Refonte judiciaire: la proposition de compromis de Friedmann rejetée par des experts
L'Institut israélien de la Démocratie et un forum de professeurs de droit évoquent "un mauvais plan", dénonçant un poids excessif du gouvernement dans les Lois fondamentales
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
L’Institut israélien de la Démocratie a âprement critiqué un plan de compromis proposé dans le cadre des réformes judiciaires controversées qui sont actuellement avancées par le gouvernement. Selon l’Institut, ce compromis, suggéré par l’ancien ministre de la Justice Daniel Friedmann et d’autres, adopte presque toutes les propositions faites par le gouvernement et il porterait gravement atteinte au caractère démocratique d’Israël.
Pour sa part, le Forum pour la démocratie des professeurs de droit, une association réunissant des experts issus des meilleures universités israéliennes, a fustigé le plan de Friedman, en estimant, comme l’IDI, qu’il reprenait trop d’éléments du projet gouvernemental pour être considéré comme un compromis.
Mardi, Friedmann – avec plusieurs personnalités publiques de premier plan – avait publié un plan qui assouplissait certains aspects de la refonte judiciaire qui est actuellement avancée par le ministre de la Justice Yariv Levin et par le député Simcha Rothman au cours d’une campagne-coup de poing à la Knesset.
Le plan de Friedmann accorderait à la coalition et à l’opposition une représentation égale au sein de la commission chargée de nommer les juges en Israël, autorisant chaque partie à choisir un magistrat sans le consentement de l’autre – ce qui modérerait, d’une certaine manière, le plan radical du gouvernement qui prévoit d’éliminer pratiquement tout réexamen judiciaire des législations et qui prévoit aussi de permettre à la Knesset de passer outre les décisions et autres jugements rendus par la Haute-cour.
« La ‘modération’ apportée aux propositions qui ont été faites par Rothman et Levin n’est qu’apparente et le projet n’offre pas de protection face au contrôle total, par la coalition, du système judiciaire », a dit l’IDI dans une déclaration à la presse.
L’Institut a ajouté que la composition de la Commission de sélection judiciaire qui est proposée par Friedmann « va presque entièrement politiser le choix des juges », réduisant le professionnalisme et l’indépendance du système de la justice en Israël.
L’Institut israélien de la Démocratie a noté que le plan de Friedmann envisageait d’autoriser le gouvernement à adopter une Loi fondamentale avec une majorité de 61 députés seulement (même si ce sera sur une période couvrant deux mandats de Knesset – avec deux votes donc – si la loi ne bénéficie pas de 70 votes au moins la première fois) et qu’il interdit à la Haute cour de Justice tout réexamen judiciaire des Lois fondamentales.
« Ce que cela signifie, c’est que la coalition détiendrait un pouvoir illimité pour faire adopter les Lois fondamentales et que la Haute-cour ne serait pas en mesure d’intervenir », a affirmé le think-tank, disant que la restriction établissant qu’une Loi fondamentale qui n’a pas été approuvée par au moins 70 députés devra être réapprouvée par la Knesset suivante n’est pas une protection suffisante pour les droits déterminants qui sont inscrits dans les Lois fondamentales.
L’IDI a aussi critiqué les propositions du plan de Friedmann visant à limiter le réexamen judiciaire des lois ordinaires : ainsi, une invalidation ne pourra se faire que si les trois-quarts du panel tout entier des 15 juges de la Cour suprême se prononcent en faveur du rejet d’une législation.
« Le plan réduit au minimum – si ce n’est entièrement – les opportunités de réexamen judiciaire efficace », a estimé l’IDI, ajoutant que le chiffre de 65 députés exigés pour pouvoir passer outre l’invalidation, par la Haute-cour, d’un texte de loi est trop bas et qu’il n’y aurait aucune sphère politique où la Knesset ne serait pas en mesure de contourner la Haute-cour d’une manière ou d’une autre.
Un tel cadre, a dit l’IDI, n’existe nulle part ailleurs dans le monde « et rend le réexamen judiciaire presque hors de propos, soumettant les droits de l’Homme aux caprices du régime ».
L’institution a aussi insisté sur le fait que les propositions présentées dans le plan de Friedmann pour limiter l’autorité des conseillers juridiques du gouvernement et pour réduire l’utilisation de la notion juridique du « caractère raisonnable » allaient trop dans la direction prise par le gouvernement.
Le Forum pour la démocratie des professeurs de droit israéliens a, lui aussi, rejeté le plan de Friedmann, déplorant sa proximité trop grande avec les principes établis dans le projet de réforme du gouvernement.
« Les points principaux et déterminants [du plan de Friedmann] acceptent l’essence même des changements prescrits dans le système de gouvernement qui sont proposés par Levin et Rothman, notamment concernant le réexamen judiciaire, les nominations judiciaires, la clause dite ‘dérogatoire’, le test du ‘caractère raisonnable’ et le statut offert aux conseillers juridiques », a écrit l’organisation dans un article, mercredi.
« Toute concession faite sur ces points permettra de créer l’infrastructure nécessaire à de futures violations des droits de l’Homme, à de futures violations de l’indépendance judiciaire, à une future politisation partisane des autorités judiciaires et à des conséquences mortelles pour Israël en tant qu’État démocratique », a écrit le forum qui a conclu que le document présenté ne pouvait pas servir de base à un compromis.
Le professeur Yaniv Roznai, expert en droit constitutionnel à l’Université Reichmann et membre du forum, a ajouté sur Twitter que le plan de Friedmann ne protégeait pas suffisamment les Lois fondamentales face à de potentiels abus politiques et qu’il « castrait » le réexamen judiciaire.
« Une crise constitutionnelle est préférable à un mauvais plan et un plan raisonnable avec lequel nous pourrons vivre reste préférable à une crise constitutionnelle », a-t-il commenté.