Pourquoi Haredim et laïcs se déchirent sur les conversions ? Décryptage
Un arrêt de la Haute cour reconnaissant les conversions non-orthodoxes effectuées en Israël a fait boule de neige et provoqué une crise politique, à quelques semaines des élections
JTA — Une décision de la Haute cour israélienne portant sur la reconnaissance des conversions au judaïsme effectuées en Israël pour être éligible à la Loi du retour a déclenché une crise politique à trois semaines à peine de la tenue des élections nationales dans le pays.
Un allié ultra-orthodoxe de Benjamin Netanyahu a qualifié cette décision de « malavisée [et] très troublante ». L’un des principaux adjoints du Premier ministre est allé plus loin, en prédisant que cette décision allait « nous apporter un désastre ». Les rabbins ultra-orthodoxes ont également condamné cette décision.
Les rivaux libéraux de Netanyahu, quant à eux, l’ont célébré comme un premier pas vers une réforme plus large. Les militants de la liberté religieuse l’ont qualifiée de percée historique.
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Dans les faits, la portée de la décision est assez limitée : elle stipule que les non-Juifs qui vivent déjà en Israël, puis se convertissent sous des auspices non-orthodoxes, peuvent obtenir la citoyenneté israélienne.
En d’autres termes, la décision ne s’applique qu’à un groupe démographique extrêmement restreint : ceux qui vivent en Israël de façon légale, ne sont pas citoyens, ne sont pas Juifs, puis décident de devenir Juifs par le biais d’une conversion réformée ou Massorti. Les chiffres officiels sont difficiles à obtenir, mais cela ne représente qu’un petit nombre de personnes.
La décision ne s’applique pas aux Juifs libéraux étrangers ou aux non-Juifs qui cherchent à s’installer en Israël (qui peuvent déjà bénéficier de la Loi du retour si leur conversion libérale a été effectuée à l’étranger). Elle ne s’applique pas aux millions de non-Juifs en Israël qui sont déjà citoyens. Elle ne s’applique pas aux personnes en Israël qui se convertissent sous l’autorité orthodoxe.
Alors pourquoi cette décision suscite-t-elle une telle consternation parmi les Israéliens ultra-orthodoxes et leurs alliés ? Pourquoi les dirigeants orthodoxes veulent-ils limiter le nombre de personnes que l’État reconnaît comme Juives ?
Voici les réponses à ces questions, et à d’autres, sur le dernier conflit religieux qui déchire Israël.
Pourquoi les politiciens israéliens se battent-ils pour la conversion des Juifs ?
Pendant des décennies, Israël a cherché à répondre à une question difficile : Qui est Juif ? C’est une question qui a divisé les communautés juives pendant des siècles, et elle est devenue critique pour l’État juif pour plusieurs raisons.
Israël accorde automatiquement la citoyenneté à tout Juif dans le monde, ce qui exige bien sûr que l’État détermine qui est et n’est pas Juif. Israël a traditionnellement accordé la citoyenneté à tout demandeur ayant un grand-parent juif – la définition qu’Adolf Hitler a utilisée lors de la Shoah.
Le gouvernement israélien se réfère généralement par défaut aux exigences des Juifs orthodoxes en matière de religion en raison d’une politique définie par le premier Premier ministre israélien, David Ben Gourion, qui avait l’intention de préserver ce qu’il pensait être une minorité haredi en déclin après la Shoah. Dans ses premières années, Israël n’accordait la citoyenneté qu’aux convertis orthodoxes.
Au cours des dernières décennies, cependant, les dirigeants juifs américains, qui représentent des communautés pour la plupart non-orthodoxes, ont également obtenu la reconnaissance israélienne pour les convertis conservateurs et réformés. Depuis les années 1980, grâce à des décisions antérieures de la Cour suprême, Israël a accordé la citoyenneté à la plupart des convertis conservateurs et réformés de l’extérieur du pays, bien qu’ils doivent encore franchir une série d’obstacles bureaucratiques pour prouver leur judaïté.
Si Israël encourage l’immigration juive, pourquoi l’un de ses dirigeants voudrait-il empêcher les Juifs de devenir citoyens ?
Aux yeux des dirigeants israéliens qui cherchent à maintenir une majorité juive dans le pays, une immigration juive élargie pourrait sembler être une bonne chose : plus de Juifs éligibles signifie plus d’immigrants potentiels et, théoriquement, plus de citoyens juifs.
Mais si les dirigeants ultra-orthodoxes se soucient du nombre de Juifs en Israël, ils se soucient davantage du type de Juifs présents dans le pays et de ceux qui contrôlent le culte juif. En d’autres termes, si un grand nombre de Juifs non-orthodoxes devenaient citoyens israéliens, les Israéliens du courant ultra-orthodoxes considéreraient cela comme une menace pour leur mode de vie, et non comme un avantage pour Israël dans son ensemble.
