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Interview

Un podcast de Malcolm Gladwell se penche sur l’influence des Jeux olympiques de 1936

Dans "Revisionist History", aux côtés de Ben Naddaff-Hafrey, l'écrivain analyse les raisons complexes qui ont conduit l'Allemagne nazie à accueillir les JO de Berlin et la participation de certains

De gauche à droite sur le podium : le médaillé de bronze Jajima, du Japon, le médaillé d’or Jesse Owens, des États-Unis, et le médaillé d’argent, Lutz Long, d’Allemagne, lors des Jeux olympiques d'été de 1936, à Berlin, le 11 août 1936. (Crédit : AP)
De gauche à droite sur le podium : le médaillé de bronze Jajima, du Japon, le médaillé d’or Jesse Owens, des États-Unis, et le médaillé d’argent, Lutz Long, d’Allemagne, lors des Jeux olympiques d'été de 1936, à Berlin, le 11 août 1936. (Crédit : AP)

JTA – Alors que près de 30 millions de téléspectateurs ont suivi la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, il y a fort à parier que la plupart d’entre eux n’ont pas pensé à Adolf Hitler.

Mais Malcolm Gladwell n’est pas l’un d’eux.

Auteur, journaliste et podcasteur, Gladwell s’est penché sur les Jeux olympiques de Berlin de 1936 dans la dernière saison de sa série de podcasts intitulée « Revisionist History » (« Histoire révisionniste »). Gladwell et son co-animateur Ben Naddaff-Hafrey analysent les personnages complexes et les développements politiques qui ont conduit l’Allemagne nazie à accueillir les JO d’été, ainsi que les raisons qui ont poussé des pays du monde entier à y participer.

Cette série de neuf épisodes, intitulée « Hitler’s Olympics », présente aux auditeurs un certain nombre de personnages clés qui ont joué un rôle essentiel dans la préparation des Jeux de Berlin, et met également en lumière la légende de l’athlétisme américain, Jesse Owens. Le podcast passe au crible la célèbre amitié entre Owens et le sauteur en longueur allemand Luz Long, une histoire qui, selon le podcast, est en grande partie un mythe.

L’écrivain Malcolm Gladwell s’exprimant lors du sommet QSP, au centre de congrès Exponor à Matosinhos, au Portugal, le 9 septembre 2021. (Crédit : Rita Franca/ NurPhoto, via Reuters)

Plus généralement, Gladwell et Naddaff-Hafrey affirment que les JO de Berlin n’ont pas seulement laissé à des générations de passionnés de sport des images impérissables – comme celle d’Owens sur le podium avec Long, faisant le salut nazi – mais qu’ils ont également contribué à redéfinir les Jeux olympiques.

Lors d’une interview accordée à la Jewish Telegraphic Agency, Gladwell a également affirmé que les conversations qui ont précédé les Jeux olympiques de Berlin – notamment les débats sur les boycotts et l’inclusion d’athlètes juifs – font écho aux conversations contemporaines sur la participation et la sécurité des athlètes olympiques israéliens, dont la participation aux JO de Paris a donné lieu à des menaces de mort et à des appels à la disqualification. (Gladwell et Naddaff-Hafrey ont tous deux des ancêtres juifs).

Pour Gladwell, la nature inextricablement politique des Jeux olympiques d’aujourd’hui est un héritage des Jeux de 1936. Il affirme que, hier comme aujourd’hui, il est injuste d’imputer les questions géopolitiques du moment à des athlètes dont le sport est le seul centre d’intérêt.

« Si quelqu’un passe les dix dernières années de sa vie à s’entraîner pour le saut en longueur, qu’est-ce que les objectifs de politique étrangère de l’actuelle administration israélienne ont à voir avec cela ? », a demandé Gladwell. « Il n’y a aucun rapport. C’est absurde. C’est tout aussi stupide qu’en 72, 68 ou 36. »

L’interview a été éditée et condensée à des fins de clarté et de concision.

JTA : Une grande partie de votre travail incite les gens à aborder un sujet bien connu d’une nouvelle manière – les moments « négligés et incompris » de l’histoire. Qu’est-ce qui, dans les Jeux olympiques de 1936, vous a semblé incompris ? Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de compléter ou de rectifier les faits à ce sujet ?

Malcolm Gladwell : J’ai été surpris de constater à quel point les débats étaient vifs à l’époque sur la question de savoir si nous devions aller à Berlin. Je ne suis pas un historien de l’époque. J’avais naïvement supposé que les inquiétudes au sujet d’Hitler étaient plutôt discrètes au début des années 1930 et qu’elles ne s’étaient vraiment intensifiées qu’en 1938 ou 1939.

Mais j’ai été surpris d’apprendre qu’une grande partie de la population américaine était déjà consciente des intentions d’Hitler au milieu des années 1930, et que le sentiment public était également divisé sur la question de savoir si nous devions nous rendre aux Jeux de Berlin.

Deux policiers ouest-allemands, armés de mitraillettes et vêtus de survêtements, se mettant en position sur le toit du bâtiment où des terroristes palestiniens armés retenaient en otage des membres de l’équipe olympique israélienne, le 5 septembre 1972 (Crédit : AP)

Notre réaction face à la Shoah est d’autant plus déchirante et tragique que nous n’ignorions pas l’existence d’Hitler et que nous n’avons pas découvert en 1944 que de mauvaises choses se produisaient. Non, non, en 1934, 1933 et 1932, des gens revenaient [d’Allemagne] et disaient : « Cet homme est complètement fou, nous devrions faire attention à nos relations avec lui et à la mesure dans laquelle nous nous laissons entraîner dans ses Jeux. »

En ce qui concerne les Jeux de Paris, je suis curieux de savoir quels sont les parallèles que vous avez établis entre 1936 et aujourd’hui. Évidemment, il y a eu des questions sur la sécurité et la participation des athlètes juifs. Mais qu’est-ce qui vous a interpellé lorsque vous avez regardé les JO de Paris, après avoir fait une étude approfondie de 1936 ?

