Rejoignez les joyeux joueurs de pickleball du kibboutz
Ce jeu de raquette, tout comme le football marché ou le Mamanet, se taille doucement une place chez les seniors israéliens soucieux de leurs articulations
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Dans ce qui fut la salle à manger du kibboutz Tzora, où les membres dégustaient des schnitzels de poulet croustillant et de la shakshuka, Leon Solomon se place dans la partie du terrain de pickleball baptisé « la cuisine » et lance une balle dans le filet avec sa raquette en fibre de verre.
Il s’agit bel et bien du terrain de pickleball du kibboutz, une surface de 13,5 mètres de long et 6 mètres de large délimitée par du ruban adhésif, dans ce qui était autrefois la salle à manger de cette communauté du centre d’Israël.
Pourquoi la salle à manger? Bonne question.
Elle dispose de la climatisation pour se rafraichir l’été, elle est protégée des intempéries en hiver et son revêtement est beaucoup plus lisse que celui du terrain de basket extérieur que les joueurs utilisaient jusqu’alors.
Elle est également toujours disponible, puisque le kibboutz a été privatisé il y a de cela quelques années et que la cuisine commune a été fermée, renvoyant tout le monde chez soi au moment du petit-déjeuner, du déjeuner et du dîner.
« Nous avons fait des tests d’impact des balles sur les murs et les plafonds », explique Harriet Solomon, « et elles ne font aucun dégât. »
Désormais, la dizaine de joueurs de pickleball de Tzora, âgés de 55 à 85 ans, se retrouvent pour des doubles, tous les matins ou presque, aux environs de 7 heures, pour aligner servir, aces et balles liftées de part et d’autre du filet réglementaire de 86 cm de haut installé sur le linoléum.
Tous sont accros au pickleball, la grande tendance du moment.
Ce jeu de raquette, créé en 1965 sur l’île de Bainbridge, dans l’État de Washington, par hybridation du badminton, du squash, du paddle et du tennis de table, a eu un grand retentissement aux États-Unis et il se fait aujourd’hui une place en Israël.
Il n’y a rien d’israélien dans le jeu, à l’exception peut-être de l’un de ses termes d’argot, le « falafel » (un tir qui n’atteint pas le filet car frappé sans puissance), utilisé bien avant que le jeu n’arrive dans le pays.
« Quand nous avons commencé à jouer, le pickleball était très peu connu en Israël », explique Solomon.
« Cela n’existait tout simplement pas », renchérit son coéquipier, Mike Levine.
Salomon acquiesce : l’équipe de Tzora est sans doute la toute première a avoir vu le jour en Israël.
Plus précisément, elle est née il y a de cela trois ans, lorsque sa femme, Harriet, et lui se sont essayés au jeu lors d’une visite au frère de Leon à Phoenix, en Arizona.
Ils ont rapporté quatre raquettes avec des balles réglementaires en plastique percé de trous, qui ont une bien meilleure aérodynamique que les balles de tennis.
« Je cherchais un sport que je puisse pratiquer toute ma vie », explique Harriet Solomon, âgée de 73 ans.
Le pickleball serait aussi le tout premier loisir commun que son mari Leon et elle partagent, depuis 45 ans de mariage.
Ensuite, les Salomon ont commandé des filets sur AliExpress, ils ont percé deux trous dans le terrain de basket-ball du kibboutz et ils ont enfin eu leur terrain de pickleball.
Un autre filet leur a ensuite été offert ; ils en ont profité pour en racheter un.
Au début, c’est un peu compliqué d’enregistrer le score car le décompte des points se fait tout en continuant de jouer, confie Harriet Solomon, mais c’est « excellent pour la gymnastique du cerveau », ajoute-t-elle.
Quant à Levine, cela lui donne une bonne raison de sortir de son lit, comme il aime à le dire.
Louie Sokolovsky, âgé de 85 ans, artiste du verre et du métal qui a fondé et enseigné pendant des dizaines d’années au Département de fabrication de verre de l’Académie Bezalel pour les arts et le design au sein de l’Université hébraïque, est un grand sportif.
Ce qu’il apprécie par dessus tout, dans le pickleball, c’est de pouvoir y jouer sans avoir besoin d’aller dans un gymnase (il y va pour le squash, mais il s’entraine à la maison).
« Le pickleball est ma solution de repli si, un jour, je dois abandonner le squash », explique Sokolovsky, qui aime le mélange de tennis et de squash de ce sport, économe en coups de grande ampleur.
« Pas besoin d’être très sportif pour y jouer. »
En Israël, ce jeu de raquette met du temps à trouver son public.
