Michel Tournier, ami critique de l’Allemagne
Sans ses relations "d'amour-haine", selon sa formule, avec l'Allemagne, il n'aurait pas écrit "Le roi des Aulnes"
Fils de professeurs agrégés d’allemand, Michel Tournier considérait l’Allemagne comme une « partie de lui-même » mais se disait « ami très critique » de ce pays.
L’enfance, disait-il, « m’a donné une éducation extrêmement politique ».
Il pensait à son père, « gueule cassée » de la Grande guerre, qui avait reçu une balle en pleine figure en août 14 : « j’ai eu devant moi, toute ma vie, un père qui avait une mâchoire abîmée et j’en étais fier ».
Mais il faisait aussi référence aux quatre années qu’il avait passées, jeune, en Allemagne. Il a 9 ans quand les nazis prennent le pouvoir et 14 quand la guerre éclate.
A 20 ans, en 1944, il retourne en Allemagne, ce « morceau de ruines fumantes », qu’il voit « renaître ».
Il étudie la philosophie à l’université de Tübingen, où il rencontre le futur auteur du film « Shoah » Claude Lanzmann, et où il reçoit la visite de son copain, le philosophe en devenir, Gilles Deleuze.
S’il lit Novalis ou Kleist, il se passionne surtout pour Kant et Hegel. Il rentre à Paris pour passer l’agrégation de philosophie. C’est l’échec. Il en souffrira.
Sans ses relations « d’amour-haine », selon sa formule, avec l’Allemagne, il n’aurait pas écrit un de ses grands livres, « Le roi des Aulnes » (1970). Pour sa documentation, il lit les 42 volumes des minutes du procès de Nuremberg.
« C’est tout le problème de la guerre que je rassemble dans le personnage de l’ogre, pas n’importe quelle guerre, mais celle de 39-45, avec le racisme et le nazisme, entreprise particulièrement ogresse, mangeuse de jeunes », a-t-il expliqué.
L’ogre est un personnage « qui existe dans notre voisinage et peut-être en nous », ajoutait-il alors que des critiques lui ont reproché son ambiguïté à l’égard de « la Grande Allemagne » et son culte de l’ordre et des muscles.
Une ‘réunification très mal faite’
Membre de l’Académie des arts de Berlin-est, il noue des relations avec le président de la RDA Erich Honecker et le dirigeant des services de renseignement Markus Wolf.
Michel Tournier fait partie en 1988 du haut conseil culturel franco-allemand et, en 1992, reçoit la médaille Goethe à Weimar qui récompense ceux qui favorisent les échanges culturels bilatéraux.
Il considère que « la réunification s’est très mal faite » : « Les alliés américains, anglais et français ont traité l’Allemagne de l’ouest moins brutalement que l’Allemagne de l’est, qui a été traitée en pays conquis, écrasée, épurée et humiliée ».
Michel Tournier a souvent dit qu’il était pour la réunification mais pas « par effondrement de la RDA et ‘dévoration’ de l’est par l’ouest ».
Dans son essai, « Le bonheur en Allemagne » (2006), il relevait, non sans humour, que chaque peuple se réclame des vertus dont il s’estime dépourvu : « l’Allemand se veut méthodique et travailleur. Or, les salariés ont la semaine de travail la plus courte du monde et battent tous les records d’absentéisme ».
« Les qualités de légèreté et d’élégance que revendiquent les Français, on les trouve, d’après lui, dans la musique de Mozart, chez Hölderlin, Heine ou dans les châteaux et les églises baroques de Souabe et de Bavière ».