Diamant d’investissement: Un « repenti » brise l’omerta du milieu franco-israélien
Un ex-vendeur revendiquant plusieurs arnaques dénonce l'industrie frauduleuse des diamants d'investissement reconvertie dans le Bitcoin et animée par beaucoup de Franco-israéliens
Durant la dernière semaine du mois de novembre 2017, une courte vidéo diffusée sur plusieurs réseaux sociaux a créé un certain remous dans le milieu des francophones établis en Israël.
Un homme se présentant comme un ancien vendeur de diamants d’investissement par téléphone, a dévoilé sur Internet les éléments saillants d’une « vaste escroquerie » : adresses des bureaux, noms des vendeurs et des victimes compris, tout y passe. Il cite en tout trois sites de vente par téléphone, tous situés à Tel Aviv.
Car le « repenti » est « devenu ami », explique-t-il, avec l’une des victimes de son ex-employeur, et réclame, pour elle, un remboursement de 15 000 euros correspondant au montant de l’arnaque dont elle a été victime.
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Résultat, il décide de poser un ultimatum à ses anciens patrons. « Remboursez-là, ou je parle à la police israélienne, » explique celui qui se présente comme ayant « un passé » en Israël. Et par la manière dont il parle de ce « passé », on déduit qu’il s’agit d’un « passé chargé ».
Durant un peu plus de 6 minutes, face caméra, et écouteur sur les oreilles, où voit donc sur la vidéo un homme âgé d’une petite cinquantaine d’années régler ses comptes. Et enfreindre la loi tacite imposant la discrétion – voire l’omerta – en vigueur dans le milieu des entreprises frauduleuses israéliennes dédiées – la liste n’est pas exhaustive – au Forex, aux options binaires, et aux diamants d’investissement.
Ce témoignage vient également appuyer l’idée que le Bitcoin est bien le nouveau produit d’appel de l’industrie frauduleuse israélienne.
Selon des informations récoltées dans l’une de ces entreprises soupçonnée d’être frauduleuses, mais également évoquées par Shmuel Hauser, le directeur de l’Autorité des titres israélienne (ATI) (équivalent israélien de l’AMF, l’Autorité des Marchés Financiers française) et confirmées par ce témoignage vidéo, le marché des Bitcoins et des crypto-monnaies serait le nouveau support d’une vaste escroquerie dont la méthodologie s’est peaufinée sur ces précédents produits.
« Petit message aux Français agissant depuis Israël »
La vidéo diffusée via WhatsApp, a aussi été partagée sur des groupes Facebook, dont certains sont dédiés à la recherche de travail en Israël pour francophones, et pullulent d’offres d’emplois pour le Bitcoin et les crypto-monnaies.
Sur Facebook, certains commentaires trouvent ce déballage « scandaleux » et traitent le repenti de « balance » ou de « vendu » pour les plus polis. Ils jugent que « donner le nom de juifs ne se fait pas ».
Sur ces groupes, on se demande également si sa démarche est « casher » aux yeux de la loi juive qui prohibe de parler d’autrui. « Il insulte et dénigre les Juifs, » tonne Y.-S. B., tandis qu’un de ses amis considère qu’ « avertir est une mitsva [un commandement religieux], au contraire ! ».
D’autres regrettent que cette « mafia » salisse la réputation d’Israël, et prophétisent une fin malheureuse aux escrocs : « tout se paye, » écrit l’une d’entre elle.
