Israël en guerre - Jour 585

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Reportage

La téléphonie casher : liberté du consommateur et coercition communautaire

Une nouvelle législation renforcerait les forfaits téléphoniques soumis à la censure rabbinique, ce qui soulève des questions sur les pressions et le contrôle internes de la société

Un homme marchant à côté d'une affiche de publicité pour Golan Telecom à Jérusalem, le 5 novembre 2015. (Crédit : Lior Mizrahi / Flash90)
Un homme marchant à côté d'une affiche de publicité pour Golan Telecom à Jérusalem, le 5 novembre 2015. (Crédit : Lior Mizrahi / Flash90)

Comme des centaines de milliers d’Israéliens issus des communautés ultra-orthodoxes, Daniel Saban a un forfait téléphonique qui bloque toutes les stations de radio grand public, les cinémas, les lignes d’assistance pour les questions de santé mentale et bien d’autres numéros jugés immoraux par les chefs spirituels de sa communauté.

Âgé de 34 ans et père de quatre enfants, originaire d’Ofakim (sud), Saban ne peut ni modifier ces filtres ni changer de forfait tout en conservant son numéro de téléphone actuel parce qu’il s’agit d’un abonnement dit « casher ».

Cette catégorie spéciale persiste en dépit des lois visant à donner aux consommateurs une plus grande liberté de choisir et d’adapter leurs propres forfaits. Pourtant, Saban n’est pas intéressé par la liberté offerte par ces lois : il soutient un projet de loi récemment présenté par des législateurs haredi à la Knesset visant à réduire ces lois de manière à ce que les restrictions sur les abonnements casher deviennent incontestables sur le plan judiciaire.

Ce projet de loi relance le débat sur les libertés des consommateurs dans le contexte des sociétés hiérarchiques haredi, et sur le rôle de l’État dans la prise en compte de leurs préférences.

Le nouveau projet de loi donnerait une base légale à la façon dont les opérateurs bloquent actuellement les abonnements des haredim, dont des numéros de téléphone sont identifiables et permettent de savoir qu’ils font partie de ces forfaits approuvés par les rabbins. Le projet de loi garantirait que ces abonnements restent imperméables à la réforme israélienne de 2005 sur la portabilité, qui a permis à la plupart des abonnés de changer d’opérateur ou de forfait tout en conservant leur numéro de téléphone.

Les opposants au projet de loi, qui a été approuvé en commission la semaine dernière en vue d’un vote en plénière, affirment qu’il renforce le contrôle des consommateurs par les rabbins et les opérateurs guidés par des intérêts financiers. Les partisans du projet de loi affirment qu’il permettrait à des centaines de milliers de consommateurs de bénéficier de garanties quant à l’intégrité du service téléphonique casher qu’ils achètent.

Saban explique que l’approbation rabbinique « fait partie du produit. Tout comme je ne mange que des aliments certifiés casher parce que j’ai besoin d’une approbation externe, je veux un téléphone avec une approbation externe, rabbinique ». Saban étudie à plein temps dans un kollel, un établissement religieux pour hommes mariés, a-t-il déclaré au Times of Israel.

Daniel Saban, tenant un sac en plastique, parle sur son téléphone portable à Ofakim le 10 octobre 2023. (Crédit : Canaan Lidor/Times of Israel)

Liberté religieuse ou coercition ?

Les législateurs de part et d’autre du débat ont commencé à se disputer sur la législation proposée presque immédiatement mercredi lors des discussions de la commission des affaires économiques de la Knesset qui ont conduit à la progression du projet de loi vers la plénière.

« Je suis surpris qu’un pluraliste s’oppose à ce projet de loi », a déclaré le président de la commission, David Bitan (Likud), en s’adressant au député travailliste Gilad Kariv. Pour Bitan, le projet de loi garantit que le produit répond aux attentes des consommateurs haredi.

Ce à quoi Kariv a répondu : « Je m’oppose à ce que l’on abuse du pluralisme pour limiter le choix des gens ».

Le député Avoda Gilad Kariv s’exprimant lors d’une réunion de la commission des Finances de la Knesset sur l’approbation des transferts budgétaires dans le système éducatif, à la Knesset, à Jérusalem, le 26 septembre 2023. (Crédit : Chaim Goldberg/Flash90)

Selon Kariv, les consommateurs haredi ont tout à fait le droit d’acheter des services de communication filtrés, mais ce qui est inacceptable, c’est l’arrangement qui transforme le téléphone portable en un moyen d’identification et de contrôle au sein de la communauté.

Kariv faisait référence au fait que de nombreuses communautés haredi attendent de leurs membres qu’ils utilisent des abonnements casher dont les premiers chiffres du numéro de téléphone sont identifiables (84/85 pour le préfixe 054, 71/76 pour 052, 41 pour 050 et 31/41 pour 053). En plus d’avoir des centaines de numéros inaccessibles, les abonnements casher pratiquent des tarifs élevés pendant Shabbat, même pour appeler les services d’urgence.

On attend des parents qu’ils donnent des numéros casher lorsqu’ils communiquent leurs coordonnées aux établissements scolaires de leurs enfants, ainsi qu’à d’autres institutions communautaires.

Permettre aux détenteurs d’abonnements casher de conserver leur numéro de téléphone et de résilier leur abonnement reviendrait à faire disparaître le marqueur social qu’est devenu le numéro de téléphone casher. Selon un homme d’affaires haredi de Bnei Brak qui s’est entretenu avec le Times of Israel sous le couvert de l’anonymat, cette mesure libérerait certains mais priverait d’autres de l’intérêt même du produit pour lequel ils paient.

