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INTERVIEW

Une communauté 100 % féminine aide les femmes à prendre leur tournant high-tech

Selon Ruth Polachek, fondatrice de l'ONG "She Codes", si les femmes persévèrent, elles pourraient constituer 50 % des développeurs logiciels et multiplier par trois leur salaire

Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.

"She Codes" organise des événements 100 % féminins pour les ingénieures logiciel en devenir. (Crédit : Inbal Marmeri)
"She Codes" organise des événements 100 % féminins pour les ingénieures logiciel en devenir. (Crédit : Inbal Marmeri)

Il y a plusieurs années, au début de sa carrière, Ruth Polachek était à la tête de l’accélérateur de start-ups Citibank, plongée dans le milieu des finances et de l’innovation après avoir travaillé dans des banques mondiales d’investissement. C’est à ce moment-là, explique-t-elle, qu’elle a commencé à vraiment réaliser que le monde des ingénieurs logiciel était très – peut-être même trop – masculin.

« Au départ, il s’agissait d’un moyen pour moi et d’autres femmes de rencontrer d’autres ingénieures en informatique », a expliqué Polachek au Times of Israel. « Au départ, il s’agissait d’un projet secondaire et la communauté a grandi, grandi et est devenue si importante que j’ai dû arrêter tout le reste pour m’y consacrer. »

C’est ainsi que la communauté « She Codes » a vu le jour – une communauté de développeuses 100 % féminine qui a été fondée en 2013 par Polachek. « She Codes » est depuis devenue une organisation à but non-lucratif qui s’est fixé un objectif : celui que 50 % des postes de développeur logiciel, dans le secteur de la high-tech, soient occupés par des femmes. L’ONG compte actuellement plus de 50 000 membres et elle se concentre sur la nécessité d’aider les femmes à entrer sur le marché du développement logiciel. Certaines ont une formation technologique officielle, d’autres pas, d’autres encore ont fait des carrières dans des secteurs n’ayant aucun lien avec les nouvelles technologies.

Fille d’un couple américain immigré en Israël et qui travaillait dans l’industrie technologique, Polachek a fait des études d’économie à l’université hébraïque de Jérusalem, puis elle est devenue courtière à Wall Street avant d’intégrer une banque d’investissement, chez Lehman Brothers, où elle a travaillé sur les fusions-acquisitions et les entrées en bourse des start-ups spécialisées dans les nouvelles technologies.

« Je suis une entrepreneuse qui a initialement commencé par un travail dans la finance – mais j’ai toujours voulu construire quelque chose », a expliqué Polachek. « Et j’ai réalisé que c’est dans l’industrie technologique que les choses se développent et que c’est là qu’il faut porter toute son attention si on s’intéresse aujourd’hui à l’entrepreneuriat de manière générale ».

Polachek se souvient que lorsqu’elle a commencé à lancer son organisation, il y a environ dix ans, les femmes constituaient environ 14 % des développeurs logiciel. Elles représentent dorénavant environ 25 %, voire 28 % de cette main-d’œuvre – des pourcentages qui varient selon les données utilisées.

La fondatrice et directrice-générale de She codes, Ruth Polachek. (Crédit : Hadar Dolan)

« On n’en est pas encore aux 50 % que nous nous sommes fixées comme objectif mais la différence est déjà énorme », s’est elle réjouit.

Les femmes continuent à être sous-représentées dans l’écosystème technologique israélien où elles constituent environ 34 % de la main-d’œuvre, selon un rapport qui a été émis en 2022 par Power in Diversity. Les conclusions basées sur les données collectées auprès de 650 firmes israéliennes soutenues par des fonds de captal-risque et qui emploient au moins 50 salariés dans le pays montrent que malgré une légère augmentation annuelle de 0,4 % dans la représentation des femmes en 2022, les hommes dominent encore l’écosystème de la high-tech. Le pourcentage de femmes employées à des postes technologiques est de 27,8 %, selon les données.

