Les défenseurs de la refonte du système judiciaire s’adressent aux anglophones
Face à une opposition croissante à l'étranger, les défenseurs, dont le puissant Kohelet Policy Forum et l'influenceur de droite, Ben Shapiro, plaident leur cause en anglais
JTA – La vidéo donne une impression de « programmes éducatifs pour les enfants » : des personnages de dessins animés grimpent sur les trois branches du gouvernement américain – « législatif » à la base, « judiciaire » au sommet et « exécutif » au milieu – dans le cadre d’une leçon sur la gouvernance.
Mais si la vidéo est en anglais, le gouvernement auquel elle fait référence n’est pas américain mais israélien. Elle n’a pas été produite par une société de télévision éducative, mais par le groupe de réflexion, Kohelet Policy Forum, qui, de l’avis général, a largement influencé le virage à droite de la politique israélienne.
La diffusion de la vidéo sur Twitter mercredi semble faire partie d’une vague d’efforts visant à vendre un aspect particulièrement controversé de ce changement – les réformes proposées au système judiciaire israélien – aux anglophones sceptiques. Alors que les nombreux détracteurs des changements proposés affirment qu’ils mettraient Israël en porte-à-faux par rapport aux autres démocraties, tous les efforts en langue anglaise insistent sur le fait que c’est le contraire qui est vrai.
« Les réformes en cours permettront de remédier aux anomalies du système israélien et de rapprocher Israël de quelques pas du reste des démocraties occidentales », conclut la vidéo du Kohelet Forum, qui met en scène un juriste vêtu d’une cape de super-héros.
A LIRE : Les manifestations contre la réforme judiciaire se déroulent aussi en dehors d’Israël
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a vigoureusement défendu les changements proposés, qui permettraient notamment au Parlement de passer outre la Cour suprême dans certains cas et qui pourraient avoir l’avantage supplémentaire de le protéger des poursuites pour corruption en cours. Mais il semble avoir sous-estimé l’opposition à ces réformes, qui provient non seulement d’Israéliens libéraux et de Juifs américains, mais aussi de groupes de réflexion traditionnellement non-partisans, de juristes et même d’Américains de droite.
Contrairement à certains des autres changements demandés par les membres de la coalition de Netanyahu, qui comprend des partis d’extrême-droite et religieux, les changements judiciaires soulèvent des questions sur les valeurs fondamentales de la plupart des conservateurs américains pro-Israël : Israël est une oasis démocratique au Moyen-Orient et le sens des affaires est une force israélienne. Les investisseurs étrangers et les agences de crédit internationales ont fait savoir que si les réformes étaient adoptées, ils réviseraient à la baisse leur note du pays.
Israel's judicial reform: strengthening democracy pic.twitter.com/k4rL88NlaU
— פורום קהלת Kohelet (@KoheletForum) January 25, 2023
« La droite conservatrice était avec Netanyahu et maintenant il semble être sur le dos du tigre de la droite radicale », a déclaré David Makovsky, membre du Washington Institute for Near East Policy, en décembre, le jour où le gouvernement a prêté serment, avant qu’il ne commence à transformer ses idées en propositions politiques. « Et je pense que cela ne peut qu’aliéner ceux-là mêmes qui comptaient sur le fait qu’il soit peu enclin à prendre des risques et qu’il se concentre sur l’économie. »
Dans un symbole notable de ce changement, Bret Stephens, le chroniqueur du New York Times qui a été un défenseur acharné de Netanyahu, a publiquement rompu avec lui mercredi dernier, écrivant que les réformes judiciaires l’ont convaincu que le Premier ministre avait « progressé dans le courant de la démocratie illibérale dont les autres champions sont le Hongrois, Viktor Orban, et le Brésilien, Jair Bolsonaro ». Pendant ce temps, Alan Dershowitz, l’avocat constitutionnel qui est habituellement un partisan acharné d’Israël et un proche de Netanyahu, a également critiqué les réformes.
« La barre est haute pour les conservateurs de la politique américaine contemporaine lorsqu’il s’agit de critiquer Israël, mais il y a eu quelques failles », a déclaré Scott Lasensky, qui enseigne les relations américano-israéliennes à l’université du Maryland.
