Michael Edelstein: 6 obstacles risquent d’empêcher l’immunité pour tous en 2021
L'éminent épidémiologiste dit qu'avec des essais cliniques des vaccins très satisfaisants, "il y a de la lumière au bout du tunnel - mais nous ne connaissons pas sa longueur"

Même une année entière après l’arrivée des premiers vaccins contre la COVID-19 en Israël, tous les citoyens « seront très loin » d’avoir acquis et développé une immunité, déclare un éminent épidémiologiste.
Michael Edelstein ajoute qu’il faut regarder la réalité en face, les gens considérant de manière erronée que les résultats préliminaires des essais indiquant environ 95 % d’efficacité signifient que tous les Israéliens seront immunisés contre le coronavirus dans les mois qui suivront l’arrivée de la précieuse injection au sein de l’Etat juif.
« Aujourd’hui, il y a de la lumière le long du tunnel – le problème, c’est que nous ne connaissons pas sa longueur », commente Edelstein, qui était jusqu’à une date récente un haut-responsable du programme de santé publique au Royaume-Uni et qui est dorénavant professeur à l’université Bar-Ilan dans un entretien accordé au Times of Israel mardi.
Les firmes pharmaceutiques ont transmis des informations portant sur des résultats prometteurs obtenus lors des essais cliniques – notamment Moderna, qui a déclaré que son vaccin avait fait preuve d’une efficacité à 94 %, et Pfizer, qui s’est enorgueilli d’une réussite de ses essais avec 95 % d’efficacité.
Les commandes faites par l’Etat juif incluent ces deux vaccins – et les premières doses très attendues devraient arriver en Israël au début de l’année 2021. Pour sa part, les développeurs du vaccin israélien viennent de terminer les essais de Phase I pour leur produit, Brilife, et ils ont annoncé qu’il était sûr et qu’il entraînait des effets secondaires « très mineurs ». Ils ont ajouté espérer que les premières doses seraient prêtes au courant de l’été prochain.

« L’urgence de mettre au point plusieurs vaccins sûrs et efficaces dans un délai aussi court a donné lieu à un résultat incroyable et cela va changer entièrement la donne dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 », s’exclame Edelstein. « Les vaccins ne sont pas néanmoins une solution miracle et il faudra un certain temps pour protéger pleinement les populations ».
Il souligne les défis à relever – qui vont de déterminer vraiment comment les vaccins vont opérer dans le corps jusqu’à des facteurs apparemment « triviaux » mais potentiellement dramatiques, comme le serait une pénurie de seringues, ajoutant que s’il y a lieu d’être optimiste, il faudra surtout faire preuve de patience.
1. Le vaccin pour tous les Israéliens dès la première année ? N’y comptez pas trop
Les politiciens évoquent constamment les accords conclus concernant l’acquisition de vaccins à l’étranger et ils parlent aussi des progrès de celui qui est actuellement développé en Israël et qui vient de terminer la toute première phase de ses essais cliniques. Edelstein déclare toutefois que leur déploiement sera probablement plus lent que prévu.