« Après dix ans d’activité, nous sommes aujourd’hui la plus grande organisation qui se consacre à faire entrer sur la scène de nouvelles ingénieures logiciel et nous sommes aussi, en fait, la plus grande communauté de femmes ingénieures logiciel », a noté Polachek. « Sur les réseaux sociaux, dans notre communauté, nous avons environ 150 000 femmes. »

Mais ce dont Polachek est réellement fière, c’est que l’organisation ne se contente pas seulement d’assurer une présence sur les réseaux sociaux – elle se concentre avant tout sur des événements où les femmes qui travaillent pour les géants de la technologie comme Google, Microsoft ou Amazon, viennent partager leurs expériences avec d’autres femmes et les forment. En plus de cours de codage de base ou plus avancés que l’ONG organise et propose pendant toute l’année. De nouveaux cursus sont ainsi lancés chaque trimestre et les femmes se rencontrent en présentiel une fois par semaine, le soir, pour des programmes dans les 45 branches que compte l’organisation sur tout le territoire israélien.

Cette entrepreneure de 40 ans a la conviction qu’il y a des raisons sociales ou culturelles derrière les préjugés défavorables aux femmes et aux minorités.

« Ces préjugés, ne sont pas, en réalité, forcément néfastes parce qu’évoluer dans un environnement homogène renforce les aspects positifs. C’est pourquoi les femmes qui se trouvent dans un endroit où il n’y a que des femmes renforcent vraiment leurs capacités, car elles ne se concentrent pas sur les différences déroutantes, mais uniquement sur le professionnalisme », a-t-elle indiqué. « Les gens aiment se mêler à ceux qui leur ressemblent et c’est un bon environnement pour l’apprentissage. »

She codes relie les femmes qui veulent développer de nouvelles compétences avec des programmatrices, pour aider au développement de leur carrière et à leur développement personnel. (Crédit : Eden Galbes)

« Les gens ont tendance à essayer de suivre l’exemple donné par les personnes dont ils se sentent proches ou de suivre l’exemple de leurs modèles », a-t-elle ajouté.

C’est l’une des principales raisons expliquant la construction du concept de « She Codes » autour d’une structure d’enseignement et de programmation au sein d’une communauté à 100 % féminine, un concept qui s’adresse aux femmes de tous les milieux socio-économiques et de toutes origines. Il y a une dizaine de communautés au sein de « She Codes », notamment une branche orthodoxe et une branche universitaire, ainsi qu’ une branche à Nazareth.

La majorité des cours de génie logiciel qui sont offerts via l’organisation sont destinés aux débutantes, de manière à leur permettre de découvrir l’industrie technologique et le codage. Certains cursus sont toutefois réservés à des ingénieures plus avancées qui sont en quête d’une formation continue. La moyenne d’âge des participantes est d’environ 30 ans – il s’agit souvent de femmes qui ont déjà commencé une carrière mais qui envisagent éventuellement de changer de profession ou d’orientation.

« En comparaison avec les autres communautés, nous sommes très ouvertes aux participantes sans expérience et nous voulons leur servir de porte d’entrée dans l’industrie de la high-tech », a précisé Polachek. « On voit des femmes qui étaient couturières, qui ont suivi des cours avec ‘She Codes’ et qui sont devenues ingénieures logiciel – ce sont des parcours époustouflants. »

Elle a aussi rapporté l’histoire d’une femme qui avait fait des études de sciences informatiques mais qui avait fait une pause de dix ans dans sa carrière suite à son mariage et à ses grossesses. Elle avait pris quelques cours par le biais de l’organisation, retrouvant son chemin dans la communauté high-tech et trouvant un travail.

« Tous les pôles technologiques majeurs nous accueillent, nous et nos activités, et ils entrent en contact avec nous pour privilégier la présence des femmes dans l’industrie », a dit Polachek. « Je dois dire que dans certaines entreprises, il y a beaucoup de belles paroles mais certaines travaillent tout de même activement à promouvoir les femmes et elles nous viennent en aide : si elles n’embauchent pas directement des femmes dans leurs compagnies, elles nous aident à mobiliser un plus grand nombre de femmes dans l’industrie, ce qui entraînera à terme des placements. »

« She Codes » propose des cours enseignés en différents langages de programmation : Java, basic python, Web, python pour programmateurs… D’autres cours se déroulent dans des firmes high-tech comme Check Point Software Technologies Ltd., Ebay, Intel Haifa, IBM, Amazon Web Services (AWS) et Microsoft, ainsi que dans les principales universités du pays, notamment au Technion et à l’université de Tel Aviv.

