Le 7 octobre a changé Israël pour toujours. Les ultra-orthodoxes, pas tellement, selon un rapport
Selon le rapport de l'Institut israélien de la démocratie, l'élan de solidarité des haredim avec le reste de la société a été éphémère

Dans les jours et semaines qui ont suivi les attaques sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, un vent de nouveauté a semblé souffler sur la société israélienne. Face au choc et au chagrin, des personnes venues de tous horizons, y compris du monde ultra-orthodoxe israélien, ont pris des initiatives pour venir en aide aux personnes qui en avaient besoin et faire changer les choses.
Seize mois plus tard, les initiatives de la communauté haredi en solidarité avec la population israélienne dans son ensemble semblent ne pas avoir fait long feu ni ouvert la voie à un changement permanent, estime le Dr Gilad Malach de l’Institut israélien de la démocratie. Malach est l’auteur du rapport statistique annuel de l’Institut israélien de la démocratie sur la société ultra-orthodoxe (Haredi) en Israël pour 2024, publié ce mercredi.
« Quand nous pensons aux haredim qui ont fait du bénévolat ou qui se sont présentés spontanément dans les centres de recrutement de l’armée, il convient de garder certaines choses à l’esprit », explique Malach au Times of Israel lors d’un entretien téléphonique.
« Tout d’abord, tout ceci a eu lieu dans les tout premiers mois qui ont suivi le 7 octobre. Ensuite, ceux qui se sont présentés pour s’engager dans l’armée étaient, pour l’essentiel, des hommes âgés de plus de 28 ans, et non des jeunes de 18 ans à même de servir dans des unités de combat – ressources dont l’armée a vraiment besoin. »
Malach évoque la polémique autour du projet de loi de conscription des jeunes ultra-orthodoxes, présenté dans le contexte du besoin criant de nouvelles recrues au sein de l’armée israélienne mais qui s’est heurté au refus catégorique des partis haredi.
En juin dernier, la Cour Suprême avait statué que le gouvernement avait pour obligation d’appeler les étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot sous les drapeaux, faute de cadre juridique permettant de continuer à leur accorder des exemptions, comme cela se pratiquait depuis longtemps.
Rien n’a vraiment bougé depuis en raison des réticences des ultra-orthodoxes à faire des compromis et à l’absence de volonté politique pour imposer la question à la Knesset.
Selon Malach, près de 1 500 hommes haredi ont été enrôlés au cours de la campagne 2023 (qui s’est terminée en juillet 2024 et dont les données ne figurent pas dans le rapport car l’armée ne les avait pas encore officiellement publiées).
Lors de la précédente campagne d’appel sous les drapeaux, ils étaient 1 266. Pour ce qui est du service national, dont les chiffres pour 2023 ont été publiés, 814 ultra-orthodoxes y ont pris part, contre 492 au titre de la précédente campagne.
« Il y a une légère augmentation, mais les chiffres restent négligeables si l’on considère que pas moins de 14 000 garçons haredi ont eu 18 ans au cours de l’année », poursuit Malach.

Selon le rapport, en 2013, 2925 hommes haredi ont fait leur service militaire et 953 ont effectué un service national.
Dans le même temps, le nombre d’étudiants des yeshivot, en janvier 2024, par rapport à janvier 2023, a augmenté de 8,5 %, le plus fort taux de croissance depuis 2015. Dans l’ensemble, le nombre d’étudiants des yeshivot et des kollels s’élevait respectivement à 46 200 et 111 000 en 2024. Le chiffre a augmenté de 83 % ces dix dernières années, alors que celui des Haredim faisant effectivement leur service dans l’armée israélienne a baissé de 36 %.
Au-delà de la conscription, le rapport de l’Institut israélien de la démocratie montre que le fossé entre les ultra-orthodoxes et le reste de la société israélienne s’est creusé ou, au mieux, est resté stable dans nombre de domaines étudiés, à commencer par l’éducation, l’emploi ou encore le mode de vie.
Au cours de l’année 2021-2022 (période des dernières données disponibles), 3 608 étudiants haredi ont obtenu un certificat de fin d’études – ce qui représente 16 % de leur population – contre 86 % des étudiants juifs ailleurs en Israël.