Edelstein estime que d’ici la fin du premier trimestre 2021 – exception faite des vaccins chinois qui sont destinés à l’usage national – il y aura suffisamment de doses dans le monde entier pour immuniser 150 millions de personnes. Ce qui, ajoute-t-il, est l’équivalent de moins de la moitié de la population des Etats-Unis.
Alors que le nombre de vaccins disponibles augmentera pendant l’année, Israël sera en bonne position pour en recevoir – mais probablement pas suffisamment pour tous ceux qui souhaitent se faire vacciner.
« C’est un scénario qui est complètement sans précédent et qui présente des défis en termes d’approvisionnement mondial, malgré les efforts internationaux livrés visant à renforcer la production d’une manière totalement inédite dans le monde des vaccins », déclare-t-il. « Les fabricants délèguent à d’autres fabricants, à leurs concurrents directs » – citant notamment AstraZeneca qui a chargé l’Institut du sérum, en Inde, de prendre en charge une partie de sa production.
En réalité, il y aura probablement suffisamment de doses, pendant la première année de vaccination, pour une partie de la population. Et elles seront probablement destinées aux employés du secteur de la santé, aux catégories vulnérables de la population et à des groupes d’âges variés, en commençant par les Seniors.
2. Les vaccins sont efficaces – mais pour quoi exactement ?
Un vaccin vous empêchera-t-il de transmettre le virus aux autres ou juste de ne pas être malade ? C’est une question essentielle qui déterminera la puissance du coup de frein réel donné à la pandémie au cours de la longue période qui s’écoulera entre le début de la vaccination et la fin de la campagne. Une question qui, à ce jour, n’a pas de réponse.
La nature des essais cliniques est qu’ils renseignent sur ce qui semble faire l’efficacité dans la protection des personnes face à une infection à la COVID-19, en comparaison à un groupe ayant reçu un placebo. Mais il n’y a aucun moyen de vérifier l’éventuelle capacité de transmission du coronavirus à d’autres chez les personnes ayant reçu le vaccin.
« Nous ne savons pas encore si le vaccin offre une protection indirecte en stoppant la transmission en plus de protéger contre une forme grave de la maladie », explique Edelstein. « Ce qui signifie que nous ne savons pas encore si cela empêchera les personnes vaccinées, qui sont mises en contact avec le virus, de le transmettre aux autres ».

3. Quand devrons-nous vous faire inoculer une deuxième fois ? L’offre sera-t-elle suffisante pour répondre à la demande ?
Non seulement les fabricants doivent produire une dose pour quasiment tous les habitants de la Terre, mais il est actuellement impossible de dire s’ils pourraient devoir en fabriquer une seconde pour tous.
Les fabricants ne peuvent absolument pas, aujourd’hui, obtenir des informations claires sur la durée de l’efficacité des vaccins – ce qui signifie que personne ne sait, à ce stade, s’il y aura des pressions continues pour des vaccins en vue d’une seconde injection et, si tel est le cas, comment leurs producteurs sauront faire face à la demande.
« Dans le monde des vaccins, il y a des gammes », explique Edelstein. « Certains protègent pendant toute la vie : par exemple, si vous obtenez deux doses de vaccin contre l’hépatite A, ou dans le cas de la rougeole. D’un autre côté, si vous vous faites vacciner contre la typhoïde ou contre la grippe, vous n’êtes protégé que pendant un an ou deux. Le délai aura d’énormes implications et nous n’avons aucune information, à ce stade, sur la question en ce qui concerne la COVID-19 ».
4. De nombreux Israéliens rateront la seconde injection
Dans un scénario idéal, tous ceux qui se feront vacciner seront pleinement protégés. Mais cette perspective n’est pas réaliste, explique Edelstein.
Les vaccins qui ont été commandés par Israël nécessitent l’injection de deux doses à plusieurs semaines d’intervalle (celui qui est développé en Israël et qui ne sera pas prêt – au mieux – avant l’été est en cela une exception, car il ne prévoit qu’une dose). Dans le cadre des vaccinations en deux phases, il a été constaté qu’une proportion importante des gens ne se présentaient tout simplement pas au deuxième rendez-vous, dit Edelstein.

Ainsi, ils peuvent ne pas se présenter à la deuxième inoculation par manque d’organisation, parce qu’ils ont oublié ou qu’ils pensent de manière erronée être largement protégés par une seule dose. L’épidémiologiste explique que s’il n’y a pas encore de données clairement établies sur le niveau de protection acquis par ces personnes, il est probable qu’un dosage approprié le compromette gravement.
Edelstein prédit également que le programme de vaccination va traîner en longueur en raison des problèmes logistiques rencontrés par l’approvisionnement en vaccins. De plus, ce dernier sera accordé à des groupes d’individus en fonction du degré de priorité – qui sera sans doute calculé sur le risque et sur l’âge – et l’épidémiologiste indique qu’il y aura des retards, chaque centre de vaccination attendant que les personnes appartenant aux catégories concernées se présentent avant de commencer à vacciner les autres groupes.
5. Flacons, seringues et congélateurs – cette logistique qui pourra ralentir les choses
Revenant sur la question de l’approvisionnement, Edelstein déclare que les fabricants pourraient faire face à une situation invraisemblable, où l’approvisionnement en vaccins serait prêt mais où il manquerait des bouteilles ou des flacons où les transvaser.

