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Analyse

Un Israël blessé, affaibli est un Israël plus féroce

L'assaut contre les villes israéliennes a été aussi cruel qu'il était possible de s'y attendre de la part du Hamas - chaque minute a été un message doublé d'une humiliation. Maintenant, Israël répond

Haviv Rettig Gur

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Une maison à Ashkelon endommagée par une roquette tirée par des terroristes palestiniens depuis la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90)
Une maison à Ashkelon endommagée par une roquette tirée par des terroristes palestiniens depuis la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90)

Cela a été l’horreur, l’horreur interminable, impossible. Heure après heure, autant de minutes de lente agonie, des familles sont restées blotties dans leur maison en attendant du secours face aux terroristes du Hamas qui traversaient leurs villes et leurs villages.

Des familles ont été massacrées de sang-froid. Dans une habitation, un terroriste a tué un couple avant de s’emparer du téléphone mobile de leur enfant et de diffuser des images de cette scène terrible en live sur Facebook. Des grands-mères ont été emmenées en chaise roulante dans des véhicules qui attendaient là à destination de Gaza, otages impuissantes. Il y a eu aussi des mères, serrant désespérément dans leurs bras leurs tout-petits. Des images ont circulé sur les réseaux sociaux, postées par le Hamas, montrant un enfant israélien demandant à sa mère si les hommes armés qui les entouraient allaient les tuer. « Ils ont dit qu’ils ne le feraient pas », répond la maman, alors que tous deux sont sortis de force de leur foyer, de sa chaude intimité, pour partir à la rencontre d’un destin inconnu.

Un torrent de vidéos qui n’a pas cessé de se déverser. A Gaza, le corps d’un soldat israélien est exhibé. Une jeune femme, en sang, est sortie par les cheveux d’une voiture après avoir été enlevée et amenée dans l’enclave. Des images montrées par le Hamas au monde avec une fierté heureuse, qui ont été célébrées à Téhéran, à Ramallah et dans une grande partie du milieu de l’activisme pro-palestinien.

Au même moment, un afflux de messages sur Twitter et sur WhatsApp de la part d’Israéliens encerclés par les hommes armés qui errent dans leurs villes – des messages de leurs amis, de leurs proches appelant des secours qui ne devaient jamais arriver.

Une heure de torture après l’autre.

Où était l’armée ? Où était le puissant État israélien ? Les forces de police, qui se sont battues avec bravoure à plusieurs endroits et qui pleurent aujourd’hui la mort d’environ 25 agents, étaient trop rares, trop médiocrement armées pour repousser l’assaut.

Des soldats israéliens déployés à Sdérot, le 7 octobre 2023. (Crédit : AP Photo/Ohad Zwigenberg)

Tsahal, la grande armée, l’armée tant vantée, cette institution forte de 64 milliards de shekels par an, a semblé pour sa part s’évaporer à ce moment où Israël en avait si désespérément besoin. Et pas seulement à cause de l’effet de surprise initial. Cinq heures après le début de l’assaut, les bataillons étaient toujours aux abonnés absents, les ministres du gouvernement étaient dans l’incapacité d’expliquer ce qui était en train de se passer. Tout le monde paraissait être sous le choc. L’appareil d’État tout entier, du sommet jusqu’à la base, avait tout simplement disparu.

Et un silence assourdissant, meurtrier, avait semblé s’emparer du corps politique.

Humiliation

Jusqu’à samedi, les Israéliens croyaient qu’ils étaient forts, qu’ils étaient en sécurité. Samedi, ils ont commencé à croire qu’ils n’étaient ni l’un, ni l’autre.

Et le succès remporté par le Hamas par cette psyché blessée au cœur de ses certitudes a été immense.

Comme l’a dit Abu Hamza, porte-parole du Jihad islamique palestinien, alors que l’attaque était encore en cours : « Cet ennemi redoutable est une illusion finalement faite de poussière et il peut être vaincu, il peut être brisé. Nos héros ont rendu l’ennemi tout petit, ils l’ont humilié et ils lui ont fait sentir partout l’odeur de la mort ».