Même si elles ne sont pas définitives, les données de 2024 notent un ralentissement de la hausse du taux d’emploi chez les hommes ultra-orthodoxes – à 54 % en 2024 contre 55,5 % en 2023, comparés aux 87 % des autres hommes juifs en Israël. Inversement, près de 80 % des femmes haredi ont travaillé en 2024, un pourcentage très similaire au reste de la population féminine juive israélienne (83 %), soit une augmentation de 21 % par rapport à 2009.
En outre, le revenu mensuel moyen des employés haredi représente 55 % de celui du reste de la population, à 9 929 shekels contre 20 464 pour les hommes et 8 617 shekels contre 13 057 pour les femmes. Le rapport souligne que si pour ces dernières, l’écart s’explique essentiellent par le choix de travailler à temps partiel, pour les premiers, il est le résultat d’une moindre formation professionnelle et de leur surreprésentation dans des emplois moins bien rémunérés.
Avec un taux de chômage élevé, des salaires plus bas et un nombre élevé d’enfants (en moyenne 6,4 enfants par femme contre 2,5 pour le reste de la population juive israélienne), 34 % des familles ultra-orthodoxes vivaient dans la pauvreté en 2022, contre 15 % pour les autres ménages juifs et 21 % en tenant compte de la population générale.

« Nous réfléchissons à ce qu’il faudrait faire pour rapprocher le monde haredi du reste de la société israélienne et il y a, en la matière, un élément important à prendre en compte, à savoir que le monde haredi n’en a pas forcément envie », estime Malach.
« Prenons par exemple la société arabe : on voit qu’elle a pour objectif de se rapprocher des Juifs israéliens, que ce soit en termes d’emploi, d’éducation, etc. Les ultra-orthodoxes voudraient mieux gagner leur vie, mais ils ne sont pas prêts pour cela à recevoir une éducation plus laïque ni plus intéressés que cela à s’enrichir. »
« C’est la principale difficulté pour les autorités israéliennes », poursuit-il.
Selon Malach, il est important de reconnaître que certaines choses ont évolué, ces dernières années. Outre l’augmentation du taux d’emploi des femmes, le nombre d’étudiants haredi au sein de l’enseignement supérieur a augmenté de 274 % entre 2010 et 2024, pour s’établir à environ 17 400 au cours de l’année universitaire 2023-2024, comme le souligne le rapport de l’Institut israélien de la démocratie.

Le taux de pauvreté des familles haredi a baissé de cinq points par rapport à 2015, époque à laquelle il était de 39 %.
Toutefois, dans de nombreux cas comme le service militaire, l’emploi des hommes ou le taux de diplômés du secondaire, il n’y a pas eu de changement ou alors dans une mesure bien moindre que ce qui aurait été nécessaire du point de vue de la société israélienne dans son ensemble.
« Ces 20 dernières années, les pouvoirs publics ont surtout fait en sorte d’accorder des facilités et des programmes réservés aux ultra-orthodoxe pour les intégrer », explique Malach. « On peut le voir dans les unités militaires qui leur sont dédiées ou dans les universités uniquement destinées aux Haredi. »
Selon le chercheur, ces initiatives ont donné des résultats, comme dans le cas de l’accès aux études supérieures, mais à ce stade, les mesures de dissuasion économique sont le seul outil avec un impact réel sur des questions telles que le taux d’enrôlement ou l’emploi.
« Nous voyons bien que les programmes spéciaux ne suffisent pas », ajoute Malach.
Le chercheur a fait valoir que le mode de vie actuel de la communauté ultra-orthodoxe dépend en grande partie du soutien financier des pouvoirs publics, que ce soit pour les yeshivot, les aides familiales ou les déductions d’impôt.
Selon le rapport de l’Institut israélien de la démocratie, l’impôt sur le revenu, la sécurité sociale ou l’assurance maladie coûtent en moyenne aux ménages ultra-orthodoxes 33 % de ce que supportent les ménages non orthodoxes.
« Si cette situation venait à changer, bien des personnes n’auraient pas d’autre choix que d’entrer sur le marché du travail, comme le fait la population haredi hors des frontières de l’État d’Israël », ajoute Malach, qui estime que la légère diminution du nombre d’enfants par femme dans le monde haredi, ces 20 dernières années (6,4 contre 7,5 auparavant) est due à la baisse des prestations familiales
« Nous ne voyons pas de différence significative entre les femmes qui travaillent et celles qui ne travaillent pas », souligne-t-il.
Interrogé sur le risque d’aliéner la population haredi et ses dirigeants, dont le soutien est essentiel pour faire changer les choses au sein de cette communauté, Malach répond qu’il comprenait mais que l’approche douce a clairement montré ses limites.
« Après vingt ans de politiques de la carotte, qui ont permis quelques succès mais pas assez, il faut passer au bâton », conclut-il.