« Cela ne prend pas aussi facilement que nous le pensions », admet Rakefet Benyamini, de la Fédération nationale de tennis, qui organise de nombreuses activités gratuites dans tout le pays afin de populariser le jeu auprès des seniors.
« Les gens vont s’y habituer. Les Anglophones l’ont connu à l’étranger mais, dans son ensemble, la population israélienne n’en a pas encore entendu parler. »
Selon Benyamini, c’est lorsqu’ils ont commencé à faire payer pour le pickleball que les gens se sont détournés.
« Peut-être que nous avons fait une erreur en l’offrant au début », dit-elle.
« Aujourd’hui, nous faisons en sorte de susciter l’intérêt par tous les moyens possibles. »
Ailleurs, comme à Tel Aviv, Raanana, Kiryat Ono, Ramat Hasharon ou Kfar Saba, ce sont également les Israéliens nés aux États-Unis ou qui ont des liens avec les États-Unis, qui ont les premiers appris à jouer au pickleball.
À Ashkelon, au sud de Tel Aviv, Beth Newmark, née aux États-Unis, a fait venir plusieurs de ses compatriotes anglophones, également installés dans la ville balnéaire.
Ils avaient entendu parler du pickleball, et savaient que « l’on méritait bien un café après avoir joué une partie », explique Newmark.
Pour Tomer Suissa, ex-joueur professionnel de tennis qui dirige le centre de tennis d’Ashkelon, l’enjeu est de taille.
« Personne ne connaissait le pickleball ici, mais c’est un jeu très intéressant, particulièrement ici », explique-t-il.
« Il faut des années pour savoir jouer au tennis. »
En janvier, Suissa a installé un terrain de pickleball à distance du centre-ville et, chaque semaine désormais, il entraine l’équipe et lui prodigue des conseils.
C’est plus facile que le tennis, concède Cheryl Freeman, qui a quitté Arad pour passer sa retraite à Ashkelon avec son mari.
« Il y a moins de surface à couvrir et la raquette est beaucoup plus légère. »
Pam Swickley souligne la légèreté de la balle, qui requiert également moins d’énergie.
Et, rappelle Newmark, le but est d’amener les maris à jouer.
« Ah, c’est donc ça ? » dit l’une de ses coéquipières, à l’hilarité de tout le monde.
Tout comme les membres de l’équipe de Tzora, les joueurs d’Ashkelon voient grand.
Ils veulent des victoires, une équipe aux Maccabiades et une ligue nationale.
Salomon a présenté le sport à son conseil régional, de manière à susciter l’intérêt, et il publie régulièrement sur la page Facebook de Pickleball Israël.
Il s’est également entretenu avec les responsables locaux des Maccabiades, qui ont lieu tous les quatre ans, dans l’espoir de mettre en place une fédération de pickleball, même s’il reconnaît que cela pourrait prendre du temps.
Et le football en marchant ?
Les matches adaptés et en double correspondent exactement au type d’exercice dont les personnes âgées ont besoin, explique le professeur Yuri Rassovsky, du Département de psychologie de l’Université Bar Ilan, qui a étudié les effets des activités sportives sur le cerveau ainsi que sur les fonctions cognitives et émotionnelles.
De nos jours, « les personnes âgées sont plus actives parce que leur qualité de vie s’est améliorée », dit-il.
« Ce n’est pas sans raison que les gens disent qu’avoir 60 ans aujourd’hui revient à en avoir 50. »
Le sport plaît aux baby-boomers qui, en vieillissant, ne veulent pas abandonner les activités qu’ils aimaient quand ils étaient plus jeunes.
« Ils ne peuvent plus courir et ils ne veulent pas être plaqués au sol, mais ils peuvent toujours marcher », précise Rassovsky.
D’où le développement de sports de substitution, comme le pickleball, substitut du tennis, le football en marchant, né en Grande-Bretagne et aujourd’hui présent dans le monde entier, Israël compris.
Le père du football en marchant en Israël est l’Anglais Benny Last, 64 ans, footballeur amateur passionné qui a immigré en Israël en 2013, s’est installé à Raanana et a subi une opération des deux genoux il y a cinq ans.
Son chirurgien lui a dit qu’il pouvait pratiquer n’importe quel sport, sauf la course à pied.
Cela avait été un coup dur pour Last de ne plus pouvoir jouer au football.
C’est à ce moment-là qu’il avait découvert le football en marchant.
Le football en marchant se pratique sur des surfaces synthétiques et « la règle d’or est de ne pas se blesser, ce qui arrive si souvent dans le football normal », précise Last.
Il repère un terrain à Raanana, réserve le créneau du dimanche soir et écrit à toutes ses connaissances.
Vingt et un joueurs se présentent la toute première fois.
