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Histoire du trope antisémite sur les Juifs et Hollywood repris par Dave Chappelle

En évoquant les récentes controverses impliquant Kanye West et Kyrie Irving, l'humoriste n'a pas vraiment innové en insinuant que "les Juifs dirigent l'industrie du cinéma"

Les magnats du cinéma américain Jack Warner, à gauche, et Louis Mayer, à droite, dans un bar, en 1940. (Crédit : Hulton Archive/Getty Images via JTA)
Les magnats du cinéma américain Jack Warner, à gauche, et Louis Mayer, à droite, dans un bar, en 1940. (Crédit : Hulton Archive/Getty Images via JTA)

JTA – Dans une émission Saturday Night Live de novembre dernier, Dave Chappelle voulait vraiment que son public sache qu’il y a beaucoup de Juifs à Hollywood.

« Je suis allé à Hollywood et je vais vous dire ce que j’y ai vu », a-t-il déclaré, marquant une de ses longues pauses habituelles. « Il y a beaucoup de Juifs. Vraiment beaucoup. »

Tout en suggérant qu’il n’est peut-être pas juste de dire que les Juifs dirigent l’industrie du divertissement, l’humoriste a déclaré que parvenir à cette conclusion n’est « pas insensé. »

L’épisode de Chappelle dans Saturday Night Live a attiré 4,8 millions de téléspectateurs lors de sa diffusion sur NBC (battant à plates coutures l’émission de l’humoriste juive Amy Schumer de la semaine précédente), et a été visionné plus de 8,1 millions de fois sur YouTube mercredi.

L’Anti-Defamation League (ADL) a rapidement dénoncé le monologue de Chappelle, le qualifiant d’antisémite. D’autres Juifs éminents ont également pris position.

« J’ai été très troublée de le voir parler, à des millions de personnes, des tropes antisémites », a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency Pamela Nadell, professeure à l’American University qui fait des recherches sur l’antisémitisme.

Mais Chappelle, qui faisait lui-même référence aux récentes controverses antisémites impliquant Kanye West et Kyrie Irving, n’a pas vraiment innové en insinuant que les Juifs dirigent Hollywood. Ce trope fait partie du show-business depuis ses premiers jours – quand, au sens propre, les Juifs dirigeaient Hollywood – ou les studios, tout du moins.

Dave Chappelle animant l’émission « Saturday Night Live », le 12 novembre 2022. (Crédit : NBC Universal via la JTA)

Presque tous les grands studios de cinéma ont été fondés au début du XXe siècle par des Juifs laïcs de première génération qui ont immigré aux États-Unis depuis l’Europe de l’Est. Carl Laemmle (Universal), Adolph Zukor (Paramount), William Fox (Fox), Louis B. Mayer (MGM) et Benjamin Warner (Warner) étaient tous des pionniers juifs du cinéma, posant les pierres angulaires de l’industrie qui allait suivre.

Mais le secteur s’est considérablement diversifié au cours du siècle qui a suivi, les studios ayant été largement avalés par des mastodontes. Et si les Juifs sont surreprésentés dans une industrie qui les a longtemps accueillis et récompensés, le danger rhétorique, selon Nadell, réside dans l’amalgame entre une forte présence juive dans l’industrie et la propriété et le contrôle de cette industrie.

« Les Juifs restent actifs à Hollywood à de nombreux niveaux, mais il serait incorrect de dire qu’ils dirigent Hollywood, qu’ils possèdent Hollywood », a-t-elle déclaré.

« Chaque fois que les Juifs entrent dans une position quelconque où ils pourraient avoir une influence sur des gens qui ne sont pas juifs, alors tout d’un coup, c’est vu comme une sorte de conspiration. »

Les théories du complot poursuivent les Juifs d’Hollywood depuis la naissance de l’industrie cinématographique. Parce que tant de Juifs dirigeaient Hollywood à ses débuts, Joseph Breen – qui a dirigé pendant des décennies le bureau du Code de production de l’industrie et a essayé de rendre les films acceptables pour les groupes moraux catholiques – a accusé « les Juifs » d’introduire en douce le sexe, la violence et la dépravation morale dans les films.

