Un fameux éditorialiste saoudien parle d’une « très probable » paix avec Israël
Un autre commentateur a ironisé sur le fait qu'« Israël faisait désormais partie du Moyen-Orient, avec ses extrémistes et sa démocratie amochée »
Ces derniers jours, la presse saoudienne s’est faite l’écho des rumeurs d’un possible accord de paix avec Israël et, dans un autre registre, des informations de samedi selon lesquelles les États-Unis négocieraient cet accord en échange de « concessions significatives » de la part d’Israël, au premier titre desquelles la dissolution de l’actuelle coalition par le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
La quasi-totalité des médias saoudiens sont sous le contrôle direct de l’État, et il est probable que tous les éditoriaux soient alignés sur – sinon approuvés par – le régime.
Samedi, Faisal J. Abbas, rédacteur en chef du quotidien anglophone Arab News, a écrit dans un éditorial qu’à l’issue du dernier déplacement à Djeddah du conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, la semaine passée, « la perspective d’un accord de paix avec Israël se faisait plus palpable ».
Son principal argument tient à la relation entre le royaume et les États-Unis. Abbas explique que les deux pays font face à des ennemis communs et que, si l’Arabie saoudite n’a rien à craindre d’Israël, allié fidèle des États-Unis, alors les États-Unis ne devraient rien avoir à craindre des conditions saoudiennes à la conclusion de cet accord de paix.
Il s’agirait notamment de la signature d’un accord de défense mutuelle de type OTAN avec les États-Unis, de la fourniture d’armes et du développement d’un programme nucléaire saoudien à des fins civiles, tout du moins officiellement.
Abbas n’ignore pas qu’en cas de normalisation avec Israël, le monde arabo-musulman reprochera au royaume d’avoir jeté les Palestiniens par pertes et profits. Il ne se soustrait pas à la critique, se bornant à justifier le secret bien gardé autour des négociations en rappelant que les Palestiniens eux-mêmes, dans les années 1990, avaient gardé le secret autour des pourparlers d’Oslo jusqu’à la conclusion de l’accord.
Abbas se réjouit de ce qu’il qualifie d’approche pragmatique et cohérente de l’Arabie saoudite envers Israël.
En 2002, l’Arabie saoudite présentait une initiative de paix arabe destinée à garantir « en priorité les droits des Palestiniens, tout en offrant à Israël la reconnaissance et les garanties qu’il souhaite », rappelle Abbas. Le prince héritier Mohammad bin Salman, dans le même ordre d’idées, déclarait en 2022 à l’agence de presse saoudienne que le royaume considérait Israël comme un allié potentiel, ajoute-t-il.
« Israël n’a jamais été une menace pour la sécurité de l’Arabie saoudite », poursuit Abbas.
« Avoir un traité de paix avec Israël aurait pour effet de réduire les menaces sur le royaume à celles venues d’Iran et des Houthis, soutenus par l’Iran au Yémen. »
Contrairement à l’Iran, l’Arabie saoudite entretient des relations « profondément enracinées » avec les États-Unis depuis 80 ans, rappelle Abbas.
L’Arabie saoudite a rétabli ses relations diplomatiques avec Téhéran en mars dernier après des années de tensions, dans le cadre d’un accord négocié par la Chine.
Dans son papier, Abbas fait l’impasse sur les craintes américaines que Pékin étende son influence diplomatique au Moyen-Orient en cas d’échec des négociations, alors que bien des commentateurs saoudiens en font mention.
Plus pragmatique sans doute, Abbas encourage l’Amérique à accéder aux conditions saoudiennes en matière de coopération militaire destinées à protéger les puits de pétrole du royaume, éviter les pénuries d’approvisionnement et les chocs de prix.
Enfin, il explique que la perspective d’un accord de paix avec le royaume pourrait servir à Joe Biden pour éloigner Netanyahu de sa coalition de « fous d’extrême droite » et le persuader de former un gouvernement plus modéré, disposé à accepter la création d’un État palestinien, condition sine qua non des Saoudiens à tout accord de paix avec Israël.
Rappelant que « rien de tout cela n’est officiel », Abbas conclut qu’un accord de paix serait « un énorme pas en avant pour les Palestiniens, les Israéliens, et même pour l’Arabie saoudite, qui […] aspire à être une force positive dans la région et le monde. »
« Israël fait désormais partie à part entière du Moyen-Orient »
Un autre fameux journaliste saoudien, Tarik al-Homayed, a écrit mercredi dans le quotidien londonien Al-Sharq al-Awsat qu’Israël faisait désormais partie du Moyen-Orient, avec sa « démocratie amochée » et sa corruption.
Israël a toujours été considéré comme « l’unique démocratie du Moyen-Orient », dit al-Homayed, mais l’État juif a changé les « règles du jeu » et s’est transformé en « pays du Moyen-Orient à part entière », avec un tiers de l’électorat qui vote pour des partis religieux « imprégnés de superstitions ».
Il a fallu à Israël plusieurs tours de scrutin pour parvenir à cette fragile coalition gouvernementale, ajoute le journaliste, et à ce que Netanyahu s’arroge tous les pouvoirs pour gouverner et corrompre par des moyens légaux.
Israël lutte désormais pour sa stabilité et sa prospérité face à des forces « extrémistes » concurrentes, estime al-Homayed, qu’elles soient religieuses, nationalistes ou « pro-démocratie », un peu comme cela s’est passé en Arabie saoudite et dans d’autres États du Golfe depuis les années 1970.
L’Occident continue de féliciter Israël pour ses institutions démocratiques alors que Netanyahu fait tout pour mettre le système judiciaire au pas, ce que facilite l’absence d’une constitution écrite, et en dépit de « tout ce que fait Israël dans les territoires occupés », ajoute-t-il. Face à tout cela, Washington « serait malvenu de donner des leçons au reste du Moyen-Orient sur la nécessité d’avoir un système judiciaire indépendant ». Il est clair qu’Israël, confronté à ses propres extrémistes, a dû changer de stratégie en fonction du reste de la région, estime-t-il.
Les propos d’Al-Homayed ont été repris dans un éditorial du quotidien saoudien al-Watan, dimanche, sous la plume d’Abdul-Wahab Badrakhan. Le commentateur y écrit que ce qui « dérange » vraiment Washington dans l’abrogation, par le gouvernement israélien, du critère du
« caractère raisonnable », première étape de la refonte judiciaire, c’est la prise de conscience que l’histoire qu’il se raconte et qu’il sert au monde arabe depuis des dizaines d’années, à savoir que la démocratie est la pierre angulaire du succès et de la supériorité d’Israël, est un mensonge.