Procès Pétain : les rédactions dépêchent leurs meilleures plumes
Comme la majorité des Français de l'époque, Joseph Kessel souligne la responsabilité de Pétain sans pour autant se départir d'un certain respect pour le "vieux maréchal"
Deux mois et demi à peine après la reddition de l’Allemagne, les journaux vont se passionner pour le procès Pétain et y dépêcher leurs meilleures plumes. Notamment Joseph Kessel, François Mauriac, Léon Werth, Albert Camus.
Pour France-Soir, c’est Joseph Kessel, héros de la France Libre, co-auteur avec son neveu Maurice Druon du « Chant des Partisans », qui rend compte du procès. La première séance, le 23 juillet, donne le ton : « Comme elle est vieille et cassée, et combien pareille à celle que la France entendait si souvent à la radio, la voix qui répond à l’interrogatoire d’identité. Mon nom : Philippe Pétain. Qualité : maréchal de France. Après quoi le maréchal Pétain se rassied et plus rien ne semble le toucher. Une voix qui appartient aux disques de radio plutôt qu’à un homme. Un képi lauré sur une vieille petite table. Un vieillard sur un vieux fauteuil ».
Comme la majorité des Français de l’époque, Kessel souligne la responsabilité de Pétain sans pour autant se départir d’un certain respect pour le « vieux maréchal ». Ce qui n’est pas le cas à l’égard de son ex-président du Conseil Pierre Laval – cité comme témoin les 3 et 4 août -, cette « étrange créature » à la « laideur presque fascinante », « bouche flasque » et « lippe pendante », qui fait un « contraste saisissant » avec « la figure inaltérable et aux belles lignes du maréchal ».
Sur le verdict, prononcé le 15 août 1945 en pleine nuit au terme d’une attente de plusieurs heures dans les couloirs du Palais de justice, Kessel écrira : « L’attente s’étirait sans mesure. La meule du temps broyant les instants de cette nuit avec une lenteur infinie ».
Pour Le Figaro, François Mauriac, souligne au début du procès : « Ne reculons pas devant cette pensée qu’une part de nous-mêmes fut peut-être complice, à certaines heures, de ce vieillard foudroyé ». « Ce procès n’est-il pas aussi un peu leur procès ? », écrit-il à propos des Français qui ont majoritairement approuvé l’armistice.
Et le 16 août, au lendemain du verdict, il écrit : « Pour tous, quoiqu’il advienne, pour ses admirateurs, pour ses adversaires, il restera une figure tragique, à mi-chemin de la trahison et du sacrifice » avant de conclure : « un procès comme celui-ci n’est jamais clos et ne finira jamais d’être plaidé ».
Un « tribunal des limbes »
L’écrivain Léon Werth, envoyé spécial de la revue Résistance créée fin 1942, parle d’une « mascarade ». Du procureur général Mornet qui a participé sous Vichy à la commission de révision des naturalisations, il note qu’il « a toujours agi, durant le procès, pour éloigner la vérité. Le grand collet d’hermine couvre sa robe rouge, et le cordon de la Légion d’honneur s’étale sur l’hermine comme du sang sur la neige ».
Quant à Pétain, c’est un « présent absent », « contumace par le silence ».
« En ce tribunal de limbes, des événements appauvris, vidés de leur substance, s’assemblaient au hasard, comme une mauvaise copie de bachot. Le maréchal réel et le maréchal de légende devenaient indistincts, comme une photographie qui s’efface, mangée par la lumière », résume Werth.
Albert Camus, rédacteur en chef et éditorialiste de Combat, assiste personnellement à certaines audiences mais laisse au journaliste Georges Altschuler le récit quotidien des débats.
Au premier jour du procès, Camus réplique toutefois à Pétain que « s’il a fait don de sa personne, c’est comme une prostituée mais ce n’est pas pour la France ».
Dans son unique éditorial connu sur le sujet, il s’étonne que le président de la Haute Cour, Mongibeaux, ait officié à Riom en 1942 – où fut notamment jugé Léon Blum – et demande que le procès Pétain éclaire « les années fangeuses » de l’Occupation.