Mais leur ascension au sommet de l’industrie du cinéma naissante n’était pas due au fait qu’ils faisaient partie d’une quelconque cabale secrète. Selon les historiens, Hollywood ouvrait ses portes aux entrepreneurs, et ne possédait pas les garde-fous antisémites des industries plus établies.

L’extérieur du nouveau bâtiment du Warner Bros. Studio Tour Hollywood, à Burbank, en Californie, le 24 juin 2021. (Crédit : AP Photo/Chris Pizzello/Dossier)

« Il n’y avait pas de barrières sociales dans un secteur aussi nouveau et peu recommandable que celui du cinéma au début du XXe siècle », écrit l’historien Neal Gabler dans son ouvrage de référence de 1988 An Empire Of Their Own : How The Jews Invented Hollywood (« Un empire à eux : comment les Juifs ont inventé Hollywood »).

Dans ce livre, Gabler note que l’industrie cinématographique, issue d’autres professions comme le vaudeville et l’industrie du textile, où les Juifs avaient déjà trouvé un point d’ancrage, n’avait pas « les obstacles imposés par des professions plus nobles et des entreprises plus solidement établies pour empêcher les Juifs et autres indésirables d’entrer ».

Ainsi, les Juifs (en particulier les récents immigrants) ont pu prospérer dans le show-business contrairement à d’autres secteurs. Une fois qu’ils étaient en place, les liens familiaux – ou le phénomène général des groupes d’affinité – les amenaient souvent à recruter d’autres Juifs. Par exemple, l’incroyable producteur juif David O. Selznick, à qui l’on doit notamment « Autant en emporte le vent », « Rebecca » et bon nombre d’autres succès dans les années 30 et 40, a passé de nombreuses années chez MGM, dirigée par son beau-père, Louis B. Mayer.

« Des secteurs comme le cinéma, le textile et l’édition étaient attrayants pour les Juifs », a expliqué Nadell, « parce qu’ils étaient majoritairement exclus des autres secteurs de l’économie ».

Mais pour y parvenir, les éminents Juifs d’Hollywood devaient effectivement renoncé à leur judéité.

Louis B. Mayer, magnat du cinéma de 63 ans, et Lorena Danker, à gauche, assis à une table au Ciro’s à Hollywood, en 1948. (Crédit : Photo AP)

Désireux de s’assimiler à la société américaine, les Juifs qui dirigeaient ces studios étaient assaillis de toutes parts par des invectives antisémites – d’abord de la part de groupes chrétiens comme la Legion of Decency, puis de groupes anticommunistes. Tous deux accusaient les Juifs d’Hollywood de comploter pour miner la société américaine avec leurs mœurs légères.

Les chefs de studio juifs s’étaient donc abstenus de réaliser des films sur des thèmes juifs, d’éliminer les contenus antisémites – même dans leurs propres films – ou d’exercer leur influence d’une manière manifestement juive, même si un grand nombre des scénaristes et réalisateurs les plus célèbres de l’âge d’or d’Hollywood (Herman Mankiewicz, Ernst Lubitsch, George Cukor, Billy Wilder) étaient également juifs. « Gentleman’s Agreement », le film historique de 1947 sur l’antisémitisme, n’avait pas de producteurs, de réalisateurs ou de vedettes juives (bien que certains de ses scénaristes furent juifs).

Les Juifs d’Hollywood ont également fait tout leur possible pour éviter d’offenser Hitler durant l’ère nazie, en continuant à faire des affaires avec l’Allemagne et en évitant de présenter les nazis comme des méchants pendant les années d’avant-guerre.

Avec la disparition du système des studios dans les années 1960, les cinéastes juifs, de Mel Brooks à Steven Spielberg en passant par Natalie Portman, n’ont plus eu à cacher leur identité au public, mais en ont fait, au contraire, un élément essentiel de leur image publique. Dans une récente interview accordée au New York Times, Spielberg a reconnu que Hollywood avait été un lieu accueillant pour les Juifs lorsqu’il n’était encore qu’un jeune cinéaste.