Les Haredim estiment aussi généralement que l’observance religieuse traditionnelle est nécessaire à la survie du peuple juif. Ils considèrent que le judaïsme réformé et le judaïsme conservateur ne sont pas des formes authentiques du judaïsme, et que par conséquent, les personnes qui se convertissent par leurs biais ne sont pas de vrais Juifs, ni qu’un mariage célébré par un rabbin réformé ou conservateur est un mariage légalement juif.
Ainsi, à titre d’exemple, si une femme se convertit avec un rabbin réformé, se marie lors d’une cérémonie réformée et a des enfants, la plupart des Israéliens haredim ne considéreront pas ces enfants comme Juifs. Si une telle situation venait à se généraliser , les Israéliens ultra-orthodoxes craignent qu’il devienne finalement impossible de savoir qui est et n’est pas Juif, selon les normes orthodoxes, en Israël.
Les politiciens haredim combattent-ils également l’influence du judaïsme réformé et conservateur en Israël ?
Oui, parce qu’Israël ne sépare pas la religion et l’État, certaines pratiques religieuses orthodoxes sont exigées par la loi. Les bus et les trains ne circulent pas le jour du Shabbat. Les synagogues et les établissements religieux sont financés par l’État.
Le Grand Rabbinat, financé par le gouvernement, gère les contrats de mariage, le divorce, la certification de cacheroute et d’autres aspects de la vie religieuse. Dans la pratique, cela signifie que les mariages interconfessionnels, non-orthodoxes et homosexuels célébrés en Israël ne sont pas reconnus par le gouvernement et que les organismes indépendants de certification de cacheroute se heurtent à des obstacles dans leur travail.
Le maintien de ce système – le statu quo religieux d’Israël – est la priorité absolue des partis politiques religieux d’Israël et de leurs électeurs. Cela est dû en partie au fait que le système bénéficie directement aux Israéliens orthodoxes, en finançant leurs écoles et en accordant la primauté à leurs pratiques dans la sphère publique.
C’est également la raison pour laquelle les politiciens ultra-orthodoxes considèrent les Juifs réformés comme une menace extrême. Jusqu’à ces dernières années, les Israéliens laïcs ne se sont pas souciés du contrôle orthodoxe de certains aspects du gouvernement. Les rabbins non-orthodoxes, en revanche, poussent activement une forme alternative de judaïsme que les rabbins ultra-orthodoxes considèrent comme hérétique.
Comment les Juifs réformés et leurs alliés ont-ils réagi aux attaques des Haredim ? Et que pourrait-il se passer ensuite ?
Le mépris haredi, bien sûr, est extrêmement insultant pour les Juifs non-orthodoxes et leurs rabbins, qui estiment que leur forme de croyance et de pratique juive n’est pas moins légitime que les autres. Yair Lapid, qui dirige le parti centriste Yesh Atid, a qualifié d’antisémite et de « dégoûtante » une récente campagne publicitaire politique de partis haredim qui compare les Juifs réformés à des chiens.
Des sondages successifs ont montré que la plupart des Israéliens étaient favorables à une libéralisation de la loi religieuse israélienne, notamment en autorisant le mariage civil et en organisant des transports publics le jour du Shabbat. Les Haredim ne représentent qu’un pan de la société israélienne.
Mais comme les partis religieux ont presque toujours fait partie des coalitions de gouvernement israéliennes, ils ont réussi à contrecarrer la plupart des tentatives de réforme du statu quo religieux, même si leurs électeurs ne représentent qu’une fraction de l’électorat. En 2014 et 2015, par exemple, la coalition gouvernementale israélienne a adopté une série de lois de laïcisation. Mais la coalition suivante comprenait les partis religieux, qui ont rapidement annulé toutes les décisions du gouvernement précédent en matière de religion.
Les Israéliens des partis religieux sont conscients qu’ils sont en minorité et qu’un nombre croissant de Juifs laïcs en ont assez du monopole des orthodoxes sur les questions religieuses. Les défenseurs de la liberté religieuse le savent aussi.
Cette réalité augmente les enjeux de chaque bataille sur la religion et l’État – même les décisions de justice comme celle de lundi qui ne concernent qu’une poignée de convertis résidant déjà dans le pays.
Les militants de la laïcité espèrent que ces décisions feront boule de neige et se traduiront par de plus grandes victoires contre l’establishment haredi. Et les Israéliens haredim craignent que, s’ils cèdent sur les petites batailles, ils pourraient perdre la guerre.
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