Une droite frustrée pourrait-elle envisager un processus constitutionnel plus large ?
Las des échecs, certains députés cherchent à contrecœur et avec hésitation une solution à la crise judiciaire en dehors des murs de la Knesset

« Cette audience témoigne du manque de respect de la Cour pour le jugement du peuple », a déclaré le député Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit) aux 15 juges de la Haute Cour la semaine dernière. « L’idée même qu’il est possible de tenir une discussion claire, aseptisée et rigoriste alors que la question fondamentale posée est de savoir si la Cour agit correctement aujourd’hui ou a agi correctement dans le passé est la preuve d’un manquement à l’éthique. »
Cette amertume s’est manifestée à l’encontre des juges lors de l’audience de mardi dernier sur les recours déposés contre la loi du « caractère raisonnable », au cours de laquelle Rothman a défendu la législation de la coalition – un amendement à une Loi fondamentale – qui a éliminé la capacité de la Cour à bloquer les actions et les nominations du gouvernement en utilisant le critère juridique du « caractère raisonnable ».
Rothman parlait avec son cœur. Depuis des années, il s’insurge contre ce qu’il appelle « les excès de la Cour ». Il a fondé une ONG et écrit deux livres sur le sujet. Il est l’un des principaux architectes politiques de la refonte du système judiciaire du gouvernement. C’était son moment sous les feux de la rampe, une chance de présenter ses arguments à la nation, et il avait l’intention d’en tirer le meilleur parti.
« Pouvez-vous être ceux qui examinent cette question, sans crainte ni favoritisme, sans être biaisés par le fait que vous débattez de votre propre dignité, de votre propre statut, de votre propre autorité ? Il est clair pour moi que vous pensez agir de manière appropriée, mais si vous devenez l’arbitre final sur cette question, où sont les contrôles ? Où sont les équilibres ? »
Le plaidoyer de Rothman comprenait une partie, un peu inattendue, demandant à la Cour de se joindre à sa croisade pour s’affaiblir elle-même.
« Dans un État démocratique, le peuple est souverain. N’essayez pas d’enlever au peuple d’Israël sa démocratie et sa foi en celle-ci. Participez vous-mêmes à l’effort visant à réparer le système judiciaire et à restaurer la confiance du peuple. Il ne s’agit pas d’un effort politique. Il s’agit d’un effort essentiel auquel toutes les branches du pouvoir doivent contribuer. Depuis des années, cette nation réclame la justice. Ne la forcez pas et ne nous forcez pas à attendre plus longtemps. »

Le discours de Rothman, qui a dressé un tableau de la situation juridique et politique actuelle d’Israël – que seule une minorité d’Israéliens reconnaîtrait – soulève de nombreuses questions évidentes. Sa suggestion que son effort pour affaiblir la Cour « n’est pas politique » – quoi que cela puisse signifier – serait une nouvelle pour presque tous les politiciens, y compris de son côté de l’allée. Son insistance sur le fait que la Cour entrave d’une certaine manière la justice est généralement partagée par ses propres électeurs, mais pas par la plupart des Israéliens. Il convient également de souligner que la Cour jouit d’une plus grande confiance du peuple que Rothman lui-même ou que la coalition qui cherche à l’affaiblir. Si Rothman pense vraiment que les statistiques relatives à la confiance des citoyens sont un indicateur décisif d’un travail bien fait, il devrait tirer de désagréables conclusions sur sa propre carrière politique à ce jour.
Mais en fin de compte, il ne s’agit là que d’arguties face à un discours politique constitué de l’habituelle masse de déchets politiques qu’il faut éliminer pour parvenir au message principal de l’homme politique. Au cœur de son discours, Rothman avait une idée, une bonne idée, vitale et inévitable. Ironiquement, c’est précisément ce sur quoi Rothman avait entièrement raison qui a révélé sa vulnérabilité.
En commentant le discours de Rothman, le commentateur conservateur Yoav Sorek, rédacteur en chef de la revue HaShiloach, a formulé son point de vue de manière plus succincte et, peut-être accidentellement, plus critique.
Après avoir fait l’éloge du discours de Rothman, il a écrit : « Il est évident que pour examiner les questions relatives aux relations entre les branches [du pouvoir], nous avons besoin d’un forum qui n’est pas l’une de ces branches. Une Cour constitutionnelle, une assemblée constitutionnelle, quelque chose comme ça. Sans cela, nous n’avons pas d’autre choix que de préserver le délicat équilibre sur cette corde raide – une corde raide qui cesse d’exister, bien sûr, lorsque la ‘Divine Providence’ décide, par le biais d’une révélation divine qui nous a échappé à tous, qu’un côté – la Haute Cour – est l’arbitre ‘suprême’, et le seul et malheur à ceux qui le contestent. »
Comme dans les propos de Rothman, on ne relève pas d’amour particulier pour les pouvoirs de la Cour. Mais il y a quelque chose de plus, quelque chose qui apparaît soudainement dans le discours de la droite. Sorek a eu raison de distinguer ce « truc en plus » de l’ensemble.
Quand les militants conservateurs ont-ils commencé à souhaiter que « toutes les branches du pouvoir » soient « partenaires » dans le projet de refonte judiciaire, ou qu’une toute nouvelle branche soit créée pour définir le cadre constitutionnel d’Israël : une Cour permanente, une assemblée temporaire ?

