Que peut l’Etat quand l’antisémitisme est enraciné dans les esprits ?
France Culture tente une définition des 'habits neufs de l'antisémitisme' en compagnie du dessinateur Joann Sfar et du sociologue Samuel Ghiles-Meilhac

« L’antisémitisme aujourd’hui a une dimension syncrétique. Il peut à la fois très bien y avoir un antisémitisme qui va se réclamer d’un certain islam, et qui peut puiser dans les ressorts traditionnels de l’antisémitisme européen, » explique au micro de France-Culture, Samuel Ghiles-Meilhac, sociologue, professeur à Sciences Po, et membre du Centre de recherche et de formation sur le racisme et l’antisémitisme (rattaché à l’Institut du temps présent).
Pour lui, les poncifs de l’antisémitisme traditionnel français – comme la figure du juif riche – rencontrent parfois les slogans de l’antisémitisme musulman.
« On le voit ces derniers mois, explique Ghiles-Meilhac, des cambriolages à dimension antisémite en banlieue où des gens sont visés comme juifs, donc perçus comme ayant de l’argent, et au passage on pourra dire ‘Vive Daesh’. On a là tout les éléments qui peuvent fusionner dans des passages à l’acte violents ».
Joann Sfar, autre intervenant de cette émission matinale de France Culture consacrée aux « habits neufs de l’antisémitisme, » a constaté pour sa part un « changement après les meurtres de Mohammed Merah » dans la manière dont les juifs percevaient eux-mêmes l’antisémitisme.
« Avant, explique l’auteur de la série de BD Le chat du rabbin, les personnes dans la communauté étaient prompts à dénoncer un acte antisémite dès qu’il y avait une croix gammée quelque part. Depuis, on a vu que [les attaques contre les juifs] étaient incitatives. Le cimetière où est enterrée ma mère a été profané deux semaines après les attentats de Toulouse ».
Le dessinateur rapporte également le témoignage d’un religieux de la mouvance Loubavitch rentrant chaque soir le manteau plein de crachats. Il récuse « l’idée que ce serait le fait d’extrémistes. C’est une paresse intellectuelle générale qui fait que c’est fédérateur et assez cool de s’en prendre aux juifs, » déplore-t-il.
Selon Samuel Giles-Meilhac, « l’état n’est plus assez fort » ou « plus assez légitime » pour lutter contre ces formes de l’antisémitisme ancrées dans des opinions déjà bien digérées et enracinées dans les esprits.
« Et ce malgré la protection physique incarnée par l’opération Sentinelle, et les multiples initiatives gouvernementales contre le racisme et l’antisémitisme portées dans les écoles ».
« Interdire un spectacle de Dieudonné ne permettra pas de lutter » contre l’antisémitisme quotidien, conclut le sociologue.
Selon Joann Sfar, les pouvoirs publics portent une lourde responsabilité dans la désinvolture avec laquelle ils ont laissé venir en France un islam importé « depuis le Golfe et le soft-power des télévisions par cable ».
« On a toléré pendant 30 ans, dit-il, que des types viennent prêcher la haine des homosexuels, le rabaissement des femmes, la haine des Juifs et un mode de vie clanique. On a livré pieds et poings liés les citoyens français de confession musulmane à des fanatiques et 30 ans après, on se réveille ».
Cette émission spéciale, en deux parties, est à réécouter ici et ici.