Le message
« Petit message aux Français, agissant depuis Israël dans leur plate-forme illicite de diamants d’investissement, et, quelque chose de nouveau depuis quelques mois, le Bitcoin, la monnaie virtuelle, » introduit le francophone. Alors qu’en fond on entend le chant d’un coq qui laisse deviner une résidence à la campagne, le « repenti » continue : « Vous savez ce n’est pas de chance pour vous mais j’ai fait ami avec Mme X. [nous avons choisi de ne citer aucun nom propre – ndlr] qui s’est faite arnaquée par M. Sinclair. Ce n’est pas son nom évidemment, il s’appelle XX. »
De manière un peu décousue, il continue, enchaînant les révélations : « Je les connaîs, toutes vos combines. Alors on va être clair, ce n’est plus une menace, ni une promesse, c’est juré sur la tête de mes enfants, » si Mme X, la nouvelle amie du « repenti » n’est pas remboursée, il prévient l’entreprise de vente de diamants. « C’est simple, ne m’obligez pas à rentrer en Israël, sinon j’irai direct m’asseoir chez les ‘keufs’ pour tous vous balancer, d’accord ? »
Nous ne connaissons pas l’identité de cet ex-vendeur, malgré nos tentatives pour le joindre, et il en dit peu sur lui. Mais il semble être connu dans un certain milieu : « Je crois que tout le monde connait mon passé. Ça n’a pas été facile, alors je n’ai pas envie de retourner en Israël, » explique-t-il.
Dans la partie la plus surprenante de la vidéo, l’individu parlant face caméra donne les adresses d’entreprises qu’il dénonce comme étant frauduleuse, des noms de victimes, et des noms d’employés. Par deux fois, et les mots semblent parfois avoir du mal à sortir de sa bouche, il donne le nom du patron de l’entreprise de vente de diamants.
Puis, quand il s’agit de prévenir les accusations de délateur qui l’attendent, il le sait, le ton monte : « Vous pensez que le Juif que je suis ne va pas balancer des juifs comme vous, pour des non-juifs comme eux. Vous vous mettez le doigt dans l’œil. Je vais me faire un malin plaisir, car j’ai la haine contre vous. Je vous répète vous avez jusqu’à la fin du mois pour rembourser ».
Selon lui , « c’est à cause de gens comme eux qu’il y a de l’antisémitisme ».
Il explique avoir un contact dans la police israélienne « qui parle français ». « Et c’est fou ce qu’ils ont envie de vous catcher [attraper – ndlr] ».
L’expérience commune montre que beaucoup de francophones installés en Israël connaissent au moins une personne ayant travaillé dans le milieu du Forex, des options binaires, aujourd’hui des diamants d’investissement. Un milieu qui a bénéficié d’une certaine indifférence de la police locale en raison de l’absence de réglementation. Mais cette impunité a commencé à prendre fin le 20 octobre dernier, lorsque la Knesset a voté une loi interdisant l’industrie des options binaires en Israël.
Cette loi est le résultat direct de l’enquête du Times of Israël sur la fraude, à commencer par un article publié en mars 2016, intitulé, « Les Loups de Tel Aviv : la vaste arnaque immorale des options binaires d’Israël exposée ». Mais les options binaires qui intéressent la justice israélienne semblent déjà faire partie d’un passé lointain pour les chefs de l’industrie frauduleuse.
Ce genre de dénonciation est rare. Mais elle donne à voir l’envers du décor du Tel Aviv balnéaire, policé, habité par de jeunes start-upers venant du monde entier. Elle montre à voir la réalité de ces entreprises frauduleuses qui emploient un grand nombre de olim français [immigrants juifs qui s’installent en Israël après avoir fait leur alyah] attirés par des salaires plus élevés.
Plusieurs éléments permettent de valider en partie la véracité du récit fait par ce « repenti ».
Parmi les victimes évoquées par l’homme de la vidéo, une a été identifiée par Guy Grandgirard, président de l’ADC Lorraine, une association de victimes de différents types d’arnaques à qui nous avons fait visionner ce court film.
L’ADC Lorraine compte aujourd’hui « au moins 55 dossiers concernant l’entreprise nommée dans la vidéo, pour un montant total faramineux.
Cette entreprise de vente de diamants d’investissements a aussi été signalée sur la liste noire de l’AMF en juillet dernier. Nous avons envoyé plusieurs questions via courrier électronique au site, mais l’adresse semble avoir été désactivée, et aucune réponse ne nous est parvenue.
Entre août et novembre 2017, sur Signal-Arnaques, un forum de signalement d’arnaques sur Internet, plus d’une vingtaine d’utilisateurs expliquent, ne pas « réussir à récupérer [leurs] fonds ».
