Netanyahu, le leader inégalé auto-proclamé qui refuse d’accepter sa part dans la catastrophe
La dissonance qu'il y a entre l'image que Netanyahu se fait de lui-même, chef suprême tout-puissant, et le pire cataclysme de toute l'Histoire du pays a complètement déstabilisé le Premier ministre

Benjamin Netanyahu n’a jamais tort. A ses yeux tout du moins, il est un dirigeant unique, suprême, capable de diriger la destinée d’un pays quel qu’il soit, même s’il devait être plus grand encore que les États-Unis. C’est ce que Netanyahu appelle une « valeur ajoutée ».
Son amour-propre excessif n’a rien de nouveau. J’entendais déjà ses sermons longs, mégalomanes, accompagnés de ces nombreuses gesticulations furieuses, il y a 30 ans déjà, sur le rôle induit par le leadership et sur sa capacité sans pareil à endosser un tel costume.
Cette évaluation noble de Netanyahu par Netanyahu n’a fait que se renforcer au fil des années. Élection gagnée après élection gagnée, il n’a pas cessé de se grandir à ses propres yeux jusqu’à en perdre la vision très concrète du sol qu’il foule.
Netanyahu se considère comme une sorte de messie laïc – tenant Israël entre ses mains de géant, la destinée du pays dépendant entièrement de lui. S’il abandonne Israël, l’État juif s’effondrera, pense-t-il. Mais s’il reste, Israël survivra et prospèrera.
Netanyahu n’a jamais caché son positionnement : avec lui, nos enfants seront en sécurité ; il nous protègera ; il sauvera « l’État d’Israël » – comme il a encore eu le culot de le dire lors de sa conférence de presse, dans la soirée de samedi.
J’ai vu Netanyahu lors de nombreux événements, importants ou moins importants, sur le point de prendre des décisions lourdes de conséquences. Et à ces moments-là, il semble être sur une autre planète. Un exemple, celui du mois de janvier 2020, quand Netanyahu avait célébré « l’accord du siècle » qui avait été négocié par l’ancien président américain Donald Trump à Blair House, la maison d’hôtes du président, à Washington.
Lors du dévoilement du plan, il avait semblé que Netanyahu était sur le point d’annexer la Cisjordanie, de revendiquer la souveraineté sur les implantations, de diviser Jérusalem, de transférer les villages et les banlieues à l’Autorité palestinienne et de résoudre tous les problèmes du Moyen-Orient – une sorte d’hallucination délirante qui avait été rapidement dissipée par ses hôtes à la Maison Blanche.
Netanyahu se considère comme une sorte de messie laïc – tenant Israël entre ses mains de géant, la destinée du pays dépendant entièrement de lui
Son cercle, et en particulier les membres les plus proches de sa famille, ont nourri ce narratif de « Sauveur » inégalé pour le pays. Pour eux, Netanyahu fait une grande faveur à la population israélienne en consentant à la diriger. Ovadia Yosef, feu grand rabbin d’Israël, avait qualifié Netanyahu de « bouc blanc » mais le Premier ministre se voit plutôt comme un lion rugissant, l’un des plus grands leaders de toute l’Histoire de l’Occident.
Après les élections du mois de novembre 2022, Netanyahu s’était félicité, lors d’une conversation privée, d’être le troisième dirigeant, dans le monde occidental, à être réélu au poste de Premier ministre une troisième fois depuis cent ans.
Et en effet, rien n’est plus important pour Netanyahu que la place qu’il occupera dans l’Histoire. Ces dernières années, plus il s’est dépeint sous les traits du Rédempteur – soutenu en cela par le regard que sa famille portait sur lui – plus il a fait peu de cas des contributions des autres.
Il s’est même attaché, ces dernières années, à tuer le père, David Ben Gurion, tout premier chef de gouvernement israélien – au moins en matière de relations internationales. Netanyahu est réellement convaincu qu’il est mieux à même de comprendre la dynamique américaine et que, dans cette mesure, il est beaucoup plus apte à en tirer parti dans la guerre et dans la paix que ce n’était le cas de Ben Gurion.

Même samedi soir, alors qu’Israël peine à se relever de la plus grande catastrophe de toute l’Histoire du pays – un désastre dont il est responsable – il a tenté de réécrire l’histoire.
Israël combat dans le cadre de sa seconde guerre d’Indépendance, a dit Netanyahu – même si, Dieu merci, nous n’affrontons pas une menace existentielle. Comme dans ses discours antérieurs, il a déclaré qu’il était là pour nous sauver tous, que c’était la mission de sa vie – même si de nombreux Israéliens renonceraient avec joie à son leadership, ce leadership qui a permis à un tel cataclysme de s’abattre sur nous.