Ce qui aide la ligue israélienne de football en marchant à décoller, c’est l’organisation qui soutient les ligues de football amateur dans tout le pays, qui ont contacté d’autres villes pour savoir si d’autres joueurs étaient intéressés.
Le jeu attire l’attention de quelques anciens joueurs de football professionnels, qui avaient joué dans des équipes locales à la fin des années 1980 et qui sont maintenant âgés de plus de 60 ans.
« Ils ont un peu ri quand nous leur avons parlé du football en marchant, mais un grand nombre d’entre eux ont beaucoup apprécié », assure Last.
« Ils sont très, très bons évidemment, mais à partir du moment où l’on ne peut plus courir, la différence de niveau est moins perceptible. »
En fait, peu importe votre niveau d’avant, explique Simon Davidson, ancien joueur de football professionnel qui joue aujourd’hui au football en marchant à Petah Tivka.
« À 60 ans, on ne peut plus jouer dans les ligues amateurs adultes normales car il y a un écart abyssal entre un quadragénaire et un sexagénaire », avoue Davidson, qui était ailier pour de grandes équipes de football, dont le Hapoel Tel Aviv.
Selon lui, le football en marchant comble un vide.
« Il y a une balle et un filet, et même s’il est difficile de ne pas courir au début, il semble que la plupart des gens de cet âge aient des difficultés à courir, ce qui tombe finalement bien pour le jeu », explique Davidson, qui est, lui, toujours capable de courir.
« Le fait de marcher réduit considérablement les différences sur le terrain. Cela égalise les chances de chacun. »
Avec d’anciens amis footballeurs professionnels, Davidson en parle au maire de Petah Tivka, Rami Greenberg, qui leur concède un terrain, des tenues et de l’équipement.
« Aujourd’hui, nous sommes une véritable équipe, dit Davidson.
« Je ne suis pas certain que nous allons remporter la ligue, mais nous jouons pour le plaisir. »
La ligue a récemment organisé une série de matchs entre des équipes concurrentes de la ville sur le terrain de 21×42 mètres, avec des équipes de six ou sept joueurs, au lieu des 11 habituels.
Peu importe si les gens ont déjà joué au football ou non, explique Last.
« La plupart des gens ont une certaine connaissance du jeu, peu importe qu’ils aient ou non déjà joué. »
Des sports pour tous
Pratiquer un sport collectif à un âge avancé est aussi une garantie de capital social, analyse Riki Tesler, maître de conférences au Département de gestion des systèmes de santé de l’Université Ariel.
Elle a mené des recherches sur un autre sport collectif prisé des joueurs seniors, à savoir le volleyball modifié Mamanet, créé en 2005 en Israël comme une ligue communautaire amateur destinée aux mères et grands-mères.
Cela ressemble au Newcomb (également connu sous le nom de cachibol), mais avec des filets plus bas.
« Cela donne le sentiment de faire partie d’une communauté », explique Tesler.
« Le sport collectif est très bénéfique pour la santé mentale : il procure un sentiment de bien-être, éloigne la dépression et apporte du bonheur, des rires, de la bonne énergie. Cela évite une visite chez le médecin. »
Certains joueurs avaient déjà joué au volley par le passé, d’autres non, précise Tesler.
« Le Mamanet est un jeu facile. Vous pouvez voir de quoi il s’agit en regardant sur les réseaux sociaux ou sur YouTube. Tout le monde peut comprendre, et c’est bien ça l’idée », dit-elle.
Idem pour le pickleball et le walking football.
Leon Solomon, du kibboutz Tzara, et Benny Last, de Raanana, recommandent de jeter un coup d’oeil sur YouTube.
Pour les athlètes seniors, c’est ce qui se passe après le match qui compte le plus.
À Ashkelon, les joueurs de pickleball aiment aller prendre un café après leur match hebdomadaire du mercredi matin.
Il en va de même pour les joueurs de Mamanet, précise Tesler, qui se retrouvent souvent au café après un match.
Le plaisir, c’est de retrouver ses coéquipiers, explique le joueur de football Last.
« En Angleterre, ils vont au pub : ici, nous allons chez Roladin », dit-il, en évoquant cette chaine de boulangeries israéliennes.
« C’est un petit peu différent. »
Pour ce qui est de l’équipe du kibboutz Tzora, il n’y a plus de café dans la salle à manger, de sorte que ses membres les plus âgés se retrouvent dans le bureau de Mike Levine, dans le kibboutz, pour prendre un café tandis que leurs coéquipiers encore actifs vont travailler.
Lorsqu’ils jouent l’après-midi, il n’est pas rare alors qu’ils prennent une bière ensemble après le match, concède Solomon.
Et tout le monde est le bienvenu.