L’indifférence des médias arabes devant un Hamas sur la défensive
Tandis que les brigades Al-Qassam menacent Israël, l'aile politique de l'organisation est bien plus ennuyée par l'apathie de l'Autorité palestinienne
Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes
Les médias et la société arabes ne savent pas vraiment comment se comporter envers le Hamas suite à la récente escalade de la violence dans la bande de Gaza. Si Israël reste l’ennemi ultime, la critique du comportement du mouvement islamique se déchiffre facilement entre les lignes.
Les rapports sur la situation commencent habituellement par les attaques israéliennes sur Gaza, et montrent le lancement de roquettes du Hamas vers Israël en représailles.
« Gaza sous le feu », titre le quotidien saoudien A-Sharq al-Awsat, signalant une « grande attaque israélienne » sur la bande de Gaza qui vise « des maisons de civils, pour la première fois depuis des années, des voitures et des terres agricoles… le mouvement islamique et d’autres factions palestiniennes ont riposté en ciblant Beer Sheva et d’autres villes israéliennes. »
« Le spectacle de frappes [aériennes] et de corps carbonisés dans la bande de Gaza, ainsi que les lancements de missiles sur des villes israéliennes, rappelle des souvenirs de la dernière guerre contre la bande de Gaza, et annoncent la fin totale du cessez-le-feu. »
Le titre d’Al-Hayat, quotidien basé à Londres adopte une expression pugilistique utilisée par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, avant l’opération Bordure protectrice. « Israël ‘retire ses gants’ tout comme le Hamas », annonce-t-il.
« Il est temps pour un printemps palestinien », énonce l’éditorial du quotidien nationaliste arabe Al-Quds Al-Arabi, imprimé à Londres, qui titre la situation en une : « Grande agression israélienne et la résistance annonce son bombardement sur Tel Aviv, Haïfa et Jérusalem. »
« Les Palestiniens ne s’attendent pas à ce que leur Autorité, liée par des accords sécuritaires de coordination avec Israël, lève ses maigres armes portées par sa police contre les Israéliens », dit l’éditorial, dans une critique acerbe de l’entente entre le président de l’AP Mahmoud Abbas et l’Etat juif.
« Mais ils s’attendent à ce que l’Autorité palestinienne élève sa rhétorique et sa prise de décision au niveau de l’héroïsme de ce peuple et défende son honneur. »
Certains organes de presse, notamment la chaîne de télévision Al-Jazeera du Qatar pro-Hamas, ouvrent leurs reportages avec les coups directs du Hamas, pour vanter le succès opérationnel de la « résistance ».
« La résistance palestinienne a visé Tel Aviv et sa banlieue, mercredi matin, avec ses missiles longue portée, alors que les avions israéliens continuent de bombarder des positions dans la bande de Gaza, lançant 160 frappes aériennes sur le siège et les maisons des chefs de la résistance », peut-on lire dans le premier paragraphe du site web de la chaîne.
Mais ce qui est remarquable, peut-être, est le manque général d’attention devant l’embrasement de Gaza dans les pages éditoriales arabes. Au milieu du ramadan, avec l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui étend son emprise sur la Syrie et l’Irak, la violence dans la bande de Gaza est considérée par beaucoup comme une distraction injustifiée.
A une exception près, le chroniqueur saoudien Hussein Shabakshi, dans un éditorial intitulé « Les marchands de résistance », fustige le Hezbollah et l’EIIL pour utiliser cyniquement « la défense de la Palestine » tel un cri de ralliement.
« Le projet de défense de la Palestine et de Jérusalem, et d’autres slogans scandés dans les processions, discours et poèmes chaque année… est caduc », écrit Shabakshi mardi dans A-Sharq Al-Awsat. « En réalité, ce n’est rien d’autre qu’un projet purement communautaire dans une région très sensible. »
Le Hezbollah et l’EIIL d’Abou Bakr Al-Baghdadi sont tous deux engagés dans une bataille sectaire en Syrie, et ne sont pas prêts à lever le petit doigt pour leurs frères palestiniens, poursuit-il.
« Aucun d’entre eux n’est prêt à faire un pas contre le véritable ennemi, qui, tout le monde est d’accord là-dessus, est Israël », écrit Shabakshi. « Quel mensonge. »
Avec le Hamas livré à lui-même, le chef adjoint du bureau politique Moussa Abou Marzouk a été contraint de justifier la nouvelle guerre imposée à Gaza dans un post Facebook, tout en fustigeant Ramallah pour son manque d’empathie.
« Dieu seul sait que la population de Gaza ne veut pas la guerre, et ne l’a pas demandée. Elle leur a été imposée, tout comme le siège et la destruction… et maintenant leurs frères [en Cisjordanie] les punissent encore, les privant de budgets et utilisant diverses excuses », écrit Abou Marzouk tôt mercredi matin.
« Il est inimaginable que la télévision de l’AP enseigne aux femmes de Palestine à cuisiner pendant qu’elles regardent le sang palestinien répandu, » poursuit-il.
« Il est inacceptable que des fonctionnaires civils de Gaza travaillent sous ce bombardement perfide de l’Autorité palestinienne, qui les prive de leur salaire. »