L’entrée en Israël autorisée aux Haredim et interdite aux laïcs ?
Suite à un reportage, plusieurs parties ont accusé Netanyahu de ne laisser rentrer "que ses électeurs" ; certains en doutent ; Gantz et l'opposition enquêtent
Les politiciens ont exprimé samedi leur indignation, après la diffusion d’un reportage télévisé selon lequel la grande majorité des Israéliens autorisés à entrer dans le pays alors que l’ensemble des frontières restent largement fermées appartenaient à la communauté ultra-orthodoxe – l’accès au territoire étant fermé à la plus grande partie des laïcs.
Ils ont demandé un nouvel examen du processus d’approbation de l’entrée des voyageurs au sein de l’Etat juif.
L’opposition a fustigé le Premier ministre Benjamin Netanyahu suite au reportage, l’accusant de ne permettre qu’aux électeurs de droite potentiels d’arriver dans le pays en amont du scrutin national du 23 mars.
Mais, en même temps, certains médias ont mis en doute la véracité de ce reportage réalisé par la Douzième chaîne et consacré à la commission chargée de donner son feu vert à l’entrée des personnes en Israël. Pour leur part, les politiciens de droite et haredim ont rejeté tout de go ces affirmations.
Benny Gantz, ministre de la Défense et de la Justice, a averti samedi qu’il ne permettrait pas que l’aéroport Ben Gurion continue à être fermé à moins qu’un responsable du ministère de la Justice ne participe aux délibérations du panel controversé et que les critères d’approbation des entrées dans le pays soient rendus publics. Il a aussi noté qu’il demanderait au gouvernement de réfléchir à un plan qui permettrait aux Israéliens désireux de venir voter dans le pays de le faire.
Selon la Douzième chaîne, les responsables de la Santé ont fait savoir qu’ils ne s’opposeraient pas à l’arrivée d’Israéliens qui souhaiteraient voter le 23 mars.
Le reportage qui a été diffusé vendredi a indiqué que 90 % des personnes autorisées à pénétrer sur le territoire israélien pendant le confinement avaient été des ultra-orthodoxes et que de nombreuses demandes soumises par des laïcs avaient été rejetées. La chaîne a déclaré que de nombreux Haredim avaient pu débarquer à l’aéroport Ben-Gurion en utilisant des autorisations frauduleuses et que certains avaient obtenu leurs autorisations grâce à leurs liens avec les politiciens ultra-orthodoxes.
Mais le journal Israel Hayom, qui est considéré comme (très) proche du Premier ministre, a noté samedi s’être entretenu avec plusieurs responsables non-gouvernementaux, informés du travail de la commission, qui auraient insisté sur le fait que le contenu du reportage n’était pas exact et que la proportion de Haredim, parmi les personnes autorisées à entrer au sein de l’Etat juif, était plutôt de 50 %. L’une des sources a noté qu’il s’agissait du taux majoritairement constaté.
Et Sharon Idan, journaliste de Kan News spécialisée dans le trafic aérien, a estimé que le reportage constituait « une formidable injustice ».
« Il y aura toujours du favoritisme », a écrit Idan sur Twitter. « Dans tous les secteurs. Il y a de nombreux Haredim à bord des vols de secours. Il y a aussi un grand nombre de passagers qui ne le sont pas. Un très grand nombre. La tentative visant à donner l’image d’une priorité accordée aux Haredim est, à mes yeux, une injustice formidable ».
Suite au reportage de la Douzième chaîne, le leader de l’opposition à la Knesset Yair Lapid, chef du parti Yesh Atid, a appelé le procureur-général Avichai Mandelblit à se pencher sur le dossier dans la journée de samedi. Lapid a estimé que le gouvernement utilisait un outil d’approbation biaisé à l’aéroport Ben-Gurion.
« Des dizaines de milliers d’Israéliens sont bloqués à l’étranger et les seuls citoyens autorisés à entrer en Israël sont les électeurs potentiels de Benjamin Netanyahu, de Yaakov Litzman et d’Itamar Ben Gvir, » a commenté Lapid dans une déclaration, se référant au Premier ministre, au dirigeant du parti YaHadout HaTorah et au chef de la faction d’extrême-droite Otzma Yehudit respectivement.
« Ce n’est pas une commission des dérogations mais une commission des votes », a-t-il accusé. « Nous ferons appel à la Cour suprême, nous ferons appel au procureur-général, nous mettrons un terme à ce scandale national ».
