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Les Arméniens de Jérusalem marquent le 100e anniversaire du génocide

Des milliers de personnes participent, les 23 et 24 avril, aux commémorations dédiées aux un million et demi d'Arméniens assassinés ; la "blessure d'où coule le sang tout le temps"

L'Arménien Serop Sahagian, directeur du Homenetmen Club, accroche des photos pour une exposition marquant le 100e anniversaire du génocide des Arméniens, le 17 avril 2015, dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem.
L'Arménien Serop Sahagian, directeur du Homenetmen Club, accroche des photos pour une exposition marquant le 100e anniversaire du génocide des Arméniens, le 17 avril 2015, dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem.

Jeudi soir à 18h15, alors que les cérémonies du Yom HaAtsmaout touchaient à leur fin, les cloches des églises ont carillonné sur la Vieille Ville de Jérusalem, se faisant écho à travers ses anciennes ruelles de pierre. Les cloches de 18 églises ont sonné 100 fois de suite, une pour chaque année qui s’est écoulée depuis le génocide arménien qui a débuté le 24 avril 1915.

Les Arméniens à travers le monde marquent le centième anniversaire du génocide – lorsque les Ottomans ont tués 1 million et demi d’Arméniens pendant la Première Guerre mondiale. La population arménienne d’Israël a planifié des événements tout au long de l’année pour marquer le centenaire, dont des concerts, des conférences, des projections de documentaires et des messes particulières.

Mais la nuit du 23 au 24 avril est le jour central de deuil, avec des processions, des veillées aux chandelles, et des cérémonies solennelles.

Jeudi soir, quand les cloches se sont tues, des milliers d’Arméniens ont marché avec des torches à travers la Vieille Ville, où les chrétiens arméniens ont vécu depuis le IVe siècle.

100 ans de mémoire

Le 100e anniversaire apporte une attention accrue à la situation des Arméniens, qui exigent une reconnaissance mondiale du génocide du siècle passé. Au moment de la Première Guerre mondiale, les dirigeants ottomans craignaient que les chrétiens arméniens s’allient avec leur plus grand ennemi, les Russes.

Le 24 Avril 1915, 200 soldats ottomans ont arrêté les dirigeants et intellectuels arméniens dans la première phase de ce qui allait devenir une campagne de nettoyage ethnique.

Alors que la Première Guerre mondiale faisait rage, les Arméniens furent conduits dans le désert syrien, sans nourriture ni eau. Plus d’un million et demi sont morts, dans ce que les historiens appellent le premier génocide du XXe siècle.

Toutefois, pendant les 100 dernières années, la Turquie a nié que les événements contre les Arméniens constituaient un génocide, en insistant sur le fait que de nombreux Turcs sont également morts au cours de cette période.

Le débat sémantique est si lourd d’enjeux politiques que seuls 22 pays ont reconnu l’événement comme un « génocide ». Ni Israël, ni les Etats-Unis n’en font partie, essayant tous deux de maintenir de bonnes relations avec la Turquie.

« Nous combattons sur deux fronts en parallèle », a dit Kevork Nalbandian, un avocat et travailleur social dans la Vieille Ville qui fait partie du comité de planification du 100e anniversaire à Jérusalem.

« Une guerre est menée pour conserver la mémoire du génocide arménien, pour s’assurer que le souvenir de ce qui s’est passé soit transmis à nos enfants et aux jeunes générations. La deuxième guerre est pour la prise de conscience internationale de cette douleur. Nous voulons que le monde la reconnaisse. »

Kevork Nalbandian, un avocat et un travailleur social qui fait parti du comité de planification pour le 100e anniversaire à Jérusalem, se trouve dans sa maison à côté d'une peinture réalisée par un adolescent arménien de 17 ans qui aborde le thèmes de la mémoire et de l'identité arménienne (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)
Kevork Nalbandian, un avocat et un travailleur social qui fait parti du comité de planification du 100e anniversaire à Jérusalem, dans sa maison, à côté d’une peinture réalisée par un adolescent arménien de 17 ans qui aborde le thème de la mémoire et de l’identité arménienne. (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)

Cette requête prend une importance démesurée en Israël. « Israël est un pays qui a été fondée parce que beaucoup de citoyens étaient des survivants [de la Shoah] », dit le père Koryoun Bahdasaryan, un prêtre originaire d’Arménie qui vit à Jérusalem depuis 20 ans.

