Lettre ouverte aux amis d’Israël en Amérique du Nord
Les Juifs de la diaspora ont à la fois le droit et la responsabilité de dire non au gouvernement qui sape les fondements de notre société et son éthique démocratique
Aux amis d’Israël en Amérique du Nord,
Une fois n’est pas coutume, nous avons choisi de nous adresser directement à vous en ce un moment de crise aiguë en Israël.
Nous écrivons avec un sentiment mêlé d’angoisse et d’anxiété pour l’avenir de notre pays.
Nous avons tous quitté l’Amérique du Nord pour Israël et y avons élevé nos enfants. Cela fait plusieurs dizaines d’années que nous travaillons comme journalistes, chroniqueurs littéraires ou traducteurs de la réalité israélienne au bénéfice de lecteurs étrangers.
Nous expliquons l’action d’Israël et le défendons contre les campagnes mensongères qui cherchent à faire de lui un paria de la société internationale.
Nous continuerons fièrement à le faire.
Désormais, protéger Israël implique également de le défendre contre des dirigeants politiques qui sapent la cohésion de notre société et son éthique démocratique, les fondements de la réussite israélienne.
Les changements au programme auront des effets désastreux sur la cohésion de la société israélienne et ses performances économiques, comme le soulignent nos principaux économistes.
Cela nuira également aux relations israélo-américaines et altèrera la relation que nous entretenons avec vous, frères et soeurs de la diaspora.
Cette crise est d’autant plus unique et déchirante qu’elle vient de l’intérieur.
Aucun d’entre nous ne se veut alarmiste.
Mais nous vivons un moment réellement critique, un moment où les voix des amis d’Israël doivent se faire entendre.
Le gouvernement israélien s’apprête à éviscérer notre système judiciaire, en le privant de toute forme d’indépendance, et redessiner l’identité du pays.
Cette initiative doit être appréhendée dans ses trois composantes : la substance des changements proposés, le processus par lequel ils sont promus et l’identité de ceux qui font pression pour le changement.
En substance, les changements proposés auraient pour effet de supprimer le seul contrepoids au pouvoir gouvernemental et affaibliraient profondément l’unique institution à même de protéger les citoyens de la tyrannie d’une majorité – protection qui n’a jamais paru aussi indispensable.
Dans une campagne démagogique dans les médias américains, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait en sorte de présenter son projet comme un ajustement de nature à rapprocher Israël des standards des autres démocraties.
Nul expert des questions de droit en Israël n’y accorde un quelconque crédit.
Si certains des changements proposés peuvent sembler comparables aux pratiques d’autres pays démocratiques, comme le soutient le gouvernement, il convient de garder présent à l’esprit que toutes ces démocraties disposent de puissants contrepoids institutionnels – inexistants en Israël – qui encadrent les pouvoirs exécutif et législatif tout en protégeant les droits individuels.
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Israël ne dispose pas de constitution formelle ni de seconde chambre. Il n’y a ni système fédéral ni élections régionales.
Les projets du Premier ministre ont pour effet de concentrer la quasi-totalité des pouvoirs entre les mains d’une seule personne, lui-même.
Il ne s’agit pas d’une « réforme judiciaire », mais d’un changement radical de nature à rapprocher le système de gouvernement d’Israël non pas de celui des États-Unis ou du Canada, mais de la Hongrie ou de la Turquie.
Pour ce qui est du processus, cette transformation radicale du système de gouvernement d’Israël se fait à marche forcée, sans débat ni explications publics, sans tenir le moindre compte des critiques émanant de l’ensemble du spectre politique et social.
Nous pensons qu’un débat national constructif sur la réforme judiciaire est non seulement nécessaire, mais attendu depuis longtemps.
Mais cela est impossible tant que le gouvernement refuse de ralentir le rythme et d’engager des discussions destinées à trouver un compromis, et non de simples ajustements esthétiques.
Haine et schisme
Quant à savoir qui est derrière cette initiative : il s’agit d’un Premier ministre actuellement jugé pour corruption, qui a nommé des ministres avec un casier judiciaire, et se pense investi de la légitimité pour mettre à bas le système judiciaire.
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Naturellement, beaucoup de partisans d’Israël veulent croire que Netanyahu est toujours ce conservateur prudent, fidèle à l’ADN libéral du pays.
Mais dans les faits, c’est aujourd’hui un tout autre leader, qui subvertit l’intérêt national au profit du sien propre.
Un dirigeant sage encourage l’unité au sein de son peuple ; Netanyahu, lui, attise la haine et les clivages.
La communauté juive nord-américaine vient traditionnellement au secours d’Israël dans les moments de crise.
Israël appartient d’abord à ses citoyens, et ils ont le dernier mot.
Mais Israël compte aussi pour l’ensemble du peuple juif.
Quand un gouvernement israélien s’écarte beaucoup trop de ce que vos engagements envers la démocratie libérale peuvent tolérer, alors vous avez le droit et la responsabilité de prendre la parole.
Les dirigeants israéliens ont besoin d’entendre ce que vous pensez.
Les Juifs nord-américains et leurs dirigeants doivent faire comprendre à ce gouvernement que s’il s’entête à vouloir faire d’Israël un pays dont les Juifs de la diaspora ne seraient plus fiers, alors il n’y aura pas de statu quo.
Nos familles et nous-mêmes, ainsi que des dizaines de milliers d’autres Israéliens, sommes dans la rue chaque semaine pour demander au gouvernement de mettre fin à sa guerre contre nos valeurs et nos institutions démocratiques.
Nous avons besoin de vous et de votre voix pour nous aider à préserver Israël, État juif et démocratique.
Avec la bénédiction de Jérusalem,
Matti Friedman
Daniel Gordis
Yossi Klein Halevi
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Les signataires s’engagent à titre personnel, indépendamment des institutions auxquelles ils sont affiliés.
Matti Friedman est journaliste, auteur d’éditoriaux très largement diffusés et, plus récemment, de « Who by Fire, Leonard Cohen in The Sinai ».
Daniel Gordis est commentateur et auteur. Son prochain ouvrage s’intitule “Impossible Takes Longer: 75 Years After Its Creation, Has Israel Fulfilled Its Founders’ Dreams?” [NDLT : « L’impossible prend plus de temps : 75 ans après sa création, l’état d’Israël a-t-il réalisé les rêves de ses pères fondateurs ? »
Le journaliste et auteur Yossi Klein Halevi est chercheur principal à l’Institut Shalom Hartman de Jérusalem. Son dernier ouvrage, “Letters to My Palestinian Neighbor” (NDLT : « Lettres à mon voisin palestinien »), a été un best-seller du New York Times.
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