Des individus célèbrent les attaques menées par le groupe terroriste du Hamas contre Israël, dans le camp de réfugiés de Bourj al-Barajneh, à Beyrouth, le 7 octobre 2023. (Crédit : Bilal Hussein / AP Photo)

Les théories abondent pour expliquer les raisons de l’assaut du Hamas. Nombreux sont ceux qui laissent entendre que ce sont les Iraniens qui ont ordonné de perturber le processus de normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. D’autres se concentrent sur la politique intérieure palestinienne, suggérant que le Hamas tente de se positionner comme seul leader du combat palestinien après la mort de Mahmoud Abbas, même si c’est au prix de représailles inévitables et terribles de la part d’Israël. Pour d’autres encore, les raisons sont plus simples : Les deux dirigeants du Hamas, à Gaza, qui ont préparé et lancé l’opération sont le chef de la branche armée du groupe terroriste, Mohammed Deif, et le numéro un de sa branche politique, Yahya Sinwar. Le premier a perdu sa famille lors d’une frappe aérienne israélienne qui le visait personnellement ; le deuxième a passé 22 années dans une prison israélienne. Ni l’un ni l’autre n’avaient besoin, en réalité, d’une raison géopolitique quelle qu’elle soit pour mettre en place une telle opération.

Il y a probablement une part de vrai dans toutes ces théories. Elles ont toutes du sens. Mais aucune ne correspond à ce que le Hamas lui-même a pu avancer pour expliquer son assaut alors qu’il était en train de se dérouler sur le terrain.

Il y a parmi ces raisons une partie de la pensée, du discours palestiniens qu’un grand nombre des défenseurs occidentaux de la cause palestinienne ignorent – d’une part parce que ce serait difficile à vendre au public occidental et, d’autre part, parce que les Palestiniens eux-mêmes ont du mal à pleinement comprendre cette idée et à l’appréhender clairement. La « résistance » palestinienne, telle qu’elle est conçue par le Hamas, va bien au-delà de la question des implantations, de l’occupation ou de la Ligne verte. C’est une idée bien plus large de renouveau islamiste qui est en œuvre ici.

Comme il l’a annoncé au lancement de l’attaque de samedi, Deif, le chef militaire du Hamas, a déclaré que cette dernière avait pour objectif de déjouer la démolition prévue, selon lui, par Israël de la mosquée Al-Aqsa. Et quand le chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, a appelé samedi « tous les musulmans et tous les peuples libres du monde à se dresser dans cette bataille juste, pour la défense d’al-Aqsa et pour la défense de la mission du prophète », il a dit en définitive que le combat portait sur le sacré, sur la promesse de rédemption de l’islam.

Cette revendication de la dignité islamique à travers la défaite ultime des Juifs occupe une grande partie de la pensée politique du Hamas, elle imprègne sa rhétorique et elle façonne sa pensée de manière profonde, que ce soit concernant les Juifs israéliens ou la stratégie mise en œuvre par le groupe terroriste dans son affrontement avec Israël. Israël est davantage qu’un occupant ou qu’un oppresseur dans ce narratif – c’est une rébellion contre Dieu et contre la trajectoire de l’Histoire appelée de ses vœux par le Divin. Et en montrant les Israéliens dans la faiblesse, pensent-ils, les Israéliens deviennent réellement faibles, d’une manière ou d’une autre. La rédemption exige que la foi des fidèles soit satisfaite – et voir, c’est enfin pouvoir croire.

Ces images de samedi, ces scènes de mort qui ont été partagées sur les réseaux sociaux avec allégresse par les soutiens du Hamas et notamment par certains cercles d’extrême-gauche occidentaux, n’ont pas été un égarement. Elles étaient l’essence même de toute cette entreprise

Ces images de samedi, ces scènes de mort qui ont été partagées sur les réseaux sociaux avec allégresse par les soutiens du Hamas et notamment par certains cercles d’extrême-gauche occidentaux, n’ont pas été un égarement. Elles ont été le message fondamental qu’a voulu transmettre le Hamas aux Israéliens : celui qu’ils n’étaient pas tués, qu’ils n’étaient pas kidnappés pour de simples raisons tactiques dans la lutte en faveur de l’indépendance palestinienne, mais qu’ils étaient humiliés et déshumanisés parce que ce sont des traîtres, parce qu’ils ont trahi Dieu.