« Comment pouvez-vous attendre que d’autres pays reconnaissent votre Holocauste quand vous refusez de reconnaître le premier génocide [du 20ème siècle], le génocide du peuple arménien ? » demande Nalbandian.

Dans le salon de l’appartement en forme de dôme de pierre de Nalbandian, dans la Vieille Ville, il garde une photo encadrée d’une citation qu’il a photographiée au Musée de l’Holocauste à Washington. La citation date du 22 août 1939, une semaine avant qu’Hitler n’envahisse la Pologne.

« J’ai lancé l’ordre – et j’enverrai au peloton d’exécution quiconque prononcera un seul mot de critique – que le but de notre guerre ne consiste pas à atteindre certaines lignes, mais dans la destruction physique de l’ennemi », avait déclaré Hitler dans un discours à Obersalzberg devant ses officiers supérieurs, pour rationaliser sa décision de commencer une campagne de nettoyage ethnique contre les Polonais. « Qui, après tout, parle aujourd’hui de l’annihilation des Arméniens? »

« Vingt-deux ans après [que le génocide arménien] se soit produit, le monde avait oublié », déplore Nalbandian. « Hitler a exploité ce pouvoir d’oubli du monde, et l’a utilisé pour tout construire . Il a utilisé les mêmes outils et les a développés. Au lieu de les emmener dans le désert, il a utilisé des chambres à gaz, mais tout le reste était pareil, les marches de la mort par exemple. »

Un jeune nettoie le cimetière arménien sur le mont Sion, près du quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem, le 15 avril 2015 avant les prières qui auront lieu au cimetière en l'honneur des victimes du génocide arménien (Crédit : Hadas Parush / Flash90)
Un jeune nettoie le cimetière arménien sur le mont Sion, près du quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem, le 15 avril 2015, avant les prières qui auront lieu au cimetière en l’honneur des victimes du génocide arménien. (Crédit : Hadas Parush / Flash90)

Pour la première fois, Israël a envoyé une délégation de deux députés à l’office commémoratif officiel à Erevan, la capitale de l’Arménie. Les députés Nachman Shai (Union Sioniste) et Anat Berko (Likud) se rendront en Arménie après qu’Israël a été officiellement invité à envoyer une délégation officielle.

Pour Bahdasaryan, « tout est de la politique. Quand ils sont politiciens, ils disent qu’ils vont soutenir [les résolutions reconnaissant le génocide], mais une fois qu’ils sont au pouvoir ils n’écrivent pas leurs propres discours ».

Le plus frustrant, c’est quand les politiciens tournent autour du pot, tels que le récent discours du Rivlin aux Nations Unies, lorsqu’il a parlé de « retzach Bnei ha’am ha’Armeni » (le massacre du peuple arménien) plutôt que « retzach am » qui signifie génocide. Rivlin avait déjà exprimé son soutien à la reconnaissance du génocide. En d’autres occasions, les politiciens utilisaient le nom arménien, « La Grande Tragédie, » comme un moyen d’éviter le terme « génocide ».

Le Père Koryun Baghdasaryan montre une broche en forme de myosotis, le symbole du 100e anniversaire du génocide arménien (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)
Le Père Koryun Baghdasaryan montre une broche en forme de myosotis, le symbole du 100e anniversaire du génocide arménien. (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)

Pour les Arméniens, la sémantique est un élément essentiel du débat. Obliger le monde à reconnaitre le terme de génocide fait partie de la lutte émotionnelle qui est centrale à leur identité arménienne. « C’est pour refermer la boucle à un niveau psychologique et thérapeutique, explique Nabandian. La question de demander des dommages et intérêt ou pas, n’est pas ce qui me préoccupe le plus. La dimension morale, philosophique, émotionnelle et psychologique, c’est ce que l’on porte sur nos épaules. »

Lutter pour la reconnaissance est au cœur de leur identité. Lors de l’Eurovision 2015, la chanson de l’Arménie s’intitulait : « Don’t Deny » [Ne niez pas]. Le titre a été changé plus tard pour « Face the Shadow » [Faire face à l’ombre] car ils ont été accusés de politiser le concours international de la chanson.

