Des proches d’otages appellent Jérusalem à annuler la parade de Pourim « insensible »
Le pays étant en guerre et des otages toujours retenus à Gaza, ces célébrations ont été annulées à Tel Aviv et à Holon ; le maire de la capitale maintient la marche mais en change le nom
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »

Le projet de tenir à Jérusalem le premier défilé de Pourim depuis 42 ans a suscité l’ire des habitants de la ville, des familles des otages détenus à Gaza et d’autres personnes directement touchées par le 7 octobre et la guerre qui a suivi. Ils considèrent que cette manifestation publique de joie et le caractère fantaisiste de la fête ne sont pas appropriés en temps de guerre.
Une pétition en ligne appelant le maire Moshe Lion et le conseil municipal à reconsidérer la tenue de l’événement lundi 25 mars avait recueilli plus de 6 500 signatures jeudi après-midi.
Jeudi, le maire de Jérusalem a rencontré les représentants des familles d’otages, suite à une demande de changement de nom de l’Adloyada. Au cours de la réunion, le maire et les familles se sont mis d’accord pour que le défilé s’appelle désormais « Pourim uni » et non plus « Adloyada ».
Il y aura également moins de spectacles musicaux que prévu le long du parcours d’un kilomètre dans le centre de Jérusalem et le volume sera réduit, a déclaré un porte-parole de la parade. Le maire s’est présenté personnellement à chaque personne présente à la réunion, a déclaré le porte-parole, et a expliqué le processus qui a amené Jérusalem à décider d’organiser la marche cette année.
L’Adloyada, un défilé de carnaval réunissant entre autres des danseurs costumés et de la musique pour célébrer la fête juive de Pourim, est un événement annuel incontournable dans de nombreuses villes israéliennes. Jérusalem n’a pas organisé d’Adloyada depuis 1982. Le nom vient de l’abréviation d’une phrase araméenne du Talmud qui prescrit de boire jusqu’à l’ivresse dans le cadre des célébrations de la fête.
Cette année, par respect pour les familles d’otages, les personnes évacuées, les familles en deuil, les parents de soldats au front et le climat morose en général, Holon et Tel Aviv ont tous les deux annulé leurs défilés très populaires.
La pétition a qualifié la décision de Jérusalem de rétablir l’événement de « défilé extravagant et coûteux en temps de guerre et de destruction ».
« Tous les arguments allant dans le sens de ‘c’est pour cela que nous nous battons, c’est la seule façon de vivre et nous apportons de l’espoir à nos enfants’ ne servent qu’à masquer le manque de sensibilité et de solidarité face à une réalité qui a fondamentalement mal tourné », lit-on encore dans la pétition.

Avant la réunion de jeudi dans une tribune parue dans le journal local Kol Haïr, Dikla Alon, une habitante de Jérusalem, a appelé le maire et le conseil municipal à annuler le défilé et à utiliser les fonds alloués pour venir en aide aux familles et aux personnes âgées touchées par la guerre, « plutôt que de se livrer à un flamboyant gaspillage d’argent ».
Un autre signataire de la pétition a écrit : « Comment peut-on ainsi abandonner les familles et tous ceux qui se soucient d’elles… et prétendre que tout va bien. Ce n’est pas le moment de faire la fête. »
En dehors de la capitale, des familles d’otages ont également dénoncé l’insensibilité de la tenue de célébrations et d’événements pour Pourim, alors que 134 personnes sont toujours retenues en captivité à Gaza et que le pays est en guerre.
« C’est difficile parce que d’habitude, c’est moi qui organise les divertissements, les costumes, les fêtes », a confié Shai Benjamin, coordinatrice d’événements pour une entreprise de technologie, dont le père, Ron Benjamin, a été pris en otage le 7 octobre alors qu’il faisait du vélo près du kibboutz Beeri.