Ces dernières années, les dossiers de corruption qui valent à Netanyahu de comparaître devant la justice l’ont fortement effrayé. Il a mis le pays sens dessus-dessous, cette année, pour tenter d’empêcher le procès de souiller son précieux héritage. Le pays se déchirait sur le plan de refonte du système judiciaire avancé par son gouvernement mais Netanyahu n’en avait cure – une impassibilité qui a duré jusqu’au moment où il a été placé dans l’obligation de céder face aux centaines de milliers de manifestants qui étaient descendus dans les rues.
Aujourd’hui, Netanyahu est horrifié à l’idée d’être l’homme qui aura amené Israël a connaître sa « mini-Shoah », le surnom qui a été donné à la catastrophe du 7 octobre.
La dissonance qu’il y a entre l’image que Netanyahu se fait de lui-même, chef suprême tout-puissant, et le pire cataclysme de toute l’Histoire du pays – un cataclysme qui s’est déroulé alors qu’Israël était placé sous son autorité – a complètement déstabilisé le Premier ministre, rompant son équilibre.
Dans la première semaine qui a suivi le massacre de plus de 1 400 personnes dans les communautés situées à la frontière avec Gaza, il a été en état de choc total, au moins selon plusieurs ministres du cabinet.
Depuis les tous premiers jours de la guerre, il a tenté d’échapper à ses responsabilités pour l’attaque-surprise, essayant d’affirmer que l’armée et les services de sécurité lui avaient fait défaut. Et ses comparses ont adopté le même discours. Dans la soirée du 7 octobre, Baruch Hassan, activiste du Likud, a demandé au directeur-général du Bureau du Premier ministre, Yossi Shelly, comment tout cela avait pu arriver. Il a alors reçu une réponse lapidaire à sa question sur WhatsApp : « Interrogez l’armée ».

Netanyahu s’en est ensuite rigoureusement tenu à ce narratif, blâmant parfois le ministre de la Défense Yoav Gallant, parfois le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi.
Dimanche, au cours d’un entretien avec Omari Essenheim, devant les caméras de la chaîne Kan, le frère du Premier ministre, Iddo Netanyahu, a appelé le président de HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, à démissionner de son poste.
Et même lorsque les chefs de la sécurité israélienne eux-mêmes ont assumé leur part de responsabilité dans la catastrophe, Netanyahu a pris grand soin de prendre ses distances.
Samedi soir, lors de la conférence de presse organisée aux côtés de Gallant et de Gantz, lorsqu’il a été demandé à Netanyahu s’il assumait la responsabilité de la catastrophe et si une commission d’enquête d’État serait établie, le Premier ministre a esquivé les deux questions.
Plus tard, dans la même soirée, quelques heures après qu’un journaliste, lors de la conférence de presse, a laissé entendre que le responsable du Shin Bet et le chef des renseignements militaires l’avaient averti, dans une note, que la probabilité d’une guerre était croissante et qu’il lui est apparu, comme à ses proches, qu’il ne pourrait échapper à sa responsabilité dans cette débâcle, Netanyahu a riposté dans une publication sur X, anciennement Twitter, avec force. Même au beau milieu de l’incursion terrestre dans la bande de Gaza, même au beau milieu de la crise des otages, ce sont les accusations qui pouvaient potentiellement mettre en danger son héritage qui l’auront fait trembler.
Mais il sera allé trop loin, cette fois-ci. Interpeller les responsables de la sécurité alors qu’une guerre que Netanyahu lui-même a qualifiée de seconde guerre de l’Indépendance est en cours sur le terrain a été considéré comme inacceptable, impardonnable par les élites politique et sécuritaires comme par les activistes du Likud.

Hassan, un activiste de premier plan du Likud originaire de Netanya, a critiqué avec dégoût Netanyahu, dimanche, pour sa publication. Dans un message vocal à Zman Yisrael — le site en hébreu du Times of Israel – qui a aussi été transmis à des ministres et à des députés variés de la formation, Hassan a dit que « Vous pouvez le dire à Bibi sans aucune ambiguïté : S’il écrit encore un tweet contre l’armée, il ne sera plus le bienvenu au sein du parti du Likud. Compris ?… Laissez l’armée tranquille ! »
Autorisant Zman Yisrael à publier cet enregistrement, Hassan a ajouté que « nous avons grandi avec l’union en temps de guerre comme valeur, avec cette idée que l’armée est intouchable. Pour moi, le tweet de Netanyahu trahit ces valeurs. L’armée de la nation est sacrée et en particulier en temps de guerre. Les soldats risquent leur vie et ils paient de leur sang, et les politiciens, comme tous les autres Israéliens, leur doivent leur âme ».
Le scandale contre Netanyahu a alors menacé d’éclater. Il a été obligé de supprimer sa publication, écrivant dans un autre Tweet : « J’ai eu tort, je suis désolé ».
Le chef suprême a courbé le dos, et une nouvelle ère est advenue dans la vie de Netanyahu – celle du début de la fin. Elle sera riche en excuses et en reconnaissance de ses manquements et cette fois, il n’aura pas le choix.
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