Manuel Valls, ce héros
Fraîchement nommé à Matignon, le nouveau Premier ministre affiche ostensiblement sa solidarité avec la communauté juive de France. Au risque de payer un lourd tribut politique
La hausse spectaculaire des actes antisémites comptabilisés en France pendant la seconde Intifada en a choqué plus d’un.
Des synagogues et des écoles incendiées, des attaques à caractère antisémite en plein cœur de Paris et ailleurs. Une nouvelle génération de Juifs entrevoit ainsi les dangers ressentis par leurs grands-parents dans les années 1930.
Et quand des adolescents ont commencé à jeter des pierres sur un groupe d’individus de confession juive en route vers la synagogue d’Evry, Manuel Valls, alors maire de cette banlieue parisienne, ne s’est pas contenté d’émettre un communiqué de presse pour condamner l’attaque. Il a préféré rejoindre les fidèles pour la marche hebdomadaire organisée par la synagogue. Un signal fort envoyé aux délinquants et à la France, indiquant que la communauté juive pouvait compter sur un allié puissant.
« Les Juifs français affrontent une nouvelle réalité », déclare Valls quelques années tard en décrivant l’atmosphère qui régnait en 2002. « Et elle est palpable. »
La nomination de Valls la semaine dernière au poste de Premier ministre ne vient pas récompenser son attitude sans complaisance vis-à-vis de l’antisémitisme, mais davantage son énergie et son esprit réformateur et combatif. Des atouts qui ont fait mouche auprès de François Hollande après la débâcle de sa formation politique, le Parti socialiste, aux dernières élections municipales.
Mais pour bon nombre de Juifs français, Valls est perçu comme un véritable héros pour avoir pris publiquement et ostensiblement la défense d’Israël et de la communauté juive française. Et sa promotion à la tête du gouvernement rassure les Juifs de France, dans un climat des plus délétères.
« Je ne pense pas que nous ayons jamais connu un ministre qui dise les choses comme il les dit », a déclaré le président du CRIF Roger Cukierman la semaine dernière à JTA.
Cukierman faisait spécifiquement référence au discours prononcé le mois dernier par Valls, lors d’une cérémonie marquant le deuxième anniversaire de l’assassinat de quatre citoyens juifs français à Toulouse, pendant lequel le Premier ministre a affirmé que « l’antisémitisme se nourrit aussi de l’antisionisme ».
L’ancien ministre de l’Intérieur a engagé une bataille sans compromis contre l’humoriste antisémite Dieudonné M’bala M’bala, créateur d’un « salut nazi inversé », aussi connu sous le nom de quenelle. Un geste qualifié par Valls de « geste antisémite de la haine ». Par ailleurs, Valls a été filmé à de nombreuses reprises avec une kippa sur la tête lors de cérémonies organisées par la communauté juive. Une attitude qui lui a valu des accusations d’hypocrisie car, dans le même temps, ce dernier a soutenu l’interdiction pour les femmes musulmanes de porter le voile dans l’enceinte des universités françaises.
Bien plus inhabituelles, les déclarations de Valls en 2011 : « Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël ! ». Le nouveau Premier ministre est en effet l’époux de la violoniste de confession juive Anne Gravoin.
« Sans les Juifs, la France ne sera plus la France », a également lancé Valls le mois dernier.
Des déclarations très atypiques dans un pays où la laïcité est sacralisée. Les responsables politiques font généralement très attention à ne pas isoler une minorité et à ne pas lui accorder de traitement particulier. Mais Valls n’est pas un homme politique typique.
Né à Barcelone dans une famille d’intellectuels catalans, Valls s’installe à Paris en pleine adolescence et fait plus tard des études d’histoire. Naturalisé Français en 1982, il débute sa carrière politique en tant que président d’un syndicat étudiant socialiste. Selon de nombreux analystes politiques, l’anti-conventionnalisme de Valls s’explique par ses origines non françaises.
« Par son histoire et son éducation au sein d’une famille antifasciste espagnole, Valls a beaucoup de points communs avec la communauté juive », déclare Michel Zerbib, directeur de l’information et de la rédaction de Radio J.
En 2010, le nouveau Premier ministre épouse en secondes noces Anne Gravoin. La cérémonie de mariage était, selon le magazine Elle, un « heureux mélange de convives venus de Manhattan et de Paris portant la kippa, et d’imams ».
Ce mariage très public – le couple a été photographié à plusieurs reprises en pleines démonstrations d’affection – n’a pas altéré sa popularité auprès de l’électorat féminin. En effet, selon un sondage IFOP publié à l’été 2013, Valls décroche la première place dans le cœur de ces dames qui l’ont désigné l’homme politique le plus sexy de France et de Navarre. Deux tiers des personnes interrogées ont également affirmé souhaiter entretenir une liaison avec ce dernier. Une proposition balayée par Valls qui a rétorqué : « D’accord, mais je suis [déjà] amoureux ».
Au mois de janvier, Valls s’engage dans une lutte féroce et victorieuse pour faire interdire les spectacles de Dieudonné, déjà condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale contre les Juifs. Et le combat juridique contre l’humoriste antisémite est loin d’être terminé.
Mais tout a un prix. La bataille qui l’a opposé à Dieudonné lui a aliéné une partie de son électorat. Valls sort affaibli du matraquage médiatique autour de l’affaire Dieudonné. Il a perdu sa place de leader au classement de la cote d’influence, pour la première fois depuis son entrée au gouvernement. A la question « Souhaitez-vous que tel ou telle personnalité politique joue davantage d’influence dans la vie politique ? », ils sont désormais 49 % à répondre Manuel Valls (-6 points).
Dans un entretien accordé début avril au site Metronews, le footballeur Nicolas Anelka, qui avait fait une « quenelle » lors d’un match opposant son équipe de West Bromwich Albion à West Ham le 28 décembre 2013, a déclaré : « Il n’est pas très méchant ! Je pense plutôt qu’il a été sous l’influence de sa femme dans cette affaire de quenelle ».
Nombreux sont les prédicateurs musulmans extrémistes, rejoints sur cette question par des théoriciens conspirationnistes, à qualifier le Premier ministre de « Valls le Juif ».
Pourtant, malgré ses lettres de créance projuives et le lourd tribut payé pour ses prises de position, beaucoup de partisans juifs de l’UMP privilégient la méfiance.
Sarkozy était apparu comme le grand favori auprès de la communauté juive lors de l’élection présidentielle de 2012. Mais après sa défaite face à François Hollande, les membres de la communauté juive reconnaissent l’engagement de Valls, dans la droite ligne de Sarkozy, à la lutte contre le fanatisme islamiste et l’antisémitisme.
« Nous avons de la chance », confie Cukierman, « d’avoir un leadership parfaitement attentif aux besoins de la communauté. »