« Comment peut-on jouir de la vie en ce moment ? », a déclaré Benjamin au Times of Israel. « Personne n’a la tête à la fête cette année parce que nous sommes en deuil. Et il ne s’agit pas seulement de 134 personnes, mais aussi de leurs familles et de leurs amis. Il y a des soldats à Gaza. Je ne comprends pas comment les gens parviennent à faire la fête cette année. »
Comme d’autres, Benjamin estime qu’il est normal que les enfants se déguisent et organisent de petites manifestations pour Pourim à la maison, « mais pas de carnaval ».
Jérusalem célèbre Pourim un jour après la plupart du reste du monde. Les dernières parades de l’Adloyada ont eu lieu en 1957, puis en 1982, a indiqué Tamar Berliner, responsable des événements artistiques et culturels à Jérusalem, chargée de l’organisation de la parade.
« Je suis fière que Jérusalem le fasse », a déclaré Berliner au Times of Israel en début de semaine. « C’est trop facile d’annuler un événement culturel en temps de guerre. C’est un défi de planifier soigneusement un événement comme celui-ci lorsque Pourim est enveloppé dans la tristesse. »

Avant le changement de nom, la ville avait baptisé l’événement « Adloyada pour les enfants d’Israël », mettant ainsi l’accent sur les chars conçus et construits par des artistes locaux et le personnel des centres culturels locaux, avec l’aide d’étudiants et d’habitants de la ville, ainsi que de familles de réservistes et de personnes évacuées résidant à Jérusalem. Le char de tête est censé symboliser les otages.
Laura Wharton, membre du conseil municipal de Jérusalem, a déclaré qu’il y avait clairement des tensions entre les enfants et les jeunes qui veulent profiter de la fête et retrouver un semblant de normalité, et ceux qui vivent la douleur de la guerre et de ses tragédies.
« Ils ont reçu toutes les protestations », a indiqué Wharton, en faisant référence à l’hôtel de ville. Elle a ajouté qu’elle avait appris que 70 % du projet initial de défilé avait été abandonné, et que « le dialogue devrait être plus poussé, car il est possible de trouver des compromis ».
Ces détails n’ont guère d’importance pour les familles d’otages, lesquelles estiment que cette année n’est tout simplement pas celle des grandes parades.

Ayala Metzger, dont le beau-père Yoram Metzger a été pris en otage dans sa maison du kibboutz Nir Oz avec sa femme Tamar – cette dernière a été libérée à la fin du mois de novembre –, a demandé à la ville de Jérusalem de « démanteler » l’événement en le divisant en plusieurs manifestations plus petites organisées à travers la ville.
« Ce n’est pas le mieux cette année », a déclaré Metzger à Ynet. « Il y a beaucoup de familles dans notre entourage qui sont en deuil, qui sont effondrées, qui doivent gérer le fait que cela fait presque six mois que leurs proches sont retenus en captivité. »

Eyal Calderon, dont le cousin Ofer Calderon est retenu en otage à Gaza, a indiqué que ses jeunes enfants se déguisaient, « mais nous, bien sûr, n’allons pas faire la fête ».
« Nous ne ferons pas la fête et nous sommes contre les célébrations pour adultes, quelles qu’elles soient. Nous pensons que c’est inapproprié et honteux, en fait », a déclaré Carmit Palty Katzir, dont le frère Elad Katzir est toujours retenu en otage, et dont la mère, Hanna Katzir, a été libérée fin novembre, au premier jour d’une trêve de sept jours.
Elle a néanmoins confié au Times of Israel que ses trois enfants, âgés de 11, 9 et 4 ans, se déguiseront, car « il est important de conserver cette joie et cette tradition et de ne pas gâcher cette fête pour eux ».
La ville de Holon, connue pour sa gigantesque Adloyada annuelle, a annulé la parade en décembre, après en avoir discuté dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre.
« Il était très clair que personne ne voyait comment organiser la plus grande Adloyada du pays alors que le pays saigne », a expliqué Haïm Mesika, qui dirige le département des arts et de la culture de la ville de Holon. « L’État d’Israël n’est pas en joie. Nous avons attendu pour voir si nous pouvions trouver une lueur d’espoir, mais nous avons compris en décembre que cette année n’était pas la bonne. »

Holon a préféré organiser des événements dans cinq lieux différents pour les enfants, « parce que cela reste une fête, mais cette année, elle est plus discrète que d’habitude », a-t-il précisé.
Quant à la décision de Jérusalem d’organiser un défilé de Pourim cette année, après 42 ans de fête sans défilé, Mesika a déclaré : « Je pense que nos dilemmes étaient similaires à ceux de Jérusalem. Ce n’est tout simplement pas l’année pour faire la fête. »