« Il n’y a jamais eu autant de doses produites aussi rapidement et cela peut entraîner des pénuries de flacons, de seringues et de conditionnement », explique-t-il. « Cela peut paraître excessivement trivial mais il est impossible de distribuer un vaccin si on ne dispose pas de fioles pour le transvaser. Une chaîne d’événements qui prend habituellement cinq à dix ans est aujourd’hui compressée, mais tout ce qui est de l’ordre de la pratique continue à prendre du temps ».
Il y a d’autres défis logistiques qui se posent pour le transfert des vaccins aux centres de vaccination, souligne Edelstein, et en particulier le respect de la « chaîne du froid » pour le stockage des produits, comme l’exige la majorité des fabricants.
Le vaccin mis au point par Pfizer est particulièrement problématique – il nécessite un stockage à des températures extrêmement froides, ce qui représente un défi logistique majeur et ce qui pourrait le rendre inadapté pour certains pays, continue Edelstein.

6. Un choix difficile : Qui vacciner en premier ?
Lutter contre la pandémie signifie vacciner les Israéliens dans les meilleurs délais et choisir avec soin les catégories qui recevront le vaccin avant les autres, dit Edelstein.
Actuellement, les responsables de la santé estiment que les premières séries de vaccin devront être destinées aux employés du secteur de la santé et aux personnes âgées, mais Edelstein, pour sa part, estime qu’il faudrait aussi prendre en compte les modèles changeants d’infection – avec un nombre de plus en plus important de jeunes qui se font contaminer, si on le compare au nombre de Seniors qui attrapent le virus.
« La question est de savoir si on veut protéger les personnes les plus vulnérables contre une maladie en circulation ou stopper la transmission du virus », explique-t-il, disant que si les Seniors sont effectivement particulièrement fragiles face à la maladie, ce sont les plus jeunes qui transmettent le plus la COVID-19. En conséquence, ajoute-t-il, si les vaccins permettent non seulement de ne pas être touché par le coronavirus mais en plus de ne plus contaminer autrui, alors vacciner les jeunes a du sens.
« Si c’est en effet contre-intuitif, vacciner les jeunes – qui sont moins sensibles à la maladie – pourrait être le moyen le plus rapide de mettre un terme à l’épidémie », dit Edelstein. Il précise toutefois qu’il ne prône pas nécessairement une telle manière de faire, tout en accordant une logique à cet argument – ce qui indique que les priorités, en termes de vaccination, doivent encore être minutieusement réfléchies.
« Si vous pensez que vacciner les jeunes en premier est vraiment invraisemblable, sachez que ce n’est pas le cas : c’est une approche qui est très utilisée pour d’autres vaccins », explique-t-il. Une stratégie qui, ajoute-t-il, s’était révélée efficace en 2006, quand la vaccination des enfants contre une maladie à pneumocoque avait finalement protégé les personnes âgées. Il remarque également que « avec la grippe, si vous vaccinez des enfants et que vous réussissez à immuniser 75 % d’entre eux, cela peut assurer aux Seniors une protection égale, voire meilleure, contre la grippe que si vous les vaccinez directement ».
Les décisionnaires politiques devraient aussi réfléchir à la proposition israélienne de vacciner en premier les « super-propagateurs », continue-t-il.
Mais Edelstein, en fin de compte, dit être très confiant.
« On ne doit pas s’attendre à ce que tout le monde soit immunisé l’année prochaine et il ne faut pas encore jeter les masques à la poubelle – on va encore les porter pendant un certain temps », déclare-t-il. « Mais on doit aussi reconnaître que des vaccins de qualité sont produits en un temps record – et l’Histoire retiendra que nous avons ainsi assisté à l’une des plus grandes réussites en termes de santé publique ».