Il est évident que les Jeux que nous connaissons aujourd’hui sont ceux qu’Hitler et son peuple ont créés, au sens le plus large du terme. Ils ont su comprendre à quel point il s’agissait là d’un spectacle. Nous oublions qu’à l’époque, les Jeux olympiques n’étaient rien d’autre qu’une compétition d’athlétisme glorifiée. Il ne s’agissait pas d’un spectacle international comme c’est le cas aujourd’hui. C’est vraiment Hitler qui a compris que les Jeux avaient un potentiel symbolique plus large et qu’ils pouvaient renforcer le statut du pays hôte. D’une certaine manière, nous vivons toujours dans ce monde.

Je ne veux pas trop établir de lien entre 1936 et 1972 – lorsque onze Israéliens ont été assassinés dans le village olympique – mais il est évident que, depuis 1972, le traitement des athlètes israéliens a occupé le devant de la scène, en particulier cette année, lorsque des gens ont appelé au boycott et que des menaces de mort ont été proférées à l’encontre d’athlètes israéliens à Paris. Comment avez-vous appréhendé cette situation compte tenu du contexte de 1936 ?

Le Comité international olympique (CIO) avait le choix en 1936. L’une des options qui s’offraient à lui, alors que la controverse sur Hitler prenait de l’ampleur au milieu des années 1930, était de déplacer les Jeux vers un site neutre. S’il l’avait fait, il aurait évité des générations de controverses. Si vous déplacez les Jeux sur un site neutre et que vous dites simplement « qu’à partir de maintenant, le pays que vous représentez n’a plus d’importance. Nous ne jouons aucun jeu géopolitique. Vous venez ici si vous vous qualifiez, et tout le monde concourt, et nous laissons la politique à la maison », cela aurait été logique. Mais le problème, c’est qu’ils voulaient laisser la politique de côté, alors même qu’ils continuaient à organiser les Jeux dans des lieux politiquement chargés.

Vous ne pouvez pas brandir la carte des athlètes israéliens… Vous ne pouvez pas en faire des symboles de vos sentiments à l’égard du conflit à Gaza. C’est ridicule. Si quelqu’un passe les dix dernières années de sa vie à s’entraîner pour le saut en longueur, qu’est-ce que les objectifs de politique étrangère de l’actuelle administration israélienne ont à voir avec cela ? Ça n’a rien à voir. C’est ridicule. C’est tout aussi stupide qu’en 1972, 1968 ou 1936.

Une histoire qui a particulièrement retenu mon attention est celle d’Helene Mayer, l’escrimeuse juive qui fait le salut nazi. L’histoire raconte qu’on lui a dit que cela aiderait à sauver sa famille des nazis, ce qui fut le cas. Je suis curieux de savoir ce qui vous a frappé dans son histoire. Qu’avez-vous pensé lorsque vous l’avez entendue pour la première fois ?

On ne peut s’empêcher d’avoir pitié d’elle, d’une certaine manière, n’est-ce pas ? Lorsque nous associons inutilement le sport et la politique, c’est ce qui se produit. Nous plaçons les athlètes dans des positions impossibles. C’est une chose de mettre sur cette scène des personnes qui se sont entraînées à être sous les feux de la rampe ou qui se sont préparées à cela. C’en est une autre quand il est question  d’athlètes. … Qui sait ce dont elle était consciente ? Elle vivait en Californie, elle était escrimeuse, qui sait ce qu’elle savait de l’Allemagne hitlérienne ? Il est tout simplement ridicule de faire peser ce poids sur les épaules de quelqu’un.

Helene Mayer, médaillée d’argent en escrime, faisant le salut nazi, à Berlin, aux Jeux olympiques de 1936. (Crédit : Domaine public)

J’ai été frappé par le fait qu’aucun des quatre personnages principaux du podcast ne soit juif. Comment avez-vous envisagé de raconter cette histoire et de mettre en valeur le rôle de l’identité juive et les expériences des Juifs à cette époque, étant donné que ces quatre acteurs clés n’étaient pas eux-mêmes juifs ?

Le monde dont il est question ici a, à cette époque, fermé tellement de portes aux Juifs. Ils n’occupaient pas de postes de direction au sein du CIO. Nous sommes dans les années 1930, dans un monde où l’on parle beaucoup des Juifs, mais pas par des Juifs. C’est juste une conséquence du choix de raconter une histoire des années 1930. Et un rappel de l’ampleur de l’exclusion des Juifs.

Pour terminer, ce podcast a pour but d’informer les gens sur les JO de 1936. Mais je suis curieux de savoir quelles leçons vous pensez que les gens devraient tirer des Jeux de 1936 ?

Si nous voulons organiser tous les quatre ans ce spectacle exalté où la politique est inexorablement liée au reste… Si vous voulez avoir des arguments politiques ou les utiliser comme un moyen d’apprendre des choses sur le reste du monde, alors faisons-le en toute bonne foi. Ce que nous devrions peut-être dire, c’est que si tous les quatre ans le monde s’intéresse soudain à ce que font les athlètes, alors il faut prendre cette responsabilité particulière, ou cette opportunité, au sérieux. Organisons de véritables débats sur les questions soulevées, plutôt que des débats informels et désordonnés.

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