Des prêtres arméniens priant le dimanche de Pâques  à l'église arménienne Saint-Jacques dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem, le 12 avril 2015 (Crédit :Hadas Parush / Flash90)
Des prêtres arméniens priant le dimanche de Pâques à l’église arménienne Saint-Jacques, dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem, le 12 avril 2015. (Crédit :Hadas Parush / Flash90)

Cette lutte pour la reconnaissance a également influencé la manière dont les Arméniens commémorent le génocide. Les Arméniens éprouvent encore une colère profonde contre un ennemi commun, la Turquie. Cette colère qui les fusionne en un groupe encore plus soudée et leur donne un objectif clair. « [Ce combat] nous a aidés à créer une solidarité mais aussi une solidarité religieuse, a précisé Baghdasaryan. Il nous a aidés à nous unir. Il a renforcé notre identité. »

Mais la Turquie refuse de faire évoluer sa position. Elle maintient que si les événements au cours de la Première Guerre mondiale sont regrettables, il n’y a pas suffisamment d’informations pour prouver que ces événements constituent un génocide.

Allumez une bougie

Dans la société juive israélienne, il y a actuellement un débat sur la meilleure façon de commémorer l’Holocauste, sans succomber à la mentalité de victime. Ce débat est moins répandue dans la communauté arménienne. Le manque de reconnaissance signifie que le groupe s’identifie encore comme victime. Et si le monde refuse de reconnaître ces événements, les Arméniens insisteront pour le faire eux-mêmes.

Un drapeau géant suspendu dans le quartier arménien avant les commémorations du 100e anniversaire dans la Vieille Ville de Jérusalem (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)
Un drapeau géant suspendu dans le quartier arménien, avant les commémorations du 100e anniversaire. (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)

« Vous pouvez trouver des références au génocide dans tout, dans l’éducation, dans l’art », a indiqué Bahdasaryan. « Le génocide fait partie de notre langue, a ajouté Nalbandian. Vous grandissez avec cette douleur, cette identité, cette culture. »

« Cette identité est comme une plaie qui suinte tout le temps et qui ne guérit jamais. Vous grandissez avec cela, vous sentez que vous faites partie de cette blessure et la blessure fait partie de votre corps. »

Un jeune Arménien montre son bras tatoué avec la carte d'Arménie, le 12 avril 2015 (Crédit : Hadas Parush / Flash90)
Un jeune arménien montre son bras tatoué de la carte de l’Arménie. (Crédit : Hadas Parush / Flash90)

Le lien profond avec le génocide survient à un moment où il n’y a plus de survivants du génocide arménien, une situation à laquelle Israël devra faire face avec l’Holocauste dans les prochaines décennies.

L’une des raisons pour laquelle les Arméniens restent ancrées sur cette partie de leur histoire est l’éducation des jeunes dans leur communauté, qui commence dès la maternelle, sur le génocide et les survivants. Bahdasaryan estime qu’environ 70 % des Arméniens en Israël ont perdu des membres de la famille durant le génocide.

Des racines profondes en Israël

Les Arméniens ont vécu à Jérusalem depuis le IVe siècle. L’Arménie est connue comme étant le premier pays à s’être converti au christianisme. Peu de temps après, le Patriarche arménien est arrivé à Jérusalem.

Jusqu’en 1918, leur travail consistait à accueillir les pèlerins chrétiens en Israël et à protéger les sites saints et les églises, a précisé Bahdasaryan.

