Telegram : 4 choses à savoir sur la messagerie (très) controversée
Avec ses groupes de discussion pouvant accueillir jusqu'à 200 000 personnes, la messagerie est - entre autres - accusée de disséminer fausses informations et contenus haineux, néonazis, pédophiles, complotistes ou terroristes
Par son positionnement libertaire, Telegram multiplie les controverses.
Son patron originaire de Russie Pavel Durov, qui possède des passeports russe, français et émirati, a été mis en examen en France au terme de quatre jours de garde à vue, pour de nombreuses infractions liées à son application de messagerie et interdit de quitter le pays.
Si le milliardaire de 39 ans a été libéré, il est astreint à un contrôle judiciaire lourd, prévoyant une caution de cinq millions d’euros, un pointage au commissariat deux fois par semaine et l’interdiction de quitter le territoire français.
Personnalité énigmatique, M. Durov fait face à de nombreux chefs d’accusation pour son refus de toute modération sur la messagerie Telegram, qui compte plus de 900 millions d’abonnés actifs.
Selon le parquet de Paris, il est notamment mis en examen pour « refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi » et complicité de délits et de crimes organisés via la plateforme: trafic de stupéfiants, criminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée.
Application libertaire
Telegram, lancée en 2013, compte près de 900 millions d’utilisateurs et devrait franchir la barre du milliard d’ici un an, a affirmé Pavel Durov, son cofondateur avec son frère Nikolaï, au journaliste américain Tucker Carlson en avril.
Les gens apprécient « l’indépendance, le respect de la vie privée et la liberté » de la plateforme, estimait-il.
La messagerie gratuite s’est positionnée à contre-courant de ses concurrentes américaines (WhatsApp et ses plus de 2 milliards d’utilisateurs dans le monde ou Messenger), critiquées pour leur exploitation mercantile des données personnelles.
Dans l’ex-URSS, ses chaînes d’information sont plus populaires que les médias traditionnels. Certains utilisateurs ont des centaines de milliers d’abonnés, comme DeepState côté ukrainien et Rybar côté russe, ce qui explique en partie son succès depuis le début de la guerre en 2022.
Pour Stephanie Liu, experte en données privées pour le cabinet Forrester interrogée en avril par l’AFP, c’est toutefois l’application « la moins protégée » car il faut « activer manuellement » son système de cryptage.
« C’est aussi une plateforme fortement utilisée pour l’illicite », constatait alors Damien Bancal, expert de la cyber-sécurité et auteur du blog spécialisé Zataz. Des pirates peuvent, par exemple, y revendre des données volées.
Avec ses groupes de discussion pouvant accueillir jusqu’à 200 000 personnes, la messagerie est également accusée de disséminer fausses informations et contenus haineux, néonazis, pédophiles, complotistes ou terroristes.
Dans un entretien au Financial Times en mars, Pavel Durov affirmait prévoir d’en améliorer les mécanismes de modération au cours de l’année, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Mais « à moins qu’ils ne franchissent des lignes rouges, je ne pense pas que nous devrions contrôler la façon dont les gens s’expriment », tempérait-il.
Patron sulfureux
Doté d’une fortune de 15,5 milliards de dollars (la 120e au monde) selon Forbes, l’homme de 39 ans s’est fait connaître en 2006. Tout juste diplômé de l’université de Saint-Pétersbourg, il lance avec son frère le réseau social VKontakte (VK), devenu rapidement le premier de Russie devant Facebook.
Le succès génère des frictions. Avec ses actionnaires, puisqu’il vend VK en 2014 après des mois de conflit, mais aussi avec les autorités : Pavel Durov quitte la Russie après avoir refusé de remettre aux services de sécurité les données personnelles de militants pro-européens ukrainiens.
Il raconte d’ailleurs avoir eu son idée de messagerie cryptée à la suite des pressions dans son pays d’origine.
Après avoir développé Telegram en voyageant (il dit avoir essayé de s’installer à Berlin, Londres, Singapour et San Francisco), le dirigeant a opté pour Dubaï en 2017, dont il loue l’environnement des affaires et la « neutralité », à l’heure où Union européenne et Etats-Unis mettent la pression sur les plateformes.
Pavel Durov a aussi obtenu la citoyenneté de l’île caribéenne Saint-Kitts et-Nevis, avant de devenir français en 2021.
Démêlés divers
En France, la justice reproche à Telegram de ne pas agir contre les utilisations délictuelles par ses abonnés (escroquerie, fraude, trafic de stupéfiants, criminalité organisée, apologie du terrorisme, cyberharcèlement…), notamment par une absence de modération et de collaboration avec les enquêteurs.
Durov été interpellé samedi soir dans l’aérogare du Bourget, au nord de Paris. Il va être présenté dimanche à la justice à Paris, selon une source proche du dossier.
L’application a aussi fait l’objet de tentatives de blocage dans plusieurs pays (Iran et Russie en 2018 respectivement pour l’hébergement de groupes d’opposition violents et pour ne pas avoir livré ses clés de chiffrement ; Brésil en 2023 pour ne pas avoir fourni des données sur des groupes néo-nazis ; Espagne en mars pour violation des droits de propriété intellectuelle).
Bientôt bénéficiaire ?
Telegram a été entièrement financée par Durov jusqu’en 2018, avant de lever 1,7 milliard de dollars afin de lancer sa propre cryptomonnaie. Mais le projet a capoté, faute d’autorisation réglementaire aux Etats-Unis, et l’entreprise a remboursé l’essentiel des investisseurs.
La messagerie – qui compte une cinquantaine d’employés à plein temps – s’est mise à la publicité en 2021, en garantissant qu’elle n’utiliserait pas les données privées des utilisateurs pour du ciblage. Un système d’abonnement premium a suivi en 2022.
Au Financial Times, Pavel Durov a assuré que son entreprise générait des « centaines de millions de dollars » de revenus et espérait « devenir bénéficiaire l’an prochain, sinon cette année ». Il n’a pas non plus exclu la possibilité d’une introduction en Bourse.
En mars, la plateforme a aussi mis en place un système de partage des revenus avec ses créateurs de contenu.