Les responsables locaux arabes sont menacés – criminologue
Selon Badi Hasisi, la violence s'infiltre dans la politique ; à l'approche des élections municipales, un directeur municipal et un candidat à la mairie ont été tués par balle
La vague lancinante de crimes violents qui frappe la communauté arabe israélienne s’infiltre dans la sphère politique à deux mois des élections locales, mettant en péril les responsables municipaux, a averti un expert, alors qu’un dirigeant municipal et un candidat à la mairie ont été tués cette semaine.
Abed Rahman Kashua, directeur-général de la municipalité arabe de Tira, dans le centre d’Israël, a été abattu lundi soir dans des circonstances confuses. Mardi, quatre personnes, dont un candidat à la mairie, ont été tuées lors d’une fusillade dans la ville d’Abu Snan, dans le nord du pays.
Ces meurtres ont été commis dans un contexte de violences endémiques qui balaient toute la communauté arabe. Selon The Abraham Initiatives, une organisation à but non lucratif qui recense les crimes violents dans la communauté arabe, 156 membres de la communauté arabe d’Israël ont été tués depuis le début de l’année, principalement dans des fusillades. Au cours de la même période l’année dernière, 68 personnes avaient été tuées.
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Ces meurtres s’inscrivent dans le cadre d’une vague de crimes violents qui a submergé la communauté arabe ces dernières années. De nombreux responsables de la communauté attribuent la responsabilité de cette vague à la police qui, selon eux, a été dans l’incapacité de réprimer les puissantes organisations criminelles et qui a largement détourné le regard face à ces violences. Ils évoquent aussi de longues décennies de négligences et de discrimination de la part des institutions gouvernementales, disant que cette problématique est à la racine du problème.
Le meurtre de Tira a secoué la communauté arabe et alarmé le gouvernement dans la mesure où il visait un élu, un « symbole de la gouvernance », comme l’a déclaré le ministre de l’Intérieur Moshe Arbel. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré mardi qu’une « ligne rouge avait été franchie » et s’est engagé à impliquer l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet.
« Les fonctionnaires locaux de nos communautés ont une vie extrêmement difficile », a déclaré Badi Hasisi, directeur de l’Institut de criminologie de la faculté de droit de l’Université hébraïque de Jérusalem, lors d’une interview accordée au Times of Israel. « Ils sont soumis à une forte pression de la part des acteurs locaux, qu’il s’agisse de familles puissantes ou de gangs criminels. L’ingérence dans la politique locale n’est pas un phénomène nouveau et n’est pas propre à la société arabe, mais elle est beaucoup plus répandue dans nos villes et nos villages. »
« Le gouvernement local occupe une place centrale dans la vie des citoyens arabes », a déclaré Hasisi. « Alors que les électeurs arabes sont peu nombreux à voter lors des élections [législatives] de la Knesset, leur taux de participation est deux fois plus élevé lors des élections municipales. Tout le monde veut avoir son mot à dire sur la façon dont une ville est gérée. »
Le meurtre de lundi n’était pas le premier cas de violence meurtrière à l’encontre d’un élu arabe cette année. En avril, un garde de sécurité du maire de la ville arabe israélienne centrale de Taïbe a été abattu par des hommes armés devant le domicile du maire.
Les élections municipales doivent se tenir dans tout Israël le 31 octobre. Les responsables locaux arabes, du nord au sud, ont fait état d’actes d’intimidation et de menaces, tels que des tirs devant leur domicile, l’incendie de leur voiture et même le lancement d’une grenade.
Lors d’une réunion du cabinet mardi soir, plusieurs ministres ont recommandé qu’Israël annule ou retarde les élections municipales d’octobre dans les villes arabes en raison de la recrudescence des menaces et des violences à l’encontre des candidats, selon les médias israéliens. La procureure générale Gali Baharav-Miara a rejeté cette idée, estimant qu’elle violerait les droits démocratiques des citoyens arabes.
« Bien entendu, une grande partie des menaces et des pressions exercées sur les dirigeants locaux proviennent du crime organisé. Les directeurs-généraux, comme la victime du meurtre de lundi, sont les principaux décideurs lorsqu’il s’agit d’appels d’offres publics, par exemple pour l’enlèvement des ordures, où d’importantes sommes d’argent sont en jeu », a déclaré Hasisi. « Un trottoir ou un lampadaire qui n’est pas placé là où quelqu’un l’a demandé peut amener une famille à se sentir irrespectueuse, à délégitimer l’autorité et à créer des tensions. Cela ne doit pas nécessairement impliquer le crime organisé. »
La principale différence entre une dispute qui se termine par une rixe et une autre qui aboutit à un meurtre est la disponibilité des armes, a-t-il déclaré.