« La majorité des femmes continuent ensuite, elles passent un diplôme ou elles poursuivent leur apprentissage en génie logiciel et nous en sommes très fières », s’est exclamée Polachek. « Être programmatrice, c’est être un étudiant toute sa vie parce qu’il y a toujours de nouvelles technologies qui apparaissent ».

Longtemps vanté comme étant le moteur de croissance de l’économie, le secteur technologique représente environ 25 % du total des revenus issus des impôts et il constitue environ 10 % de la main-d’œuvre. En même temps, le pays souffre d’une pénurie sévère d’employés qualifiés dans le secteur de la high-tech. Il y a aujourd’hui environ 32 900 postes vacants et 21 000 concernent des postes high-tech, selon le dernier rapport Capital Humain dans la Technologie 2021-2022 qui a été diffusé par le Start-Up Nation Policy Institute et par l’Autorité de l’Innovation israélienne (IIA).

« Si vous vous penchez sur cette potentielle crise au sein de l’industrie, alors il est temps que les femmes se forment et qu’elles améliorent réellement leurs compétences dès maintenant parce que les compagnies continueront à vouloir embaucher de bons ingénieurs logiciel », a souligné Polachek. « Elles se fichent de savoir si ce seront des hommes ou des femmes – elles disent que ça les préoccupe mais ce n’est pas le cas. »

Les efforts livrés par le gouvernement pour intégrer des communautés sous-représentées dans la main-d’œuvre du pays, en plus de la pénurie de talents dans le secteur technologiques ont aidé « She Codes » à signer un partenariat avec le ministère du Travail israélien qui court sur plusieurs années et qui a permis à l’organisation de ne faire payer qu’une modeste cotisation d’inscription aux femmes qui prennent part aux cours et aux activités de l’ONG.

« La raison expliquant notre collaboration fructueuse – c’est peu de le dire – avec le ministère du Travail, c’est que nous avons parfaitement vu la difficulté que devait affronter le gouvernement pour faire entrer dans l’industrie 1 000 nouveaux ingénieurs logiciel », a expliqué Polachek. « Au cours des cinq dernières années qui ont marqué notre partenariat, nous savons que plus de 6 000 femmes ont trouvé des emplois d’ingénieures logiciel suite à leur implication dans notre communauté et dans notre organisation. »

« Il y a approximativement 100 000 ingénieurs logiciel en tout – les hommes compris – alors je parle ici de peut-être un tiers des femmes de l’industrie. Nous partons par ailleurs du principe que toutes ont pris part à nos programmes. »

Sur demande et grâce au financement du gouvernement, Myers JDC Brookdale a mené une étude d’évaluation d’impact examinant la possibilité que le programme de « She Codes » puisse être pris comme modèle pour la promotion de l’intégration des femmes dans l’industrie des nouvelles technologies.

« Le principal point du programme a porté sur la probabilité, pour une femme sans formation technologique officielle, sans parcours professionnel pertinent, de pénétrer dans l’industrie de la high-tech. La probabilité pour ces femmes ayant participé au programme d’entrer dans une entreprise high-tech ou d’être nommées à un poste technologique était 2,3 fois plus élevée dans le groupe expérimental que dans le groupe de contrôle », ont établi les conclusions de ce rapport paru en 2022. « Il s’avère que l’impact du programme est important en comparaison avec des programmes similaires mis en œuvre dans le monde entier. »

Au cours des dix dernières années, Polachek a elle-même figuré dans le classement Forbes des 50 femmes les plus puissantes en Israël ; elle a été choisie parmi les 100 personnalités les plus influentes en Israël et son nom a été cité dans la liste des 40 personnalités israéliennes de moins de 40 ans les plus prometteuses dans TheMarker Magazine.

« Il y a suffisamment de femmes autour de nous et si nous construisons des communautés où vos meilleures amies sont ingénieures logiciel ou qu’elles espèrent le devenir un jour, vous allez suivre leur exemple – ce n’est qu’une question de temps », estime Polachek. « Si les femmes se décident, qu’elles se concentrent sur leurs objectifs et qu’elles persévèrent, elles pourront tout faire et elles pourront tripler leur salaire en tant qu’ingénieures logiciel. »

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