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Analyse

Pourquoi Netanyahu a suspendu – momentanément – plusieurs mesures radicales

Le Premier ministre a suspendu dimanche une série de législations litigieuses et un projet de résolution gouvernementale. Serait-ce pour se faire inviter à la Maison Blanche ?

Jeremy Sharon

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dirige une réunion du cabinet au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 28 mai 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dirige une réunion du cabinet au bureau du Premier ministre à Jérusalem, le 28 mai 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Tout juste après l’approbation, la semaine dernière, du budget de l’État pour les deux années à venir, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé une nouvelle ère de stabilité politique qui, a-t-il juré, durera pendant les quatre années du mandat de son gouvernement.

L’empressement de Netanyahu, connu pour sa grandiloquence, à annoncer une période de calme politique alors que le pays traverse l’une des périodes les plus fracturées de son histoire, ressemble davantage à un vœu pieux, doublé d’un soupçon de naïveté désespérée.

Certes, l’adoption du budget signifie bien que le gouvernement ne pourra pas être renversé sans rébellion préalable d’un parti de la coalition, mais cela implique également que les partenaires de la ligne dure de la coalition de Netanyahu ont désormais le temps et l’énergie nécessaires à disposition pour faire avancer leurs programmes radicaux.

Les ordres du jour des différents partis du gouvernement ont rapidement été remplis par une multitude de mesures controversées, qui ont été vivement critiquées en Israël, mais qui ont aussi été éreintées par les principaux alliés du pays à l’international.

Dès dimanche, plusieurs de ces projets litigieux ont été abandonnés ou reportés, suscitant l’indignation des partenaires de la coalition du Premier ministre – mais vraisemblablement à la satisfaction de ce dernier.

Le plus controversé est un projet de loi, rédigé par le député Ariel Kallner, un membre de la droite dure du Likud, le parti de Netanyahu, sur lequel la commission des Lois aurait dû voter et qui visait à restreindre fortement la capacité des associations citoyennes israéliennes à obtenir des fonds de l’étranger.

Le député du Likud Ariel Kallner assistant à une réunion d’une commission de la Knesset, le 15 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La mesure aurait probablement eu un impact disproportionné sur les organisations qui critiquent le gouvernement et le bilan du pays en matière de droits de l’Homme.

Les États-Unis, l’Allemagne, la France et de nombreux gouvernements européens ont tous exprimé de fortes réserves à l’égard du projet de loi, qui a été retiré de l’ordre du jour de la commission, dimanche. Selon des sources émanant du Likud, c’est Netanyahu lui-même qui aurait pris cette décision.

Un autre projet de loi controversé a été retiré dimanche, qui visait à interdire l’exhibition du drapeau palestinien dans les universités israéliennes, prévoyant des sanctions sévères à l’encontre des étudiants qui commettraient ce délit.

La Commission ministérielle, qui devait se prononcer sur le soutien apporté par le gouvernement à ce projet de loi – proposé par un député ultranationaliste et rédigé conjointement avec l’organisation nationaliste Im Tirtzu – a décidé de repousser cette décision d’au moins un mois.

En outre, une décision concernant une proposition de texte gouvernemental avancée par le parti d’extrême droite Otzma Yehudit pour promouvoir les « valeurs sionistes » dans la politique gouvernementale – qui, si elle est approuvée, pourrait accorder à la population juive un traitement préférentiel en matière de planification et de construction de logements – a également été différée. Il est toutefois difficile de dire pour combien de temps.

Netanyahu a déclaré à plusieurs reprises, y compris immédiatement après l’adoption du budget et lors de la réunion du cabinet de dimanche, que sa priorité absolue était de s’attaquer à la crise du coût de la vie, mettant au second plan le projet de réforme du système judiciaire qui a suscité une vive opposition tant dans le pays qu’à Washington.

Le chef du Likud, le député Benjamin Netanyahu, et le chef du parti Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, lors d’un vote dans la salle de réunion de la Knesset, le 28 décembre 2022. (Crédit : Olivier Fitoussi/Flash90)

Une ferveur modérée

La modération de cette ferveur nationaliste peut s’expliquer de plusieurs manières, notamment par le désir de Netanyahu d’obtenir une invitation très convoitée à rencontrer le président américain Joe Biden à la Maison Blanche.