Leur principale responsabilité était de s’occuper d’une auberge de pèlerins composée de 400 chambres dans leur monastère du quartier arménien de la Vieille Ville. Ces Arméniens qui sont arrivés avant 1918 sont appelés « Kartkazi », ou « les gens de la ville ».

En 1918, après que les Britanniques ont pris le contrôle de la Palestine, des milliers de survivants du génocide arménien sont arrivés à Jérusalem d’Alep. Ils ont été immédiatement transférés dans le monastère, où ils se sont retrouvés avec une ou plusieurs familles par chambre.

La dernière vague d’immigrés arméniens est arrivée dans les années 1990, quand les gens de l’ex-URSS qui avaient un grand-parent juif ont été autorisés à s’installer en Israël. Certains de ces Arméniens s’identifient comme chrétiens.

Hagop Antreassian travaille dans son studio d'art traditionnel arménien, dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem, le 18 avril 2015. Le père Hagop est un rescapé du génocide qui a échappé aux massacres en Turquie à l'âge de 7 ans et a fait son chemin à pied à travers un Jérusalem déserté. Cette année, le 24 avril, les Arméniens marqueront le 100e anniversaire du génocide arménien (Crédit photo: Hadas Parush / Flash90)
Hagop Antreassian travaille dans son studio d’art traditionnel arménien, dans le quartier arménien de la Vieille Ville de Jérusalem,. Le père Hagop est un rescapé du génocide qui a échappé aux massacres en Turquie à l’âge de sept ans et a fait son chemin à pied à travers un Jérusalem déserté.  (Crédit photo: Hadas Parush / Flash90)

Aujourd’hui, la plus grande partie du quartier arménien est encore fermé au public car il y a encore le monastère. Dans le contexte tendu de la Vieille Ville, on a souvent le sentiment que le quartier arménien est une oasis de paix. En dehors du quartier, les étudiants des yeshivot extrémistes crachent sur les prêtres et défigurent les affiches évoquant le génocide arménien.

Mais à l’intérieur du quartier, les fleurs violettes et roses éclosent parmi les pierres blanches. On entend les échos d’une partie de football dans les cours. Un drapeau arménien massif drape le côté de la cathédrale principale, qui a récemment fait la Une après que Kim Kardashian et Kanye West ont baptisé leur fille en ce lieu lors d’un voyage éclair à Jérusalem.

Des mysostis, le symbole du 100e anniversaire du génocide arménien, dans une cour du monastère dans la vieille ville de Jérusalem (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)
Des mysostis, le symbole du 100e anniversaire du génocide arménien, dans une cour du monastère de la Vieille Ville de Jérusalem. (Crédit : Melanie Lidman / Times of Israël)

Le symbole du 100e anniversaire est un myosotis violet, représentant l’engagement dans le travail de mémoire. Cent ans se sont écoulés depuis le début du génocide et la communauté commémore l’événement avec des souvenirs mais sans survivants. Dans trente ans, Israël aussi commémorera le 100ème anniversaire de la libération des camps de concentration, avec des souvenirs mais sans survivants.

Mais pour Nalbandian, se souvenir de ces génocides n’est pas seulement important pour honorer la mémoire des millions tués, mais aussi pour s’assurer que ces atrocités ne se répètent pas.

Le génocide des Arméniens est assassinat en masse des chrétiens au Moyen-Orient ; et l’Etat islamique est encore en train de massacrer des milliers de chrétiens dans la même région.

« Dans l’Ecclésiaste il est écrit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, explique Nalbandian. Le monde est resté silencieux quand c’est arrivé aux Arméniens. Le monde est resté quand c’est arrivé aux Juifs. Le monde est resté silencieux quand c’est arrivé au Rwanda. Le monde est silencieux quand ça arrive avec l’EI. C’est tellement triste que nous soyons au XXIe siècle et que les gens soient tout simplement massacrés. Je n’ai pas assez de mots contre leurs simulacres. Les chrétiens sont tués en raison de leur origine ethnique et de leur religion, ce sont  des choses dégoûtantes. Et tout le monde est debout à côté et regarde. »

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