréats du prix Nobel américains avec leur Président. Lefkowitz a donc rencontré le président de l’époque, Barack Obama, et a qualifié ce moment de grand privilège et de plaisir.
Quant à ses 10 jours de séjour en Suède, Lefkowitz demeure émerveillé par le faste, les interminables balcons de la grande salle où se tient la cérémonie, le banquet avec 1 500 personnes, et celui plus intime la nuit suivante organisé par le roi et la reine de Suède.
Le prix est constitué d’une médaille en or 18 carats et d’un diplôme rédigé à la main selon l’art calligraphique suédois. Une peinture de son prix est accrochée dans son bureau à Duke.
Les lauréats prononcent deux discours. Le premier est consacré à leurs réalisations primées. Dans le second, ils peuvent aborder d’autres thèmes et procéder à des remerciements. Lefkowitz a pour sa part critiqué sans le citer un parti politique américain qui nie la science, le changement climatique et les vaccins. Le commentaire télévisé diffusé en direct en suédois a suggéré qu’il critiquait le Parti républicain.
« Je n’ai jamais cité le ‘Parti républicain’ », a signifié Lefkowitz, ajoutant que les médias suédois « suivent notre politique de suffisamment près ».
« Beaucoup de gens imaginent que c’est Trump qui a créé la vision anti-scientifique au sein du gouvernement », a déclaré Lefkowitz. « C’est totalement faux. Ce parti-pris l’a précédé. Il existait bien avant lui, mais Trump a élevé le déni de la science à une forme d’art. Malheureusement, il est un des éléments clés du Parti républicain depuis un certain temps. »
En revanche, « pour les Suédois, les héros sont des scientifiques et des intellectuels. Ils sont très fiers des lauréats du prix Nobel. »
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