Dyscalculie politique sévère dans le camp anti-Netanyahu
Ceux pour qui le bien-être d'Israël exige que le Premier ministre soit battu ne briguent plus 61 sièges. Ils se dirigent vers 70 sièges, mais ne semblent pas vouloir compter
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Ces choses merveilleusement fiables, les chiffres. Ostensiblement immuables. Les chiffres, selon le cliché, ne mentent pas.
Et pourtant, lorsqu’il s’agit de former des coalitions au sein du Parlement israélien, les chiffres semblent tourbillonner sans fin, de façon déconcertante, presque mystique. Un seul homme semble vraiment être capable de les comprendre et de les utiliser : Benjamin Netanyahu.
Après les élections de mars dernier, les chiffres immuables ont trouvé 61 des 120 membres de la Knesset recommandant Benny Gantz comme Premier ministre. Le président Reuven Rivlin n’a pas eu à chercher plus loin : Il a chargé Gantz de former un gouvernement.
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Quelqu’un doute-t-il sérieusement que, si Netanyahu avait été dans la position de Gantz, soutenu par une majorité parlementaire très mince de politiciens radicalement différents, il aurait tenté de verrouiller sa coalition, de plier les idéologies politiques conflictuelles à sa volonté, justifiant ainsi tous les compromis nécessaires ?
Bien sûr qu’il l’aurait fait – précisément comme lui et son Likud se sont par intermittence blottis contre certains hommes politiques arabes et même contre l’Autorité palestinienne lorsqu’ils ont cherché à obtenir le soutien des Arabes dans la campagne actuelle, sans se laisser intimider par les accusations de Gideon Saar de complicité avec des « éléments hostiles ». Précisément comme il a ouvert la voie à la Knesset pour les disciples du rabbin raciste Meir Kahane d’Otzma Yehudit. Légitime ? « Certainement », a déclaré Netanyahu lors d’une récente interview télévisée, lorsqu’on l’a interrogé sur sa cashérisation du leader de Otzma, Itamar Ben Gvir. « Je veux attirer les voix », a-t-il plaidé. Ben Gvir fera partie de la coalition, mais il ne sera pas au gouvernement, a ajouté Netanyahu en guise d’explication, évoquant une distinction qui lui coupe les cheveux en quatre pour répondre à son objectif.
Comparez cela avec le comportement de Gantz en mars dernier. Sa tâche n’était pas simple. Il avait la majorité potentielle la plus étroite possible à la Knesset. Mais quand même, soutenu par ces 61 députés – depuis son propre allié faucon Moshe Yaalon à droite, jusqu’aux éléments non sionistes de la Liste arabe unie – il s’est figé, pris dans les feux de l’arithmétique. Il a exclu la Liste arabe unie en tant que partenaire de quelque nature que ce soit – soit au sein de la coalition, soit en la soutenant de l’extérieur. Et alors que certains de ses partisans s’éclipsaient, il a choisi, plutôt que d’envoyer à nouveau Israël aux élections, de rejoindre un « gouvernement d’unité d’urgence » avec Netanyahu, l’homme qu’il avait juré d’évincer. Le reste, c’est de l’histoire politique prévisible – les chamailleries sans fin avec Netanyahu, le budget de l’État qui n’a jamais été adopté, l’effondrement de la coalition après seulement sept mois. Et d’autres élections.
Ce qui se passe maintenant, cependant, est un hommage encore plus extraordinaire à la maîtrise magique de Netanyahu de ces fameux calculs tourbillonnants, et une fonction de la dyscalculie de ses adversaires.
Les sondages – peu fiables, changeants et, surtout, incapables de prédire quelle sera la participation au vote le jour du scrutin – indiquent que Netanyahu a une bataille difficile pour conserver le pouvoir. Ceux qui insistent sur le fait que le bien-être d’Israël exige qu’il soit vaincu ne se battent plus pour obtenir 61 sièges. Au contraire, les partis qui disent, dans leurs propres formulations, qu’ils ne veulent pas de Netanyahu comme Premier ministre – Yesh Atid de Yair Lapid, Tikva Hadasha de Gideon Saar, Yamina de Naftali Bennett, la Liste arabe unie, Yisrael Beytenu d’Avigdor Liberman, le Parti travailliste, Kakhol lavan et Meretz – se situent autour des 70.