Ce dernier a toutefois précisé qu’il n’envisageait pas pour l’instant de rencontrer Netanyahu, et ce principalement pour témoigner de son opposition à la vaste réforme du système judiciaire qui, selon l’administration américaine, porterait gravement atteinte à la démocratie israélienne.

Le Premier ministre a toujours considéré ces rencontres comme un élément extrêmement important de son travail, tant en termes de travail de fond que pour son image d’homme d’État international défendant les intérêts d’Israël comme seul Netanyahu pense pouvoir le faire.

Le fait de se voir refuser cette opportunité, surtout après que son rival, le chef de l’opposition Yair Lapid, a pu accueillir Biden en Israël l’année dernière pendant son bref mandat de Premier ministre par intérim, exaspère Netanyahu qui est impatient de rectifier la situation.

Netanyahu a même empêché son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et son ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen, d’accepter les invitations à rencontrer leurs homologues de l’administration Biden, afin d’éviter d’être éclipsé et de se sentir humilié par son incapacité à obtenir lui-même une invitation.

Les États-Unis étant les principaux opposants au projet de loi limitant le financement des ONG et s’opposant également à la résolution sur les « valeurs sionistes », Netanyahu pourrait tenter de contenir les membres les plus radicaux et les plus difficiles à manier de sa coalition afin de ne pas contrarier davantage l’administration Biden.

Le président américain Joe Biden, à gauche, et le Premier ministre intérimaire israélien Yair Lapid souriant après avoir signé un engagement de sécurité à Jérusalem, le 14 juillet 2022. (Crédit : Atef Safadi/AFP)

L’une des caractéristiques classiques des démocraties non libérales telles que la Hongrie et la Pologne est de limiter la capacité à recevoir des fonds des organisations civiles qui se montrent critiques à l’égard du gouvernement, et toute indication que la coalition pourrait s’orienter dans la même direction ne manquerait pas d’activer le signal d’alarme à Washington.

Promesses de campagne

Mais il y a plusieurs autres explications possibles au fait que ces mesures litigieuses ont été mises de côté pour le moment.

La première est que Netanyahu souhaite réellement se concentrer sur la crise du coût de la vie et qu’il comprend que toute distraction supplémentaire, qui pourrait entraîner une nouvelle intensification des manifestations contre son gouvernement et un nouveau plongeon dans les sondages, rendra tout simplement la tâche du gouvernement encore plus difficile.

Bloquer le financement des ONG et interdire les drapeaux palestiniens n’aurait aucun impact positif sur la vie des citoyens israéliens qui souffrent de taux d’intérêt élevés et d’une inflation qui n’a pas encore été maîtrisée. Ces mesures ne feraient que consommer davantage de capital politique sans autre résultat que celui de satisfaire ses partenaires d’extrême droite.

Il semblerait donc plus judicieux de commencer à tenir les promesses faites pendant la campagne électorale en réduisant le fardeau financier des ménages israéliens, plutôt que de contrarier encore davantage une population déjà agitée.

Les mains au volant ?

Il est également possible que Netanyahu ne soit pas convaincu par les politiques de ses collègues ultranationalistes et qu’il comprenne que la poursuite de leurs objectifs ne fait que nuire à la position internationale d’Israël, non seulement aux yeux des États-Unis, mais aussi de l’Europe et du reste du monde occidental.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu dirigeant une réunion de sa faction, le Likud, à la Knesset, le 15 mai 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Après les élections à la Knesset en novembre, mais avant la formation du nouveau gouvernement, Netanyahu avait affirmé à plusieurs reprises qu’il « tiendrait le volant à deux mains », en tentant de rassurer ceux qui s’inquiétaient de l’orientation de ce qui devait s’avérer être le gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’Histoire d’Israël.

Au cours du cycle électoral précédent, Netanyahu avait déclaré qu’il ne pensait pas que le dirigeant d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, était apte à occuper un poste ministériel et, pendant des années, il avait soigneusement évité de se faire prendre en photo avec lui, y compris au cours de la dernière campagne électorale, lorsqu’il avait refusé d’apparaître aux côtés du dirigeant d’extrême droite à une fête à laquelle ils participaient tous les deux.

Sachant que le budget a été adopté et que Otzma Yehudit, ainsi que le parti HaTzionout HaDatit, tout aussi ultranationaliste, et, dans une moindre mesure, les partis ultra-orthodoxes, n’ont nulle part où aller politiquement, Netanyahu se sent sans doute plus à l’aise pour contrer leurs penchants extrémistes.

Du moins pour l’instant.

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