Un autre explique « avoir été insulté par le soi-disant patron » au téléphone, et dénonce que le site a depuis été fermé.
Sur Signal-Arnaques, les victimes évoquent le nom de leurs interlocuteurs : Martin Lamotte, Marc Chopard, MM Duval, Sinclair, et Perrier, autant de noms, très probablement faux, et qui apparaissent dans la vidéo postée fin novembre par le « repenti », qui révèle à l’occasion leur véritable identité. Il désigne même parmi eux « les plus dégueulasses », sans donner davantage de détails.
Pour mémoire, certains vendeurs d’options binaires s’étaient déjà distingués par une froide indifférence, confinant à la cruauté, devant des victimes ruinées leur demandant de récupérer leur argent.
L’histoire de ce Canadien dépouillé par une société israélienne, qui choisit de se suicider, en est le plus triste exemple.
Sur le même site, d’autres victimes expliquent avoir « touché des intérêts jusqu’au mois de juin. Depuis plus rien ».
Les intérêts… « Sur ce site, ils sont très sophistiqués, soupire Grandgirard. En cela, ils se distinguent d’autres sites Internet de diamants d’investissements aux méthodes plus basiques. »
« On a deux choses qui sont très caractéristiques de cette entreprise qu’on ne trouve que sur leur site. Premièrement, les ventes de lots de diamants à plusieurs millions d’euros; le vendeur propose d’acheter un pourcentage du lot, pour 30 000, ou 100 000 euros. Ils sont deux seulement à proposer cela ».
Deuxième produit propre au site, selon Grandgirard : « le plan épargne diamants qui reverse chaque mois des intérêts ». Mis en confiance par ces mensualités bien réelles, dont le nom rappelle le rassurant plan d’épargne logement, les clients acceptent bien volontiers « le gros coup » que leur proposera un jour leur référent.
« Les personnes qui nous ont contactés en rapport avec ce site ont déposé des sommes qui vont de 950 euros à 600 000 euros. Nous avons plusieurs dossiers à 400 000 euros, et encore un autre à 500 000. Je suis très inquiet par le volume de cas qui nous arrivent chaque semaine, » affirme Guy Grandgirard. Des sommes qui laissent envisager l’ordre de grandeur du « chiffre d’affaire » de cette compagnie. Et qui donne un aperçu de leur capacité d’investissement pour de futures affaires.
« lls sont très inventifs, il faut l’avouer, continue Grandgirard qui, s’il se bat pied à pied contre les arnaqueurs depuis des années – il a réalisé à ce jour plus de 25 enquêtes publiées sur le site de l’ADC Lorraine – leur reconnaît volontiers une grande ingéniosité et « une forme d’empathie extraordinaire avec les consommateurs » qu’ils finiront par abuser.
Le coup des 3 taxes
« Quand le client réclame son diamant, continue-t-il, son référent lui annonce qu’il faut d’abord s’acquitter de la TVA. Une fois la TVA payée, le vendeur explique qu’il faut s’acquitter de la TTF ». La TTF, taxe sur les transactions financières, « est normalement à 0,3 % s’amuse Grandgirard. Eux ont inventé une TTF à 20 % ! C’est le ministre de l’Economie qui va être content d’apprendre que certains contribuables acceptent de payer ces taux ! ».
Malheureusement cela ne s’arrête pas là. « Une fois la TTF payée, on vous explique que les pierres viennent de Dubaï, » continue l’enquêteur de l’ADC Lorraine. Les victimes se voient alors expliquer que « le gouvernement de Dubaï a aussi créé une taxe. Vous voyez, à chaque fois que les gens pensent qu’ils vont récupérer leur sous, on leur sort quelque chose du chapeau. Certains ont ainsi été arnaqués 4 fois : à la vente, par la TVA, la TTF, et la taxe Dubaï ».
Grandgirard raconte l’aplomb avec lequel un vendeur de diamants d’investissements a répondu à une de ses victimes. Alors qu’elle lui explique que l’AMF signalait les produits de son entreprise comme « un placement à risque », il lui rétorque : « Nous avons justement un nouveau produit! Les crypto-monnaies, vous connaissez ? »
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