La ministre des Transports Miri Regev, dont le ministère supervise la commission, a rejeté les accusations de partialité politique dans son processus décisionnaire, déclarant dans la soirée de samedi que la commission était formée de professionnels rigoureux et que les affirmations de discrimination s’apparentaient à des « incitations » proférées à l’encontre de la communauté ultra-orthodoxe.
Le reportage diffusé par la Douzième chaîne est une « infox », a-t-elle ajouté. « Nous savons très bien quel est votre agenda », a-t-elle dit au cours d’une interview avec la chaîne. « Nous savons que vous voulez nuire au Likud ».
Le leader du parti Shas, Aryeh Deri, a accusé la Douzième chaîne de mener une « campagne empoisonnée et immonde contre les Haredim pour des raisons qui, de toute évidence, sont politiques ». Il a poursuivi en évoquant un reportage « mensonger et trompeur ».
Le reportage a affirmé que des milliers d’Israéliens actuellement bloqués à l’étranger n’avaient pas obtenu la permission de revenir dans le pays tandis que les 2 000 passagers quotidiennement autorisés à accéder au territoire étaient ultra-orthodoxes dans leur majorité. Il a ajouté que de nombreux Haredim pénétraient en Israël à l’aide d’autorisations frauduleuses, et que certains étaient parvenus à rentrer au sein de l’Etat juif grâce à leurs liens avec les politiciens ultra-orthodoxes.
Comme Lapid, le chef d’Yisrael Beytenu Avigdor Liberman et la dirigeante Travailliste Merav Michaeli ont fait part de leur indignation.
« Le travail que Litzman et Deri mènent dans l’ombre et au détriment de la communauté laïque doit se terminer », a écrit Liberman sur Twitter, vendredi.
Michaeli a dénoncé le fait que « seuls ceux qui sont proches idéologiquement du bloc de Netanyahu obtiennent une autorisation pour entrer en Israël ».
En réponse au reportage de vendredi, le ministère des Transports a annoncé que « la commission des dérogations travaille 24 heures sur 24 à approuver des requêtes conformément à la politique mise en place par le gouvernement », ajoutant que « les tentatives visant à exercer des pressions sur la commission, par le biais de responsables publics ou d’agents de voyage, ne changera en rien la décision finale rendue par la commission. »
Mercredi, il s’est avéré que deux familles haredim qui avaient débarqué d’un vol en provenance de New York avaient utilisé des autorisations frauduleuses.
Au cours d’un autre incident survenu cette semaine, les autorités israéliennes avaient enquêté sur des passagers ultra-orthodoxes partis, eux aussi, de New York, qui avaient été accusés d’avoir donné de faux résultats de test de dépistage au coronavirus avant l’embarquement. Onze passagers Haredim s’étaient ultérieurement révélés positifs à la COVID-19.
Une femme qui se trouvait à bord de l’appareil avait affirmé avoir entendu des passagers ultra-orthodoxes se vanter d’avoir utilisé de faux résultats de tests de dépistage. D’autres personnes qui se trouvait dans l’avion avaient affirmé que les passagers Haredim n’avaient pas porté le masque en permanence, et que l’équipage n’était guère intervenu pour leur demander de le faire.
Un autre passager qui se trouvait à bord du même vol avait dit à la Douzième chaîne qu’un faux document attestant d’une guérison du coronavirus ne coûtait que 15 dollars.
Les portes d’entrée terrestres et aériennes de l’Etat juif sont largement fermées depuis le 25 janvier. L’aéroport Ben-Gurion, pour sa part, n’est resté ouvert que pour quelques vols particuliers confiés aux transporteurs israéliens et visant à ramener les citoyens bloqués à l’étranger. Les responsables de la Santé s’inquiètent de l’arrivée de souches plus contagieuses du coronavirus dans le pays, comme c’est actuellement le cas du « variant anglais » qui représente presque la totalité des nouvelles infections au sein de l’Etat juif.
Les ministres ont approuvé, mercredi, la réimposition d’une quarantaine obligatoire dans des hôtels placés sous l’autorité du gouvernement pour toutes les personnes arrivant de l’étranger, vingt-quatre heures après l’expiration de cette même directive.
Les élections nationales – ce sera le quatrième scrutin en deux ans – ont été organisées après l’échec du gouvernement alors formé par le Likud et Kakhol lavan à s’accorder sur un budget à l’échéance qui avait été fixée pour ce faire, le 23 décembre. Ce vote, comme ceux qui l’ont précédé, est largement considéré comme un référendum sur la gouvernance de Netanyahu dans le contexte de son procès en cours pour corruption ainsi que face à la prise en charge de la pandémie de COVID-19 par son gouvernement.