Un enseignant brandit son téléphone portable certifiant qu’il est « casher », à l’entrée d’une école ultra-orthodoxe à Jérusalem, le 6 mai 2020. (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

L’homme d’affaires de Bnei Brak est l’un des nombreux haredim qui ont trouvé un moyen relativement simple de profiter du meilleur des deux mondes : il possède deux téléphones.

« D’un point de vue cellulaire, je mène une double vie », a déclaré l’homme d’affaires en plaisantant. « Je suis l’un des milliers de haredim qui possèdent un téléphone casher à des fins communautaires et un autre qui n’est pas casher », a-t-il ajouté. « Il est toujours possible d’obtenir une autre carte SIM. »

Mais tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir deux forfaits téléphoniques ou même deux téléphones dans la société haredi, où le salaire moyen est presque deux fois moins élevé que celui des non haredi, a concédé l’homme d’affaires.

« C’est une bonne chose, cela dit. Les jeunes étudiants de yeshiva ne devraient pas avoir un accès non filtré », a déclaré l’homme d’affaires, notant que les familles laïques filtrent également le contenu de leurs enfants.

Les consommateurs haredi ne sont pas des « moutons sans cervelle »

Saban condamne l’approche de ceux qui rejettent l’inamovibilité des forfaits de téléphone casher.

« C’est de la condescendance que de nous parler de tout cela comme si les rabbins décidaient et que nous n’étions que des moutons sans cervelle et sans droits de consommateurs. C’est hypocrite, car c’est une façon d’exercer un contrôle sur nous tout en prétendant nous protéger du contrôle des autres », a-t-il déploré.

La plupart des forfaits casher sont supervisés par la commission rabbinique pour les communications, un forum de grands rabbins issus de l’ensemble du spectre haredi. Son approbation est un facteur social important pour Saban, a-t-il déclaré.

« Lorsqu’un autre parent nous contacte pour que nos enfants aillent jouer les uns chez les autres, son numéro indique si son domicile est un lieu approprié », a-t-il déclaré.

Talking 24/7? Special telephones kosher for use on Shabbat have been unveiled. (photo credit: Nati Shohat/Flash90)
Un juif orthodoxe au téléphone en Israël. (Crédit : Nati Shohat/ Flash90)

De nombreux haredim, notamment les adeptes de la mouvance hassidique Habad, ont des numéros de téléphone qui ne correspondent pas à ceux du forfait casher, souvent parce qu’ils optent pour d’autres services de filtrage sans l’approbation de la commission rabbinique officielle.

De même, la plupart des abonnés à des forfaits casher n’utilisent pas de smartphones, que les rabbins haredi interdisent généralement à leurs fidèles d’utiliser. (La guerre contre les smartphones, menée par les radicaux haredi, est une question qui se recoupe mais qui est distincte des forfaits casher, qui s’appliquent également aux téléphones dits « dumbphones »).

Qui tire les ficelles ?

Les forfaits cellulaires casher posent un problème juridique depuis la réforme israélienne de 2005 sur la portabilité, qui a encouragé la concurrence et fait baisser les prix parce qu’elle a permis aux clients de changer d’opérateur sans perdre leur numéro. Les forfaits casher ont été exclus de facto de la réforme, laissant les filtres et les conditions de ces forfaits entre les mains de la commission rabbinique pour les communications.

En 2019, la Haute Cour de justice a été saisie par le Mouvement réformateur et trois groupes de défense des droits des homosexuels d’une requête visant à mettre fin à l’interdiction faite aux forfaits casher de mettre en place des lignes téléphoniques d’assistance pour les homosexuels. La Cour a ordonné à l’État de répondre, ce qui a incité les partis haredi à légiférer une exception qui résisterait à l’examen judiciaire.

Des hommes haredi protestent contre la vente de smartphones dans un magasin de téléphones portables à Jérusalem, le 22 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Trois ans plus tard, c’est au tour des haredim de saisir la Cour. Ils ont demandé à bloquer le projet du gouvernement visant à obliger les opérateurs à rendre les abonnements casher portables (ce qui signifie que les abonnés pourraient conserver leur numéro quel que soit l’opérateur ou l’abonnement). Le tribunal a émis une injonction qui a gelé le plan mené par le gouvernement des anciens Premiers ministres Naftali Bennett et Yair Lapid, qui n’avait pas de partenaires de coalition haredi.

Des abus de pouvoir ont été constatés dans la gestion des forfaits casher. Simcha Rothman, législateur de la coalition pour le parti HaTzionout HaDatit, a déclaré, lors d’une discussion à la Knesset en février, qu’il avait connaissance d’au moins un cas dans lequel une commission affiliée à une lignée hassidique avait bloqué les communications de ses lignes casher vers d’autres lignes casher gérées par des rabbins d’une autre lignée.

Le député HaTzionout HaDatit Simcha Rothman présidant une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le 20 juin 2023. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90/Dossier)

Le conseiller juridique de la commission de la Knesset, Itai Atzmon, a déclaré lors de la discussion de mercredi qu’en vertu de la nouvelle loi, les opérateurs devraient publier et respecter des critères de filtrage « égalitaires et transparents » pour les forfaits casher. Entre autres pratiques, il ne serait pas possible de couper la communication avec d’autres abonnés à des forfaits casher.

Saban, 34 ans, originaire d’Ofakim, est favorable à ces garde-fous.

« Il devrait y avoir des protections en place, c’est certain. Mais les cas individuels d’abus ne sont pas une raison pour interdire un produit légitime tout en prétendant que c’est pour notre bien, uniquement parce que les haredim l’utilisent », a-t-il déclaré.

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