Les confidences d’Emmanuel Macron dans l’avion à son retour d’Israël
L'affaire Sarah Halimi, un sujet sur lequel on ne peut "décider de s'en remettre uniquement à la justice", selon le président français
Le président français a quitté Israël jeudi soir, après sa visite officielle de 48 heures dans le pays et dans les Territoires palestiniens.
Durant son voyage retour vers Paris, il est notamment revenu sur l’affaire Sarah Halimi, qu’il avait évoquée dans un discours aux Français d’Israël dans l’après-midi.
« Je vais être très précis, parce que c’est un sujet compliqué, a-t-il expliqué dans un entretien au Figaro. Je crois qu’on ne peut pas, sur ces sujets, décider de nous en remettre uniquement à la justice. Il faut parfois assumer cette caractérisation, dont on estime qu’elle correspond au pays, et que la politique a sa part. » Il a soulevé la question de l’irresponsabilité pénale, et s’est déclaré défavorable à ce « qu’on aille dans une judiciarisation de la folie, parce que ça nous amènerait à des choses qui sont, à (son) avis, extraordinairement non-souhaitables ». Selon lui, « faire évoluer ou clarifier » l’idée que « le rapport de l’expert ne (puisse) pas préempter la décision finale du juge, même sur ce sujet » serait néanmoins nécessaire.
Dans l’après-midi à Jérusalem, il avait déclaré savoir “combien dans ce contexte l’émotion est encore forte après la décision de la Cour d’appel de Paris rendue sur l’assassinat” de cette Parisienne juive en 2017. “Je ne peux vous parler avec le cœur, car je suis le garant de l’indépendance de la justice et des principes cardinaux de notre Code pénal”, avait-il commenté. “Le président de la République n’a pas à commenter une décision de justice ni à prétendre la remettre en cause. Je veux dire simplement des choses très simples : un pourvoi en cassation a été formé et constitue un pourvoi possible par le droit.”
Emmanuel Macron avait dit avoir été touché par les nombreuses lettres qu’il a reçues, exprimant une certaine “rage et colère” à l’idée que « la justice ne puisse jamais être faite ».
“La justice française a reconnu le caractère antisémite de ce crime, et cela personne ne peut le remettre en cause”, avait-il néanmoins rappelé.
“La justice doit avoir lieu, et je sais la demande de procès qui doit se tenir. […] La question de la responsabilité pénale est l’affaire des juges ; celle de l’antisémitisme est celle de la République. […] Le besoin de procès est là, le besoin que toutes les voix s’expriment, et qu’on comprenne ce qu’il s’est passé.”
Il avait expliqué avoir conscience que ce sujet « tient à cœur et a suscité tant d’émoi, de colère, d’attente ». « Mais pour autant ne pensez pas une seule seconde que l’obscurité et la violence gagneront. […] Nous mènerons ce combat ensemble. »
Dans l’avion, il est aussi revenu sur sa vision de l’antisémitisme, qui « est la forme la plus avancée, à chaque fois la plus radicale de la peur de l’autre », a-t-il expliqué, répétant une idée déjà clamée lors de ses discours les deux jours précédents.
« Il ne faut pas penser que les extrêmes ne se touchent pas, a-t-il indiqué. Je crois, là aussi, que la vie politique est sphérique, et notre histoire à nous-mêmes l’a montré. Donc il y a un moment, quand les extrêmes se structurent, ils finissent par se retrouver et vous avez une boule d’énergie négative qui se retrouve. Et l’antisémitisme est d’ailleurs au cœur de ces jonctions possibles. » Selon lui, les extrêmes « se renforcent l’un l’autre, ils dialoguent, et à la fin, ils peuvent converger ».
Il s’est également dit « très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel et qui sont politiques. La guerre d’Algérie, sans doute, est le plus dramatique d’entre eux ». Il regrette ainsi que le sujet ait été « écrasé », qu’il n’y ait « pas eu un travail politique mémoriel », et juge nécessaire de mettre un terme à ce « conflit mémoriel » qui « rend la chose très dure en France » et qui, si la question se règle, pourrait avoir « à peu près le même statut que ce qu’avait la Shoah pour Chirac en 1995 ». Il est également revenu sur le travail de mémoire à effectuer au sujet du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda ou encore sur le communautarisme chez les musulmans, la laïcité et le voile islamique.
Il a émis l’idée « qu’on ne peut pas parler séparément de la crise que vit l’islam dans le monde entier, du sujet du communautarisme dans nos pays, de la crise de la civilité républicaine, du sujet de l’échec de la République dans certains quartiers, et de ses problèmes mémoriels ».
Il a regretté « qu’il y a, dans notre République aujourd’hui, ce que j’appellerais un séparatisme », rappelant que la France a des « racines judéo-chrétiennes » : « On a été laïcards et bouffeurs de curés. On a su réconcilier dans la laïcité. On a une partie de notre société qui est pleinement dans la République – et de confession musulmane ou autre… »
Il est enfin revenu sur la crise sociale qui secoue la France. Il a dénoncé les « discours politiques extraordinairement coupables » qui affirment que la France est devenue une dictature.
Venu à l’occasion du 5e Forum mondial sur la Shoah, organisé à l’occasion du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz qui a rassemblé une cinquantaine de dirigeants étrangers, Emmanuel Macron a notamment rencontré le président israélien Reuven Rivlin, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le chef de l’opposition Benny Gantz et le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il a également visité la Vieille ville – et provoqué un esclandre –, prononcé un discours à la communauté française d’Israël, rendu hommage aux Juifs déportés de France devant le mur des Noms de la forêt de Roglit et participé à la grande cérémonie à Yad Vashem.