Le lien entre Juifs et Arabes, grand perdant des élections sans vainqueur
Tentant d'adapter l'arithmétique à ses besoins et ouvrant un débat fondamental, Netanyahu affirme que la Liste arabe unie ne compte pas pour déterminer la volonté du peuple
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Dans l’incertitude depuis des jours en attendant les résultats des élections de lundi, Israël risque d’y rester même si les chiffres finissent par être confirmés – le caractère fondamental du pays étant potentiellement en jeu.
Les sondages de sortie des urnes publiés lundi soir indiquaient que le Likud de Benjamin Netanyahu avait dépassé son principal rival, le parti Kakhol lavan de Benny Gantz, et que son bloc – composé du Likud, du parti de droite Yamina et des deux partis ultra-orthodoxes Shas et Yahadout HaTorah – se dirigeait vers 60 sièges à la Knesset, qui en compte 120. S’ils avaient été confirmés, ces chiffres auraient permis à Netanyahu de se mettre fermement aux commandes pour former une coalition – n’ayant besoin que d’un seul transfuge de l’opposition, ou, à défaut, capable de faire pression sur les partis d’opposition pour qu’ils le rejoignent dans un gouvernement d’unité ou risquer d’être accusés de pousser le pays vers un quatrième tour de scrutin.
Avec pratiquement tous les votes comptabilisés, bien que non officiellement certifiés jeudi, le Likud reste le plus grand parti (avec 36 sièges contre 33 pour Kakhol lavan), mais le bloc des alliés naturels de Netanyahu ne totalise que 58 sièges, soit trois de moins que la majorité requise à la Knesset, ce qui complique considérablement le processus de formation de la coalition.
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Un simple calcul arithmétique pourrait suggérer que si Netanyahu obtient le soutien de 58 députés, Gantz dispose alors du soutien des 62 autres, et que Kakhol lavan devrait donc pouvoir former une majorité. Mais l’arithmétique ne rend pas compte de toutes les complexités de la réalité politique d’Israël. Alors que l’alliance centriste dirige effectivement un bloc de 62 députés qui semblent tous unis dans leur volonté d’empêcher une nouvelle coalition Netanyahu, ces 62 parlementaires ne sont pas tous unis derrière l’éventuel Premier ministre Benny Gantz.
Ce dernier a lui-même déclaré dans les derniers jours de la campagne qu’il ne dirigerait pas une coalition dépendant de quelque façon que ce soit du soutien de la Liste arabe unie, composée de partis principalement arabes, qui a réalisé un score historique de 15 sièges. Dans une interview télévisée accordée à la Douzième chaîne samedi soir, l’ancien chef d’état-major a déclaré qu’il exclurait non seulement la Liste arabe unie de toute coalition qu’il dirigerait, mais aussi qu’il ne formerait pas une coalition minoritaire qui dépendrait du soutien extérieur ou même de l’abstention de celle-ci.
Avidgor Liberman, chef du parti faucon mais anti-Netanyahu Yisrael Beytenu (7 sièges), n’a quant à lui eu de cesse de répéter que lui aussi ne ferait partie d’aucune coalition dépendant de la Liste arabe unie. Et cette dernière, pour sa part, a fait savoir qu’elle ne ferait pas partie d’une coalition Gantz, à moins qu’il ne renonce à son insistance sur la formation d’une coalition à « majorité juive » et s’oppose à l’annexion de la Cisjordanie. Oh, et la Liste arabe unie n’est pas non plus disposée à rejoindre une coalition dans laquelle Liberman serait ministre.
En bref, cela signifie qu’alors que 62 députés sont apparemment déterminés à bloquer un gouvernement Netanyahu, aucun terrain d’entente n’existe entre eux pour bâtir une coalition dirigée par Gantz.
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Malgré le recul de 60 à 58 sièges pour son bloc, alors que le décompte réel a remplacé les projections, Netanyahu, dès mercredi soir, insistait toujours sur le fait qu’il avait remporté une victoire gigantesque.
Il s’est également efforcé de délégitimer les représentants de l’électorat arabe – convoquant une réunion télévisée des députés de son bloc au cours de laquelle il a utilisé un tableau blanc pour essayer de faire conformer l’arithmétique de la Knesset à ses besoins.
« La décision du peuple est claire. Le camp sioniste de droite compte 58 sièges. Le camp sioniste de gauche, y compris Liberman qui l’a rejoint, compte 47 sièges », a déclaré et écrit Netanyahu, intégrant Yisrael Beytenu dans l’aile gauche de l’échiquier politique… « La Liste arabe unie, qui dénigre nos soldats et s’oppose à l’existence même de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, en tant qu’État-nation du peuple juif… ne fait bien sûr pas partie de cette équation », a-t-il poursuivi, « et n’a donc pas du tout sa place dans nos calculs. Et c’est la volonté du peuple », a-t-il clamé.
La stratégie de Netanyahu est conçue pour contrer deux défis concernant son maintien au poste de chef du gouvernement : une tentative de Kakhol lavan d’introduire une législation empêchant un responsable politique mis en examen, comme lui, de servir comme Premier ministre – ce qui nécessiterait le soutien de la Liste arabe unie pour être adoptée ; et la possibilité que Gantz, Liberman et les députés arabes abandonnent leurs engagements déclarés et forment néanmoins une coalition viable.