Des Israéliens enlevés et emmenés à Gaza par des terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, comme le montrent les vidéos floutées des réseaux sociaux diffusées par la télévision israélienne. (Crédit : Capture d’écran de la Douzième chaîne)

Le message a été celui-là. Sur une vidéo qu’ont pu voir les Israéliens, un petit garçon israélien, âgé peut-être de six ans, est encerclé par des enfants gazaouis qui sont sommés de brutaliser, de terroriser l’enfant réduit à l’impuissance. Des images anticipées, réfléchies à dessein. C’est la faiblesse israélienne qui a été exhibée dans les rues de Gaza, qui a été fêtée sur les réseaux sociaux. C’était l’objectif.

Le Hamas a fait tout son possible pour traumatiser les Israéliens, pour les humilier et pour les horrifier, enlevant des enfants, profanant des corps sans vie et s’en vantant face au monde.

Et les Israéliens ont assisté à tout cela, minute interminable après minute interminable. Et ils en ont convenu. Leur faiblesse inévitable leur a sauté aux yeux.

Une faiblesse qui est de surcroît très, très dangereuse.

La puissance de la faiblesse

L’Israël qui a émergé, sonné, de l’opération « Déluge al-Aqsa » du Hamas est un Israël différent de celui qu’il était. C’est un séisme qui vient d’avoir lieu dans la psyché du pays. Les horreurs infligées par le Hamas ont entraîné la rage, elles ont aussi donné un sentiment intense de vulnérabilité. Si le Hamas avait toujours paru être un ennemi implacable mais qu’il était toutefois possible de parvenir à contenir, le groupe terroriste vient de donner la preuve qu’il pouvait faire entrer la menace au cœur des foyers israéliens, qu’il pouvait massacrer des enfants et kidnapper des grands-mères, sans que toute la puissance de Tsahal, source d’orgueil en Israël, ne puisse rien y faire.

Des corps gisant sur une route principale près du kibboutz Gevim, le 7 octobre 2023, suite à une attaque par des terroristes du Hamas. (Crédit : Oren Ziv/AFP)

Le Hamas s’est métamorphosé en menace intolérable.

Un changement tellement profond et tellement palpable que de nombreux analystes israéliens, qui prennent apparemment pour hypothèse que le Hamas comprend quelles seront les conséquences de cette nouvelle réalité psychologique pour Gaza, ont affirmé, samedi, que le groupe terroriste lui-même avait été surpris par sa propre réussite.

« Selon moi », a ainsi écrit l’analyste Avi Issacharoff sur X – anciennement Twitter – « les dirigeants politiques et militaires du Hamas ne s’attendaient pas à un tel succès. Ils s’attendaient à pouvoir kidnapper deux ou trois personnes dans le cadre de cette folie meurtrière massive. Mais autant ? Le problème est que cette réussite pourrait bien se transformer en victoire à la Pyrrhus. Il semble qu’il y ait dorénavant un consensus au sein de l’élite israélienne et dans le public que ce qui était autrefois ne sera plus ».

Les opposants arabes d’Israël évoquent souvent l’État juif comme étant le résultat d’une construction artificielle, déracinée et destinée à s’effondrer devant la foi et la résilience des Palestiniens. Israël est en lui-même, affirment-ils, un projet colonialiste qui, pour toute la puissance qui est la sienne, manque de l’authenticité et de la conviction intimes qui lui sont nécessaires pour assurer sa survie.

Cette interprétation n’est pas seulement un dénigrement d’Israël. C’est un appel en faveur du passage à l’acte, notamment – et en particulier – à l’acte terroriste et à la cruauté qui avaient permis de mettre un terme à d’autres projets colonialistes, depuis les Français en Algérie aux Britanniques au Kenya. Cette interprétation d’Israël est la logique qui est à la base des attentats-suicides palestiniens, des tirs de roquette et de toutes les tactiques de terrorisme qui ont été employées samedi par le Hamas.

Et elle a échoué. Cette interprétation a toujours échoué. Décennie après décennie, les Juifs sont devenus toujours plus nombreux.