Rien de tout cela ne faisait partie du discours de Netanyahu, en mars, lorsqu’il avait temporairement gelé la refonte au milieu de l’escalade des protestations. Mais aujourd’hui, c’est le cas. Le président de la Knesset, Amir Ohana, a même ouvertement lancé l’idée jeudi dernier.
Comme Rothman et Sorek, Ohana l’a présentée comme une attaque directe contre la Cour. Mais, il est allé plus loin, en la présentant comme une menace explicite destinée à contraindre les juges à laisser la loi du « caractère raisonnable » en l’état.
Mais qu’implique cette menace ?
La Knesset, a-t-il dit, répétant le mantra de la droite au cours de la semaine écoulée, « n’acceptera pas d’être piétinée sans réagir ». Mais la solution qu’il a proposée ne correspondait pas au problème du prétendu « piétinement » de la Knesset : la création d’un nouvel organe, une « Cour constitutionnelle », qui traiterait des « questions constitutionnelles qui existent même si Israël n’a pas de constitution ».
Il s’agirait d’une Cour habilitée à « délibérer sur des valeurs, des visions du monde et des concepts du domaine de l’idéologie », et tous ses membres ne devraient pas être des juristes ou des experts juridiques, a-t-il déclaré.
Il s’agissait clairement d’une attaque contre la Cour ; Ohana s’est efforcé de ne laisser aucun doute à ce sujet. Mais il s’agissait également d’une attaque contre la Knesset.

La réunion constitutionnelle extra-judiciaire qu’il décrivait était également, sans vouloir insister sur ce point, une réunion extra-parlementaire, un fait que peu de critiques libéraux d’Ohana ont remarqué et que lui-même n’a pas souligné. En défendant la dignité de la Knesset face au prétendu « piétinement » de la Cour, il a proposé de retirer les questions constitutionnelles non seulement des fonctions de la Cour, mais apparemment de celle de la Knesset aussi.
Ensuite, il y a la rencontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu avec Elon Musk, au cours de laquelle Netanyahu a déclaré qu’il cherchait à trouver une solution de compromis sur la refonte judiciaire, « un juste milieu ». Mais que si l’opposition ne se montrait pas disposée à négocier, alors il voudrait « s’asseoir avec le peuple – à savoir obtenir un consensus aussi large que possible pour une ‘correction mineure‘ » – en d’autres termes, une correction sur la façon dont nous choisissons les juges.
Il est vraiment difficile d’imaginer ce qu’il pourrait envisager. Un sondage ? Un référendum ? Une « Cour constitutionnelle » à la Ohana, qui n’est pas vraiment une Cour mais qui est habilitée à prendre des décisions constitutionnelles d’une manière ou d’une autre ?
Son propos était si vague qu’il est juste de suggérer qu’il ne sait pas vraiment ce qu’il veut, mais il sait au moins qu’il ne veut pas continuer sur la voie qu’il a suivie jusqu’à présent. C’est le moment d’incertitude – le flou de quelqu’un qui cherche de nouvelles solutions.
Le diable se cache toujours dans les détails, bien sûr. Les ministres et les députés de la coalition qui proposent actuellement des idées pour un nouveau processus constitutionnel s’attendent probablement à ce que la coalition elle-même définisse ses procédures et son ordre du jour. Les législateurs de l’opposition ne manqueront pas de le penser.
Il n’en reste pas moins que le précédent est en train de se créer. L’ancienne vision est peut-être en train de changer – la conviction de longue date, exprimée comme une question de principe fondamental, que la Knesset est le représentant souverain et unique de la volonté du peuple et qu’elle ne se laissera pas « piétiner » par un déplacement des pouvoirs constitutionnels au-delà de ses fonctions.