« Être juif en Amérique, ce n’est pas la même chose qu’être juif à Hollywood », a-t-il déclaré lors de la promotion de son (excellent) film « The Fabelmans », qui retrace sa propre éducation juive. « Être juif à Hollywood, c’est comme vouloir faire partie du cercle populaire et être immédiatement accepté comme je l’ai été dans ce cercle, par énormément de personnes issues de la diversité mais aussi par beaucoup de personnes qui sont en fait juives. »

Le réalisateur Steven Spielberg prenant la parole lors de la cérémonie des Oscars à Hollywood, le 9 février 2020. (Crédit : Kevin Winter/Getty Images via JTA)

Pourtant, une telle affinité ethnique a souvent été jugée comme « complotiste ». « Hollywood est dirigé par les Juifs » et « appartient aux Juifs », avait déclaré Marlon Brando dans une interview de 1996 avec Larry King, affirmant, en outre, que les dirigeants juifs des studios empêchaient les stéréotypes antisémites d’être représentés à l’écran tout en les autorisant pour toutes les autres minorités « parce que c’est comme ça que vous faites un maximum d’audience ».

Malgré cette déclaration, qui a suscité de vives réactions de la part de groupes juifs, Brando était connu pour avoir des relations étroites avec des Juifs et pour avoir fait preuve d’une grande compréhension du judaïsme et de la culture juive tout au long de sa vie, et parlait apparemment assez bien le yiddish.

Cette atmosphère générale de suspicion à l’égard des Juifs dans le show-business s’est poursuivie jusqu’à nos jours, comme en témoignent les commentaires de Chappelle et de West. Dans les tweets qui ont précipité l’effondrement de ses partenariats, West a pointé du doigt des producteurs et des entrepreneurs juifs dans l’industrie du divertissement avec laquelle il était affilié, faisant écho à la façon dont les adeptes des théories du complot antisémites ont tendance à faire une fixation sur les Juifs qui occupent des postes de direction en dehors de l’œil du public.

Ignorant les nombreux dirigeants de l’industrie qui ne sont pas juifs, ces conspirationnistes ont tendance à se concentrer sur les hommes d’affaires et les avocats qui ont réussi à Hollywood et qui le sont, notamment Jeremy Zimmer, Ari Emanuel, Allen Grubman – et Harvey Weinstein, dont les décennies de harcèlements et d’agressions sexuels sont le sujet du nouveau film « She Said« .

L’avocat Allen Grubman, à gauche, et le rockeur John Mellencamp parlant sur scène lors de la 37e cérémonie annuelle d’intronisation au Rock & Roll Hall of Fame à Los Angeles, le 5 novembre 2022. (Crédit : Amy Sussman/WireImage via JTA)

Et de la même manière que Brando, Chappelle a suggéré qu’il y a deux poids, deux mesures lorsqu’on parle de groupes ethniques, les blagues sur les Juifs étant considérées comme taboues contrairement aux blagues sur les Noirs ou d’autres minorités. « S’ils sont noirs, c’est un gang. S’ils sont italiens, c’est une mafia. S’ils sont juifs, c’est une coïncidence et vous ne devez pas en parler. »

Alors que les Juifs – dans et hors de l’industrie – combattent ces insinuations, ils font également pression pour une plus grande visibilité. L’année dernière, l’inauguration du nouveau musée de l’Académie du cinéma à Los Angeles a presque entièrement omis les Juifs dans le récit de la fondation d’Hollywood, ce qui a provoqué une réaction négative de la part des Juifs de l’industrie. En conséquence, une exposition permanente consacrée à la contribution des Juifs a été annoncée.

L’épisode « Chappelle » a également rappelé la dynamique séculaire de la relation entre les Juifs et Hollywood : le producteur exécutif du « Saturday Night Live », Lorne Michaels, qui a vraisemblablement autorisé la diffusion du monologue, se trouve être juif.

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