Kaspenu, l’appli d’une olah de France pour lutter contre la vie chère en Israël
Une application citoyenne et gratuite aide les consommateurs israéliens à mieux acheter — et à avoir une vie plus saine

Dans un supermarché de Tel-Aviv, Yaëlle Ifrah scanne le code-barres d’un ketchup d’une grande marque. Sur l’écran de son téléphone s’affiche une note de 30 sur 100, accompagnée de la mention « moyen ».
Un indicateur coloré attire aussitôt l’œil : le Nutri-Score, un système d’évaluation qui classe les produits alimentaires de A à E, et du vert au rouge, en fonction de leur qualité nutritionnelle globale. Additifs controversés, taux de sucre ou de sel, niveau de transformation : tout est passé au crible.
« Ici, la lettre D en orange et la note 4 indiquent qu’il s’agit d’un produit ultra-transformé à consommer avec modération », commente-t-elle en faisant défiler les détails de la fiche nutritionnelle du produit.
Mais ce n’est pas tout : l’application affiche non seulement le prix moyen du produit en Israël et le tarif le plus bas constaté, mais aussi le prix moyen du même produit en Europe, souvent deux fois moins cher voire davantage, permettant ainsi aux Israéliens de constater cette différence.
Elle propose également des alternatives plus saines et parfois moins coûteuses.
Lancée début mai, Kaspenu (« notre argent », en hébreu) s’inspire de l’application française Yuka, qui a profondément modifié les habitudes de consommation en France.
L’application est téléchargeable sur l’AppStore et sur Google Play.
Née en banlieue parisienne et diplômée d’économie, Yaëlle Ifrah qui a fait son alyah avec sa famille en 2015, est une figure montante du militantisme contre la vie chère en Israël.

Elle s’est notamment fait connaître sur les réseaux sociaux, où elle décrypte les mécanismes opaques de la formation des prix et l’influence des monopoles.
Ancienne assistante parlementaire, elle dirige aujourd’hui l’association Maag’olot, qui accompagne des entrepreneuses dans le développement de leurs projets.
Kaspenu est l’aboutissement de plusieurs années de recherche et de veille, affirme-t-elle.
« J’ai voulu créer un outil accessible et gratuit, qui permette aux consommateurs d’accéder en temps réel à toutes les informations nécessaires pour faire les meilleurs choix — sans être influencés par la publicité ou le marketing. »
Kaspenu repose sur les bases de données publiques du ministère de l’Économie, alimentées chaque jour par les grandes chaînes de supermarchés, mais jusqu’ici largement sous-exploitées.
Le problème de la vie chère en Israël n’est pas nouveau — mais il persiste. Selon les données de l’OCDE, Israël se classait en 2024 au deuxième rang des 38 pays développés pour le coût de la vie, juste derrière la Corée du Sud.
Les produits alimentaires et les boissons y sont en moyenne 52 % plus chers que dans les autres pays membres.
Dans le détail : le pain et les céréales coûtent 49 % de plus que la moyenne, les produits laitiers et œufs 64 %, et les fruits et légumes 25 %.
En toile de fond, des facteurs structurels bien identifiés, analyse Omer Moav, professeur d’économie à l’Université de Warwick (Royaume-Uni) et à l’Université Reichman à Herzliya :
« Le marché israélien est dominé par une poignée de grands producteurs locaux et importateurs, ce qui limite la concurrence », explique-t-il. « À cela s’ajoutent des barrières à l’importation encore importantes, et une réglementation lourde qui freine l’arrivée de nouveaux acteurs. »
Selon lui, le gouvernement tarde à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour corriger ces déséquilibres.
Un immobilisme que Yaëlle Ifrah ne décolère pas de constater.
A LIRE : Comment une poignée d’entreprises contrôlent les prix, rançonnent les Israéliens
« Je propose aux Israéliens un outil de service public, à la place de l’État qui ne fait clairement pas son travail », assène-t-elle.
« Je ne vais pas résoudre le problème de la vie chère d’un claquement de doigts, mais Kaspenu est une première étape vers un véritable mouvement citoyen pour une société plus juste économiquement — dans un pays où les inégalités sont criantes. »
« Il faut casser ce discours fataliste typiquement israélien, cette idée qu’on ne peut rien changer », poursuit-elle.
A LIRE – Ce qui compte pour Rachel Gur : le problème du coût de la vie en Israël est soluble
Avec Kaspenu, elle mise sur une approche proactive : redonner du pouvoir aux consommateurs pour qu’ils pèsent sur les prix.
Mais l’enjeu ne se limite pas au porte-monnaie.
Il s’agit aussi de santé publique souligne-t-elle, dans un pays où le diabète de type 2 — souvent lié à une mauvaise alimentation et à la sédentarité — progresse fortement, y compris chez les jeunes, et où l’obésité infantile est en hausse inquiétante.

Yaëlle Ifrah, qui envoie aussi une newsletter régulière sur la situation économique en Israël, espère que Kaspenu pourra faire bouger les lignes, à l’instar de Yuka en France.
Lancée en 2017, l’application française a contribué à faire chuter les ventes de certains produits mal notés, poussant les marques à reformuler leurs recettes — en réduisant sucre, sel ou additifs — pour améliorer leur score.
Yuka a aussi contribué à changer le regard des consommateurs sur les grandes marques, en valorisant la transparence et en encourageant la demande pour des produits plus sains
Depuis son lancement, Kaspenu a déjà été téléchargée plus de 15 000 fois. Et les premiers retours sont très enthousiastes.
« C’est une très bonne initiative pour en savoir plus sur les produits : leur composition, leurs ingrédients… », se réjouit Chloé Flam, 34 ans, juriste et mère de deux enfants, qui vit à Ashdod, dans le sud d’Israël.
« Ce que j’aime aussi, c’est de pouvoir comparer les prix. Ça me permet de savoir si je paie un produit au bon prix ou trop cher. »
Depuis qu’elle a adopté l’application dans son quotidien, Chloé dit faire ses courses différemment. « À produit équivalent, je vais plutôt choisir celui qui a la meilleure composition. Et si la qualité nutritionnelle est similaire, j’achèterai le moins cher des deux. Ça me permet aussi de découvrir des produits que je n’aurais pas achetés avant. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.