La position adoptée par Netanyahu mercredi soir était plus radicale que celles qu’il a prises dans le passé
Le Premier ministre a maintes reprises cherché à diaboliser l’électorat arabe – notamment avec un message devenu tristement célèbre lors de la campagne de 2015 qui affirmait que les électeurs arabes se rendaient « en masse » aux bureaux de vote, comme si cela était en quelque sorte illicite, et par le déploiement de militants du Likud équipés de caméras pour dissuader les électeurs arabes de se rendre aux urnes en avril dernier. Et il a œuvré par intermittence l’année dernière, lorsque cela correspondait à ses intérêts, pour faire entrer dans le courant politique les disciples extrémistes kahanistes d’Otzma Yehudit – qui préconisent qu’Israël soit une « démocratie juive » s’étendant de la Méditerranée au Jourdain.
Mais la position adoptée par Netanyahu mercredi soir était plus spectaculaire, et plus radicale, que celles qu’il a prises dans le passé – ce qui équivaut en fait à redéfinir Israël comme une « démocratie juive » dans laquelle « la volonté du peuple » équivaut à la volonté des Juifs ou des sionistes, à l’exclusion des Arabes ou du moins des non-sionistes. Ainsi, il a gagné, Gantz a perdu et la Liste arabe unie ne sert à rien.
Dans ce contexte, le député Ofer Shelah a accusé jeudi Netanyahu de faire « une déclaration de guerre à la démocratie juive en Israël ». Il a cependant pris soin de ne pas noter que c’était son chef de parti, Gantz, qui a, plusieurs fois avant les élections, fait une distinction entre les partis sionistes – incluant apparemment les ultra-orthodoxes, qui selon lui pouvaient tous théoriquement faire partie de sa coalition – et la Liste arabe unie non sioniste, avec laquelle il ne s’associerait pas.
La question des droits et de la légitimité de l’électorat arabe et de ses députés est un sujet ultra-sensible et fondamental. L’État moderne a vu le jour pour protéger le peuple juif dans sa patrie historique. Par extension, ce sont les citoyens juifs qui doivent déterminer son avenir. D’où l’immense controverse qui entoure tout appui sur les votes arabes pour faire avancer la législation relative au processus de paix israélo-palestinien. D’où l’exclusion des députés arabes des commissions ultra-sensibles de la Knesset concernant la menace présentée par l’Iran. D’où le fait qu’aucun gouvernement israélien n’ait jamais inclus de parti majoritairement arabe.
D’où les frictions – exacerbées par Netanyahu dans ses commentaires de mercredi – avec cet autre principe fondamental : Israël est à la fois un État à majorité juive et une démocratie avec des droits égaux pour sa minorité non juive.
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Tout le monde se demande maintenant quel en sera le dénouement.
Netanyahu est revenu du bord du gouffre où l’avaient précipité les élections de septembre pour redonner au Likud sa place de premier parti du pays, mais il a néanmoins échoué pour la troisième fois à remporter sans appel une élection, et il lui manque les voix dont il aurait besoin pour tenter d’éviter un procès pour corruption qui commencera dans moins de deux semaines.
A LIRE : Etat d’Israël vs. Netanyahu : détails de l’acte d’accusation du Premier ministre
Gantz a également échoué pour la troisième fois à remporter une élection, se montrant incapable de capitaliser sur le fait que Netanyahu, depuis septembre, a été formellement inculpé et a rompu sa promesse de ne pas demander l’immunité de la Knesset contre les poursuites.
Liberman, l’architecte d’une année de chaos politique et de paralysie législative – qui a empêché une coalition de Netanyahu après le vote d’avril dernier et torture l’électorat depuis – pourrait toujours choisir capricieusement de sauver Netanyahu ou de contribuer à l’arrivée au pouvoir de Gantz, mais semble actuellement peu enclin à faire l’un ou l’autre tout en insistant simultanément sur le fait qu’il ne nous condamnera pas à une quatrième élection.
Pour l’instant, Netanyahu ne semble pas menacé par le Likud, même si son rival interne battu lors de primaires en décembre, Gideon Saar, a eu raison de prédire que celui-ci ne serait pas en mesure de réunir les voix nécessaires pour remporter cette élection.
Pour l’instant, Gantz semble faire tenir ensemble son alliance disparate Kakhol lavan, même si son seul but fédérateur était de vaincre Netanyahu, et même si le Likud y scrute sans relâche les maillons faibles qui pourraient faire défection.
Et pour l’instant, les supplications lancées par le président Reuven Rivlin en faveur d’une forme d’unité nationale restent largement ignorées. En effet, le champ de bataille de la coalition s’étant déplacé en partie vers une lutte sur la légitimité et le rôle des députés choisis par l’électorat arabe, la notion même d’Israël en tant qu’entité unifiée, toujours une construction fragile, est maintenant scrutée à la loupe. Placée là par un Premier ministre qui, au moment où nous écrivons ces lignes, dans une réalité politique à la fois fluide et bloquée, n’a pas tout à fait perdu les élections, mais ne les a pas tout à fait gagnées non plus.
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