L’aile droite politique ne pense plus qu’elle peut faire passer à la Knesset tous les changements constitutionnels qu’elle souhaite en suivant d’étroites lignes partisanes.
Ou du moins, une grande partie d’entre elle en est désormais convaincue. Le ministre de la Justice, Yariv Levin, a pour sa part insisté lundi sur le fait que rien n’avait changé et que la refonte se poursuivrait en l’état. « Si quelqu’un pense que les mesures [du paquet de réformes radicales de la coalition visant à remanier en profondeur le système judiciaire] devraient être retirées, arrêtées ou annulées, cela ne fera qu’accroître la volonté du gouvernement. Leur objectif est de faire tomber le gouvernement, et en aucun cas ce gouvernement ne tombera », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement de différentes ONG de droite à la Knesset, selon la Treizième chaîne. « Il est clair que tout ce processus porte sur la question de savoir qui va gouverner ici, et ils ne sont pas prêts à ce que nous dirigions le pays. Donc, même s’il n’y a pas d’accord [avec l’opposition], je n’ai pas l’intention d’annuler la refonte. »
Mais même les plus fervents partisans du gouvernement, et de la refonte, commencent à reconnaître que la ténacité de Levin ne reflète pas l’opinion générale au sein du Likud.
Lors d’une interview sur la Quatorzième chaîne mardi, Yaakov Bardugo, un fidèle de Netanyahu, l’a dit tout haut : « Yariv Levin est en train de créer un camp au sein du Likud. Il n’est plus le bras droit de Benjamin Netanyahu. Mais cela ne marchera pas pour lui. Il fait beaucoup de bruit, mais il n’y parviendra pas. Les gens qui sont censés être dans son camp ne le soutiennent plus. Ce n’est pas un hasard si les ministres et les députés du Likud ont récemment fait preuve d’un silence écrasant. »
Un compromis négocié sur la refonte est peu probable. Les factions d’extrême-droite qui détiennent, entre leurs mains, le vote décisif au sein de la coalition ne peuvent pas concéder le minimum dont les partis d’opposition auraient besoin pour livrer un accord à leurs électeurs. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne jouit pas non plus d’une confiance suffisante de la part de l’opposition – sans oublier certains partis de droite qui souhaitent un compromis – pour permettre à ces derniers d’entamer des négociations politiquement risquées.
C’est pourquoi certains membres de la droite semblent de plus en plus disposés à chercher de nouvelles alternatives qui ne passent pas par la Knesset.

Lorsque même d’ardents partisans de la refonte judiciaire, les « Ohana » et les « Sorek » du débat public israélien, commencent à acclamer l’idée de retirer à la Knesset le processus d’élaboration de la constitution, ne serait-ce que parce qu’ils ne peuvent plus imaginer d’autre moyen de retirer ce pouvoir à la Cour, c’est l’aveu de la défaite de l’ancienne stratégie.
Le discours de Rothman a bien été le cri de défi belliqueux que tout le monde a entendu. Mais il contenait aussi, à la manière discrète d’un pivot politique essayant d’éviter d’attirer l’attention sur lui-même, une acceptation des réalités politiques et un signal timide d’une nouvelle voie à suivre. On ne peut attendre de la Cour qu’elle « s’associe à l’effort » de la refonte radicale proposée en janvier , qui vise à pratiquement vider ses propres pouvoirs de leur substance. Mais elle pourrait être appelée à se joindre à un nouveau type d’effort, celui que Rothman et Ohana et les commentateurs conservateurs semblent fébrilement esquisser.
Lentement, peut-être même de manière pas encore tout à fait consciente dans certains cas, la notion d’un processus constitutionnel plus sérieux commence à s’imposer dans les cercles conservateurs, ne serait-ce que parce que la droite commence à admettre que le coût d’un changement constitutionnel forcé par le biais de votes de parti est trop élevé. Une leçon a été tirée des neuf derniers mois – non pas par Levin ni certains des politiciens les plus populistes, mais par ceux dont l’assurance et les instincts politiques agressifs sont tempérés par le désir de réellement accomplir quelque chose.
Que va-t-il se passer maintenant ? La droite politique pourrait-elle faire avancer un tel processus ? Le souhaite-t-elle ? Et s’agirait-il d’un effort constitutionnel réel et équitable ?
La semaine dernière, Rothman a posé une question pertinente et essentielle aux juges israéliens. « Pouvez-vous être ceux qui examinent cette question, sans crainte ni favoritisme, sans être biaisés par le fait que vous débattez de votre propre dignité, de votre propre statut, de votre propre autorité ? Il est clair pour moi que vous pensez agir de manière appropriée, mais si vous devenez l’arbitre final de cette question, où sont les contrôles ? Où sont les équilibres ? »
Les détracteurs de la refonte ont posé cette même question à Rothman lui-même, et à la faible majorité de la Knesset qui prétendait rétablir les contrôles et les équilibres tout en concentrant la quasi-totalité des pouvoirs dans une étroite coalition parlementaire dépendant des franges les plus radicales de la politique israélienne.
Il est peut-être temps pour Rothman de commencer à prendre au sérieux son excellente question, que de plus en plus d’Israéliens se posent à propos de plus de branches du pouvoir qu’il ne semble le réaliser. Où sont en effet les contrôles ? Et où sont les équilibres ?
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