« Les Arabes représentent 22 % de la population israélienne, mais 94 % des fusillades en Israël ont lieu dans des communautés arabes. La société arabe a une certaine propension à la violence », a déclaré Hasisi. « Mais le taux d’homicide parmi les Palestiniens d’Israël – les Arabes israéliens – est nettement plus élevé que parmi les Palestiniens de Cisjordanie. »
« La raison en est simple : l’Autorité palestinienne sait comment maintenir l’ordre et sa [capacité de] dissuasion dans les rues des villes palestiniennes. Elle sait quand intervenir, où et comment. Ce n’est pas le cas de la police israélienne. L’État israélien est faible face à la criminalité », a-t-il déclaré.
L’implication du Shin Bet dans la lutte contre la criminalité de la communauté arabe fait l’objet de discussions publiques et privées dans les cercles gouvernementaux depuis des mois.
« Le système actuel mis en place par la police israélienne pour prévenir et enquêter sur les crimes est clairement inefficace, et toute amélioration est donc la bienvenue », a déclaré Hasisi. « Tout ce qui peut empêcher les cadavres de s’empiler sous nos yeux est le bienvenu, tant que cela se fait dans le cadre de notre démocratie, avec les contrôles et les contrepoids appropriés. »
L’application des outils d’une force de sécurité anti-terroriste dans un contexte civil présentera toutefois des difficultés. « En Cisjordanie, le Shin Bet agit pour neutraliser les terroristes – que ce soit en les tuant ou en les arrêtant. Dans un contexte civil, il devra être déployé pour recueillir des preuves en vue d’inculpations. Il s’agit d’une reconfiguration de ses méthodes opérationnelles, mais c’est possible », a déclaré Hasisi.
« Les criminels en Israël font très attention à ne pas commettre d’infractions contre la sécurité nationale, car ils savent que si le Shin Bet s’en mêle, les accusations de terrorisme portées contre eux seront beaucoup plus lourdes. Ils savent comment manipuler la loi et comment s’en tirer avec des peines relativement légères pour leurs crimes », a-t-il ajouté.
« Il y a vingt ans, la police a réalisé qu’il y avait un problème dans les communautés arabes. Elle a commencé à ouvrir davantage de postes de police dans les villes arabes, à augmenter le nombre d’officiers, mais cela n’a pas suffi. La vraie différence se fait lorsqu’ils saisissent des armes à très grande échelle. La taille de l’intervention doit être proportionnelle à l’ampleur du problème. Envoyer une patrouille de quelques voitures dans une ville la nuit est loin d’être suffisant », a déclaré Hasisi.
Sous le précédent gouvernement dirigé par Naftali Bennet et Yaïr Lapid, un organisme inter-agences spécial a été mis en place pour lutter contre la criminalité dans les communautés arabes. Le député Yoav Segalovich du parti Yesh Atid de Lapid, un spécialiste des unités d’enquête et de renseignement de la police, a été nommé coordinateur de l’agence et le Shin Bet a été impliqué dans un rôle consultatif. Il était alors vice-ministre de la Sécurité intérieure.
« Les premiers résultats tangibles ont commencé à apparaître », a déclaré Hasisi. « Les fonctionnaires du gouvernement se rendaient dans les villes arabes, demandant aux responsables locaux quels étaient leurs besoins. Le nombre de meurtres a baissé. Nous avons constaté une coopération et une action véritables. »
« La coalition actuelle s’en moque manifestement », a-t-il poursuivi. « Au-delà de la rhétorique du ‘rétablissement de la gouvernance’ dans les communautés arabes prononcée par certains membres du cabinet, nous ne voyons rien se produire sur le terrain. Si la coalition au pouvoir veut vraiment lutter contre la criminalité, elle ne peut pas s’adresser aux dirigeants arabes avec une attitude de supériorité. Elle doit entamer un dialogue avec eux. »
« Les priorités du gouvernement sont clairement ailleurs. Le gouvernement parle mais ne fait pas ce qu’il faut, et les criminels ont été les premiers à s’en rendre compte. »
Jacob Magid et l’équipe du Times of Israel ont contribué à cet article.
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