Moché Lewin appelle à une réglementation internationale contre l’antisémitisme
Depuis plusieurs semaines, la France connait un rebond de l’antisémitisme, notamment dans le cadre des manifestations contre le pass sanitaire
Dans une interview pour I24News publiée le 15 août, Moché Lewin, rabbin du Raincy, vice-président de la Conférence des rabbins européens et conseiller spécial du grand rabbin de France, a appelé à mettre en place une réglementation mondiale contre l’antisémitisme sur Internet et à favoriser le dialogue interreligieux.
« Aujourd’hui, l’antisémitisme sur les réseaux sociaux crée des dégâts considérables. Avant, quand il y avait une pancarte antisémite dans les manifestations, seules les 20 personnes qui étaient autour la remarquaient, maintenant elle fait le tour de la toile en très peu de temps grâce à une photo et c’est très dangereux. En période de crise sanitaire et économique, on a une aggravation terrible de ce phénomène qui avait commencé il y a quelques années. On n’utilise plus forcément le mot ‘Juif’, mais on fait passer des messages antisémites », a expliqué Moché Lewin.
« Quand on rassemble des noms juifs ou présumés juifs sur une pancarte, c’est un antisémitisme masqué mais il a d’énormes répercussions. Leur but c’est de faire comprendre les choses sans les dire, et comme on est sur un fond de complotisme à propos des vaccins, quelques esprits fragiles y adhèrent », a-t-il poursuivi.
Le rabbin s’inquiète ainsi vivement de l’antisémitisme diffusé sur Internet : « Il n’y a pas de sanctions, ce n’est pas normal de pouvoir dire ‘sale juif’ sur les réseaux sans être sanctionné, tandis que dans la rue ou devant des témoins on peut être poursuivi. Diffuser des contenus antisémites peut avoir un impact mondial, un Juif peut être tué en Afrique car il y aura eu ce message en France. »
Le rabbin s’est également exprimé au sujet d’un site Internet antisémite récemment fermé, dont le lien avait été posté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour le condamner – mais en en faisant dans le même temps la promotion.
« Cela m’a choqué, mais il y a déjà des sites qui classent les noms de personnalités juives laissant entendre qu’elles dirigent le monde. Les cibler pendant la crise sanitaire est évidemment encore plus dangereux car ils tiennent les Juifs pour responsables de ce qu’il se passe », a réagi Moché Lewin.
Depuis plusieurs semaines, la France connaît un rebond de l’antisémitisme, notamment dans le cadre des manifestations contre le pass sanitaire.

L’étoile jaune a ainsi été détournée et reprise avec la mention « non vacciné », des pancartes et des slogans antisémites ont fait leur apparition, les comparaisons entre pass sanitaire et lois nazies ont été nombreuses (un manifestant a notamment comparé Emmanuel Macron à Hitler et à Pétain sur de larges affiches dans le Var), et une stèle de Simone Veil a récemment été vandalisée à plusieurs reprises en Bretagne.
« La Shoah est le paroxysme de la dictature donc on utilise ce symbole pour montrer qu’en portant l’étoile jaune et en luttant contre le pass sanitaire on devient libre, et cela est terrifiant. Cette utilisation est malsaine et si nous laissons ce type de comparaison impunie, cela signifie que tout se vaut », a réagi le rabbin Lewin.
« Ils mettent sur un pied d’égalité, la vaccination qui est là pour sauver et la Shoah qui était là pour tuer. Ces personnes savent que les médias se tournent vers ces revendications : il faut provoquer sinon ça n’intéresse personne. C’est donc à l’ensemble des citoyens de réagir, sinon la société se perd et se détruit. Les symboles changent mais l’antisémitisme reste le même. »
Selon M. Lewin, une réglementation à échelle internationale est nécessaire.
« Quand on veut éradiquer un problème, on sait s’en donner les moyens. Le grand rabbin de France avait notamment demandé à ce que l’antisémitisme soit une cause nationale. La volonté du gouvernement, on n’en doute pas, mais il s’agit d’un problème au niveau mondial. La justice doit faire un travail spécifique à ce sujet et établir une réglementation européenne voire mondiale des réseaux sociaux », a-t-il déclaré.
Il a aussi rappelé l’importance du dialogue interreligieux.
« Aujourd’hui, il n’y a plus de honte à être antisémite, c’est même la norme pour certains. Il faut donc les marginaliser en faisant de ce fléau l’affaire de toutes les religions et plus seulement celle de la communauté juive. Il faut sensibiliser les représentants des autres religions afin qu’ils appellent leurs fidèles à se mobiliser contre les incidents antisémites. Le travail interreligieux est relativement nouveau, mais il a produit des résultats intéressants et nous devons poursuivre dans cette voie. Par la communication et la connaissance de l’autre, la responsabilité collective doit se mettre en place », a conclu le rabbin Lewin.

Récemment, l’historien Tal Bruttmann a lui aussi regretté un « gros moment d’antisémitisme ».
Dans une tribune pour Le Monde intitulée « Refuser le passe sanitaire relève d’un choix individuel. Les Juifs, eux, n’ont jamais eu le choix », l’historien Iannis Roder a lui appelé à une meilleure « pédagogie ». Selon lui, en plus de condamner les comparaisons pass sanitaire / Shoah, il est important d’expliquer « que rien ne permet d’assimiler la politique sanitaire du gouvernement au sort des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale ».
« L’exclusion des Juifs à des fins discriminatoires reposait sur l’idée antisémite qu’ils représentaient un danger pour la société, sur des bases subjectives et idéologiques. Aujourd’hui, la mesure gouvernementale vise à protéger, sur des bases scientifiques et objectives, l’ensemble de la population de la menace de propagation du virus », a-t-il rappelé.