Le Likud de Netanyahu, les deux partis ultra-orthodoxes et les sionistes religieux de l’alliance de Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir ne disposent pas de plus de 50 sièges.
Même en tenant compte du fait que le Meretz se situe depuis peu en dessous du seuil de 3,25 % de la Knesset, Netanyahu a beaucoup de travail devant lui pour obtenir une autre victoire.
Sauf que ses adversaires donnent tous les signes d’une incapacité à faire le calcul. Certains d’entre eux – notamment Meretz, Parti travailliste, et Kakhol lavan – se sont mis à s’attaquer les uns aux autres. Et ils croient aux chiffres égoïstes de celui-là même qui est un manipulateur indigne de confiance.
La bataille est devenue encore moins idéologique, et encore plus personnelle
Dans une leçon d’arithmétique électorale qu’il a publiée sur Facebook (en hébreu) la semaine dernière, Netanyahu s’est moqué du fait que Saar et Bennett ne pourraient au mieux obtenir que 25 sièges à eux deux, et seraient donc contraints de former une coalition incluant la répugnante gauche afin de le battre. Cela, selon la présentation de Netanyahu, serait désastreux pour Israël. Seul un gouvernement « entièrement de droite » sous sa direction peut protéger le pays, a-t-il déclaré – sans parler de ses tentatives de courtiser certains hommes politiques arabes, de son échec depuis plus de dix ans à étendre la souveraineté à la Cisjordanie et à neutraliser la Cour suprême, et de sa suspension indéfinie de l’annexion des implantations et de la vallée du Jourdain en échange d’un traité de paix avec les Émirats arabes unis.
Nonobstant le cours de mathématiques du Premier ministre, l’élection est plus facile à remporter cette fois-ci par le camp anti-Netanyahu car, depuis les dernières élections de mars 2020, deux des piliers de la droite israélienne, Saar et Bennett, l’ont rejoint. La bataille, en d’autres termes, est devenue encore moins idéologique – et encore plus personnelle.
Dans une longue interview accordée au Times of Israel la semaine dernière, Bennett a affirmé qu’il était le plus qualifié pour être Premier ministre, a condamné l’utilisation par Netanyahu de « la haine ou la polarisation comme outil » de promotion politique, et affirmé à propos du Premier ministre sortant : « Il est temps pour lui de partir. »
Saar, qui a déclaré qu’évincer Netanyahu était « l’impératif du moment », a déclaré au ToI il y a un mois que « si Netanyahu aujourd’hui était comme Netanyahu il y a dix ans, ou huit ans, il est probable que je le soutiendrais encore. Mais aujourd’hui, il agit, sans retenue, d’une manière qui porte atteinte aux intérêts de l’État ».
Dans un sondage publié jeudi dernier, 58 % des personnes interrogées ont déclaré à la Treizième chaîne qu’elles ne voulaient pas voir Netanyahu rester Premier ministre après les élections
La montée de Saar et Bennett dans les sondages est en partie due à la disparition du parti Kakhol lavan de Gantz, mais une part du soutien de ces deux partis de droite vient aussi du Likud.
En tout, 58 % des personnes interrogées ont déclaré à la Treizième chaîne, dans un sondage publié jeudi dernier, qu’elles ne voulaient pas voir Netanyahu rester Premier ministre après les élections, contre 33 % qui espèrent qu’il restera. La position des partis dans les sondages confirme ce message.
Netanyahu affirme à juste titre qu’il a facilité la campagne de vaccination israélienne, la plus importante au monde, qu’il a conclu quatre accords de normalisation dans les derniers mois de l’administration Trump et qu’il a insisté sur la nécessité d’empêcher les ayatollahs iraniens de se doter d’armes nucléaires. Pour une grande partie de l’électorat – gauche, centre et, maintenant, plus de droite qu’auparavant – tout cela est apparemment supplanté par ses attaques à l’encontre des hiérarchies des forces de l’ordre qui l’ont inculpé pour corruption, les aspects moins réussis de la lutte contre la COVID-19, et le sentiment plus général d’une prise de décision biaisée. Est-il en train de nous dire que nous serons en mesure de rouvrir complètement le pays en avril parce que c’est là que les données pointent vraiment, ou parce que cela sert ses intérêts pou se faire réélire ? A-t-il fait pression pour rouvrir complètement les écoles plus rapidement que ne le recommandent les professionnels de la santé parce qu’il croit vraiment qu’il en sait plus qu’eux et qu’il a une vue d’ensemble ou, encore, parce qu’il pense que cela lui vaudra un soutien dans la dernière ligne droite de la campagne prévue le 23 mars ?