Une jeune femme parle aux secouristes israéliens à Tel Aviv après un tir de roquette de la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. (Crédit : JACK GUEZ / AFP)

Les Juifs israéliens sont insensibles face au terrorisme anticolonial, non pas que ce dernier ne les traumatise pas – ils n’ont pas plus de courage ou de conviction que les autres – mais dans le sens où ils ne peuvent pas y répondre comme le Hamas souhaiterait par ailleurs qu’il y répondent. Ils ne peuvent pas, comme l’a promis Haniyeh samedi, quitter leur foyer national. Ils n’ont nulle part où aller.

La menace du Hamas est donc à double tranchant : la cruauté pure de l’agression d’un côté et l’impossibilité de satisfaire un jour les demandes de l’agresseur, de l’autre.

En conséquence, les Israéliens s’unissent, de la gauche à la droite de l’échiquier politique, des libéraux aux Haredim. Aucune des fractures intérieures n’a été guérie, aucun problème politique n’a été résolu. Mais le Hamas a fait comprendre aux Israéliens la faiblesse intolérable qui est celle d’un pays divisé. Et cet Israël affaibli qui fait dorénavant face au Hamas et avec lui, à ses nombreux alliés et idéologues meurtriers qui défendent le groupe terroriste depuis le Liban jusqu’à l’Iran, estime qu’il n’a plus d’autre choix que de se battre désespérément avec pour objectif de garantir que jamais les images traumatisantes de samedi ne feront leur réapparition à l’avenir.

Il y de nombreux types de pouvoir. Il y a le pouvoir de celui qui a la certitude de sa propre sécurité et de sa propre force. Mais il y a aussi un pouvoir très différent, le pouvoir de celui qui a été blessé, qui se sent faible, qui a la force du désespoir. Ce sont évidemment des états psychologiques et non des réalités objectives – mais passer de l’un à l’autre change tout.

« Un tigre blessé », avait écrit Arthur Golden dans « Mémoires d’une Geisha », « est une bête dangereuse ».

C’est une image qui hante depuis longtemps la pensée stratégique israélienne. Moshe Dayan avait ainsi, semble-t-il, exhorté Israël à agir comme « un tigre blessé », imprévisible, désespéré, pour dissuader ses ennemis.

Des voitures brûlant après qu’une roquette tirée depuis la Bande de Gaza a touché un parking et un immeuble résidentiel, à Ashkelon, dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. (Crédit : Tsafrir Abayov/AP Photo)

Une image que les Palestiniens utilisent parfois pour railler Israël ou pour faire fi de l’impact d’une attaque de représailles israélienne.

Un Israël fort peut tolérer un Hamas guerrier à sa frontière, quelque chose qu’un Israël plus faible ne saura supporter

Le Hamas met donc dorénavant ce vieil adage à l’épreuve. Les Israéliens peuvent supporter l’humiliation ; ils sont moins émus par les questions d’honneur que cela peut être le cas pour leurs ennemis. Mes ces héritiers d’une mémoire collective qui s’est forgée dans les flammes du 20e siècle ne pourront pas supporter l’expérience de faiblesse, d’extrême vulnérabilité et d’impuissance qui leur a été imposée samedi par le Hamas. Le Hamas a semblé faire tout ce qui était en son pouvoir pour bouleverser la psyché israélienne, qui avait une foi tranquille dans sa propre force, en lui donnant le sentiment d’une fragilité extrême.

Et le groupe terroriste devrait rapidement prendre conscience de l’ampleur des conséquences de ce mauvais calcul. Un Israël fort peut tolérer un Hamas guerrier à sa frontière, quelque chose qu’un Israël plus faible ne saura supporter. Un Israël sûr pourra passer du temps à s’inquiéter des conséquences humanitaires d’un conflit terrestre à Gaza, y consacrant des ressources ; ce ne sera pas le cas d’un Israël plus vulnérable.

Un Israël blessé, affaibli est un Israël plus féroce.

Le Hamas était une menace tolérable. Il s’est rendu intolérable tout en réussissant à convaincre les Israéliens qu’ils sont dorénavant trop vulnérables et trop faibles pour riposter avec la retenue qui était la leur autrefois.

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