Un fournisseur de bœufs de Shufersal défriche de vastes zones de forêt argentine
Greenpeace : Un fournisseur de viande de Shufersal a abattu 1 200 km2 de forêt du Gran Chaco ; la chaîne de magasins appartient à l'homme d'affaires juif argentin Eduardo Elsztain
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

La branche israélienne de l’organisation environnementale internationale Greenpeace fait campagne pour forcer la plus grande chaîne de supermarchés d’Israël à rompre avec un fournisseur de bœufs qui, selon elle, défriche de vastes zones de forêt argentine pour élever du bétail.
Des recherches sur la chaîne d’approvisionnement ont révélé le rôle central joué par l’homme d’affaires juif argentin Eduardo Elsztain et son frère Alejandro. Les Elsztain sont propriétaires de la société Cresud en Argentine, qui élève du bétail pour l’industrie bovine et dont la filiale abat les animaux et exporte leur viande.
En Israël, le supermarché Shufersal qui vend la viande fait partie de IDB, une société holding contrôlée par Eduardo Elsztain.
Quelque 14 000 Israéliens ont déjà signé une pétition demandant à Shufersal d’adopter une politique de non-dommages forestiers.
Dimanche, des militants de Greenpeace ont escaladé un haut pylône et déployé une énorme banderole portant l’inscription « Shufersal tue les forêts pour vous » devant le siège de la société à Rishon Lezion, près de Tel Aviv. Ils sont partis à la demande des pompiers, après que Shufersal eut appelé la police.

Vendredi, l’ONG prévoit une manifestation au même endroit pour marquer la fin d’une semaine de grèves mondiales pour le climat.
De la destruction des forêts aux rayons des supermarchés
Une enquête menée par Greenpeace en Israël et en Argentine a mis au jour des liens entre les feux de forêt tropicale provoqués par l’homme et les grands supermarchés en Europe et en Israël.
En ce qui concerne Israël, ils ont découvert que la viande bovine vendue sous le label Angus à Shufersal provenait de bovins élevés dans des zones défrichées de la forêt du Gran Chaco en Argentine, la deuxième plus grande forêt d’Amérique du Sud après l’Amazonie et celle qui est durement touchée par le développement agricole, essentiellement pour la production de viande bovine et de soja.
Greenpeace a découvert que la chaîne d’approvisionnement menant à Shufersal commence avec la société Cresud des frères Elsztain, qui est active en Argentine, en Bolivie, au Brésil et au Paraguay et qui est un acteur majeur de l’agrobusiness sud-américain. Cresud est spécialisée dans l’élevage de bovins de boucherie et la culture de céréales telles que le maïs et le soja, ainsi que la canne à sucre. Elle fait tout cela sur quelque 81 000 hectares de terre. Selon le site web de la société (en espagnol), Cresud comptait 93 591 têtes de bétail en juin 2018.
Greenpeace Argentine a analysé des photos satellites de terrains appartenant à Cresud dans la forêt du Chaco entre 1998 et 2018, concluant que l’entreprise avait coupé des arbres sur une superficie d’un peu moins de 121 000 hectares. En juillet, Cresud a demandé un permis pour défricher 7 500 hectares supplémentaires de forêt.

Les bovins engraissés par Cresud sont transférés pour abattage dans une filiale appelée Carnes Pampeanas. Carnes Pampeanas exporte à son tour la viande bovine d’Argentine sous le nom de S. A. Argentinas Agroindustriales Exportaciones. Le groupe Neto l’importe en Israël, sous les noms El Gaucho et T-Bone Veal. Shufersal la vend sous la marque Angus.

Jonathan Aikhenbaum, directeur de la recherche et de la stratégie de Greenpeace Israël, a déclaré : « Nous avons des preuves concrètes que Shufersal est un partenaire dans la destruction du Chaco, la deuxième plus grande forêt d’Amérique du Sud et un écosystème d’une grande importance pour le système climatique. Un arbre brûlé en Amérique du Sud pour faire pousser une vache dont la viande est vendue en Israël nuit à notre capacité de protéger le climat de la planète Terre et de prévenir le scandale de la crise climatique. »
« Nous devons changer d’urgence la façon dont nous produisons les aliments et travailler avec la nature plutôt que de la détruire », a-t-il ajouté. Rompre le lien entre l’industrie de l’élevage bovin et la destruction des forêts est un excellent point de départ. »
Un porte-parole de Greenpeace a déclaré au Times of Israel que la direction de Shufersal n’avait pas répondu à leurs demandes répétées de se rencontrer.
Un communiqué de Shufersal a dit : « Le sujet qui a été récemment porté à notre attention fait l’objet d’une enquête par une équipe de professionnels et après l’avoir analysé en profondeur, nous déciderons ce que nous devons faire ». Shufersal n’a pas été en mesure de dire quand ce point pourrait être atteint.
A l’instar de ses filiales sœurs qui luttent contre les supermarchés dans d’autres pays, Greenpeace Israël souhaite que Shufersal adopte une politique de non dégâts forestiers et coupe les liens avec les entreprises impliquées dans la déforestation.
Les Israéliens raffolent de la viande
La consommation de bœuf en Israël a augmenté d’environ 40 % au cours des deux dernières années, selon Greenpeace, dont près de 90 % a été importé d’Amérique du Sud l’an dernier, pour l’essentiel. La viande bovine argentine représente environ un tiers de l’ensemble de la viande bovine vendue en Israël, Israël étant le cinquième marché le plus important pour l’Argentine.

Malgré la réputation de Tel Aviv en tant que capitale vegan, Israël est en tête de la consommation mondiale de poulet par habitant et occupe la sixième place pour la consommation de bœuf par habitant, affirme Greenpeace, les Israéliens consommant plus de 81 kg de viande bovine et de poulet par an, soit environ 40 % de plus par habitant que la moyenne mondiale.
Le rapport de Greenpeace affirme que l’agriculture industrialisée, y compris l’élevage de bétail pour la viande, est responsable d’environ 80 % de la destruction des forêts dans le monde, tandis que le brûlage des forêts pour défricher des terres agricoles contribue pour environ 60 % aux gaz qui causent un réchauffement planétaire. En 2018, quelque 250 000 km2 de forêt ont disparu dans le monde entier – une superficie considérablement plus grande que celle de l’ensemble de la Grande-Bretagne.
Réparti entre l’Argentine, le Paraguay, la Bolivie et le Brésil, le Gran Chaco abrite plus de 50 écosystèmes dont des savanes, des forêts et des zones humides. Selon Mongabay, une superficie deux fois plus grande que Buenos Aires est réduite chaque mois.
La Nature Conservancy, qui lutte pour mettre fin à la déforestation dans le Gran Chaco et pour mettre en œuvre des pratiques agricoles durables, affirme que la région abrite quelque 3 400 espèces de plantes, 500 espèces d’oiseaux, 150 mammifères, 120 reptiles et 100 amphibiens. Face à la perte d’habitat, beaucoup de ces espèces sont en danger, parmi lesquelles le fourmilier géant, le tatou armadillo et le tapir. L’organisation indique que 25 % du Gran Chaco en Argentine a déjà été défriché pour l’agriculture, et qu’une grande partie de cette perte s’est produite au cours des 20 dernières années.
Le mois dernier, un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies a recommandé de réduire la consommation de viande pour limiter le réchauffement climatique, soulager le stress sur l’eau et la terre et améliorer la santé, la sécurité alimentaire et la biodiversité.