Israël est sur le point de voter en plein milieu d’une pandémie. Des dizaines de milliers d’électeurs potentiels se sont retrouvés bloqués à l’étranger, l’aéroport étant en grande partie fermé depuis des semaines. Un grand nombre d’électeurs – y compris les personnes âgées mais aussi beaucoup d’autres qui se méfient du brouhaha des bureaux de vote – hésiteront à s’aventurer pour voter. Dans un pays qui a confiance en sa gouvernance, ce genre de problèmes serait résolu : Les Israéliens à l’étranger pourraient voter dans les ambassades ; les Israéliens à la maison pourraient être aidés par des bureaux de vote mobiles. De telles solutions n’ont même pas été envisagées en raison du climat de méfiance politique, de la conviction que tout système non éprouvé sera manipulé par des forces sans scrupules. Dans ce contexte, et compte tenu de la façon dont il se manifeste dans les sondages, le camp anti-Netanyahu est plus important et mieux placé que ne l’était Gantz il y a un an.
Il reste plus de deux semaines avant le jour du scrutin, et beaucoup de choses peuvent encore changer. Par exemple, la décision de la Cour suprême de justice, rendue lundi, selon laquelle les conversions au judaïsme des réformés et des massorti en Israël doivent être acceptées à des fins de citoyenneté, a galvanisé les campagnes des deux partis ultra-orthodoxes, où le taux de participation, habituellement très élevé, pourrait maintenant l’être encore plus.
Saar et maintenant Bennett ont laissé Netanyahu les traiter de « gauchistes honteux » pour qu’ils se dissocient du centriste Lapid
Mais si ces chiffres des sondages sont proches de la réalité et si Saar, Bennett, Lapid et Liberman peuvent se mettre d’accord, une fois les élections terminées, pour savoir lequel d’entre eux devrait être le premier à tenter de former une coalition, leur tâche serait probablement plus simple que celle de Gantz.
S’ils pouvaient s’unir derrière un candidat, alors ce dernier aurait probablement plus de recommandations que Netanyahu ne peut en rassembler, et serait chargé par Rivlin de former une coalition. Il pourrait avoir une majorité même sans le soutien de la Liste arabe unie, et pourrait voir les dirigeants ultra-orthodoxes frapper à sa porte également. Surtout si le candidat retenu est Saar ou Bennett.
Rien ne garantit cependant qu’un tel resserrement des rangs contre Netanyahu se produira. D’une part, Saar et maintenant Bennett ont permis à Netanyahu de les traiter de « gauchistes honteux » et de se dissocier à moitié du centriste Lapid. D’autre part, alors que Netanyahu est le candidat incontesté au poste de Premier ministre de son bloc, le camp anti-Netanyahu est plein d’ego opposés. Nous pourrions voir leur désir d’être Premier ministre permettre à Netanyahu de les manipuler à nouveau, même s’il est difficile d’envisager qu’un de ses rivaux accepte un arrangement de rotation dans lequel Netanyahu passe en premier – pas après l’avoir vu se soustraire à son accord avec Gantz.
Netanyahu se bat avec sa ténacité remarquable habituelle, en faisant exploser les médias israéliens avec des interviews dans lesquelles il exploite et rabaisse simultanément ses intervieweurs – dernièrement en chantant et en tirant sur les gens lorsqu’ils sont confrontés à des questions difficiles – et en mêlant les messages COVID à la propagande électorale pure et simple. Et il n’y a personne de comparable à Netanyahu et au Likud lorsqu’il s’agit de faire sortir les électeurs le jour du scrutin.
Mais tout cela pourrait ne pas être suffisant – si ses rivaux font les comptes et viennent à bout de leur ego. Mais s’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un candidat de consensus pour construire une coalition sans Netanyahu, alors on peut supposer que la nécessité de le remplacer n’est finalement pas « l’impératif du moment » après tout.
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