Il n’est pas clair si les défenses en anglais émanent d’une quelconque stratégie coordonnée de relations publiques. Mais, selon Lasensky, Netanyahu pourrait penser qu’il doit expliquer pourquoi il démantèle le système judiciaire aux conservateurs américains, qui chérissent un système judiciaire indépendant des pressions exercées par les administrations libérales démocrates successives.
« Les conservateurs américains ont une majorité dans leurs tribunaux et ne veulent pas changer leurs tribunaux », a-t-il déclaré.
Il est peu probable que la vidéo de Kohelet atteigne un public de la taille de celui de Stephens. Mais une autre défense des réformes judiciaires publiée cette semaine le pourra certainement : celle de Ben Shapiro, un expert juif américain de droite qui compte plus de 20 millions d’abonnés sur toutes les plate-formes confondues, dans son podcast Daily Wire, qui dit avoir plus d’un million d’abonnés payants.
« Ils veulent que les juges de la Cour suprême soient nommés par le Premier ministre et approuvés par la Knesset, ce qui ressemble au système en vigueur aux États-Unis », a déclaré Shapiro dans sa vidéo. « Ils veulent s’assurer, parce qu’Israël n’a pas de Constitution, que la Cour suprême ne sera pas en mesure de proposer une constitution dans un mouvement de dictature judiciaire. … C’est ridicule. »
Netanyahu a brièvement partagé une vidéo des commentaires de Shapiro sur Twitter avant que sa publication ne soit supprimée. La version que Netanyahu a partagée comporte des sous-titres en hébreu ainsi qu’un message de la personne qui l’a réalisée suggérant que Shapiro – qui s’est exprimé en Israël pour la première fois l’été dernier – peut convaincre les Israéliens et les Américains : « Ben Shapiro soutient la réforme judiciaire et pas seulement cela, il explique pourquoi. Regardez et participez ».
Dans une autre défense en anglais des réformes judiciaires proposées, Tablet, le magazine juif en ligne connu pour diffuser des idées conservatrices et souvent incendiaires, a publié un essai de Gadi Taub, un conservateur israélien influent.
« La presse a tout compris à l’envers. Yariv Levin, le nouveau ministre de la Justice de Netanyahu, ne cherche pas à détruire la démocratie », écrit Taub dans l’essai publié mercredi. « Il cherche à la restaurer. »
Les défenses en anglais sont particulièrement remarquables étant donné que Netanyahu se vante depuis longtemps de ne pas se soucier de gagner le soutien des Américains à son programme de politique intérieure. Mais Josh Block, un ancien porte-parole de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), a déclaré que Netanyahu souhaite convaincre les Américains que c’est lui qui est à l’origine des changements, et non les extrémistes avec lesquels il est aligné au sein du gouvernement.
« Il ressent clairement le besoin d’essayer de rassurer les gens à travers le spectre politique aux États-Unis, qu’il est en charge de son gouvernement », a déclaré Block, qui est maintenant membre de l’institut conservateur Hudson. « Que les décisions qui seront prises relèvent de lui et non de personnes qui lui sont subordonnées, qui peuvent avoir des idées qui sont anathèmes pour certains d’entre nous aux États-Unis. »
Netanyahu pourrait être sensible à une critique majeure formulée par ses prédécesseurs, Naftali Bennett et YaÏr Lapid, qui ont accusé l’actuel Premier ministre « de s’aliéner le plus important allié d’Israël », a déclaré un ancien haut fonctionnaire américain qui s’est occupé de la politique israélienne.
« Cela va à l’encontre de l’un des arguments de l’opposition selon lequel ces réformes, ou ce plan, affaibliront la position d’Israël dans la communauté des démocraties, y compris sa relation avec les États-Unis », a déclaré le fonctionnaire, qui a requis l’anonymat pour pouvoir s’exprimer franchement. « ‘Eh bien, regardez, il y a des Américains qui m’approuvent et disent du bien de moi’, peut dire Bibi [Benjamin Netanyahu]. »