Une loi anti-terroriste pourrait incriminer les élus d’extrême droite qui la soutiennent
Le nouveau projet risque de nuire aux députés ayant soutenu un Israélien qui a brûlé une famille palestinienne en Cisjordanie ; le texte ferait l’objet "d’amendements" en commission
Un projet de loi controversé contre l’incitation au terrorisme, proposé par Zvi Sukkot (HaTzionout HaDatit), pourrait avoir des conséquences inattendues et placer plusieurs dirigeants extrémistes, dont Sukkot lui-même, dans une situation juridique délicate, ont averti les experts juridiques lors d’une session houleuse de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice, mercredi dernier.
Le projet de loi vise à étendre les dispositions de l’actuelle loi anti-terrorisme, qui interdisent les expressions de soutien et d’identification à des actes de terrorisme, aux expressions de sympathie et d’encouragement à l’égard d’un individu qui a perpétré un acte de terrorisme meurtrier.
Son objectif premier est apparemment de freiner l’incitation au terrorisme des Palestiniens et des Arabes israéliens. Dans un communiqué, Sukkot a établi un lien entre l’amendement proposé et les « dizaines d’années d’incitation au terrorisme… dans les écoles et les mosquées » qui ont précédé l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, et qui a déclenché la guerre actuelle.
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Ce lien a été rendu explicite mercredi par le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice, Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit), qui a affirmé que le renforcement des règles sur l’incitation au terrorisme permettrait de poursuivre le député Ayman Odeh.
Se référant apparemment à un reportage de la Quatorzième chaîne diffusé en 2022, Rothman a accusé le chef de l’alliance Hadash-Taal, majoritairement arabe, d’avoir fait l’éloge de Latifa Abu-Hamid, la mère de plusieurs terroristes condamnés, qu’il aurait qualifiée « d’héroïne, de mère de héros ».
Le projet de loi, qui cherche également à supprimer l’obligation de démontrer que les déclarations peuvent raisonnablement conduire à un acte terroriste, aurait permis à la police de mettre Odeh en examen, a-t-il affirmé.
Hagar Shechter, avocate de l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), a contesté la loi, et a fait remarquer que les propos de Sukkot en faveur du meurtrier condamné Amiram Ben Uliel pourrait se retourner contre lui.
« Si la loi est adoptée, elle pourrait affecter le député Sukkot lui-même », a-t-elle indiqué.
Ben Uliel purge actuellement trois peines de prison à vie plus 20 ans pour un attentat à la bombe perpétré en 2015 dans le village de Duma, en Cisjordanie, au cours duquel Riham et Saad Dawabsha ont été tués ainsi que leur fils de 18 mois, Ali Saad. Seul le fils du couple, Ahmed, âgé de cinq ans, a survécu à l’attaque terroriste, avec des brûlures graves.
Ben Uliel a été reconnu coupable de trois chefs d’accusation de meurtre, de deux chefs d’accusation de tentative de meurtre, d’incendie criminel et de conspiration en vue de commettre un crime à motivation raciale dans le cadre d’un « acte terroriste ».
En septembre dernier, 14 élus de la coalition ont demandé l’assouplissement des conditions de détention de Ben Uliel, arguant que ses aveux avaient été obtenus sous la torture et que son séjour prolongé en isolement constituait « les conditions d’incarcération les plus difficiles appliquées par l’État d’Israël ».
Si Sukkot n’a pas signé la lettre, il a soutenu l’initiative, et a déclaré au site d’information Ynet qu’il estimait que Ben Uliel était victime d’une « injustice » et que cette condamnation posait un « problème ».
Répondant à Shechter, Sukkot, qui a lui-même été détenu pour avoir participé à l’incendie d’une mosquée dans le nord de la Cisjordanie, a affirmé n’avoir jamais « soutenu Ben Uliel », même s’il a réitéré qu’il considérait le traitement du condamné comme « problématique ».
Dans sa critique de la loi, Shechter a également souligné que si le « test de probabilité » n’était plus requis pour établir si les propos tenus satisfaisaient aux critères d’incitation au terrorisme, « la photo de Baruch Goldstein sur le mur d’un autre député » pourrait subitement poser des problèmes sur le plan juridique.
Jusqu’à récemment, le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, avait une photo de l’assassin juif Baruch Goldstein, auteur du massacre de 29 fidèles musulmans dans le Caveau des Patriarches à Hébron en 1994, accrochée au mur de son domicile.
Réagissant aux critiques des représentants du bureau du conseiller juridique de la Knesset et de l’Institut israélien de la démocratie, qui ont reproché à la loi d’avoir une trop grande portée, Sukkot a paru faire une légère marche arrière, et s’est dit ouvert à d’autres amendements et à des clarifications du texte.
Le projet de loi a également été rejeté par le ministère de la Justice, qui a fait savoir dans un avis écrit qu’il comportait un « risque accru d’application sélective et arbitraire » et qu’il pourrait « très probablement conduire à une pénalisation excessive de larges sections de la population ».
Parmi les personnes susceptibles de faire l’objet de nouvelles poursuites judiciaires en vertu de la législation, on trouve Bentzi Gopstein, le chef du groupe raciste d’extrême droite Lehava, qui a récemment été blanchi des accusations d’incitation au terrorisme (mais inculpé pour incitation au racisme anti-arabe), comme l’a rapporté le Bureau du conseiller juridique.
S’adressant au Times of Israel jeudi, Shechter a indiqué que si la loi de Sukkot était adoptée, elle créerait un effet de refroidissement dans la mesure où « tout enfant de 13 ans qui écrirait une publication pour ses cinq followers dans laquelle il affirmerait que Baruch Goldstein est roi, serait considéré comme un criminel. »
Une telle rhétorique peut être « intolérable », mais les restrictions à la liberté d’expression doivent être liées à des menaces sérieuses pour la sécurité nationale, telles que des déclarations incitant à la terreur.
« Si l’on ne prend pas en compte les circonstances, le contenu et la probabilité qu’un tel discours conduise à un acte terroriste, alors Zvi Sukkot lui-même » et d’autres partisans de Ben-Uliel pourraient être tenus pour responsables, a-t-elle déclaré.
Les partisans de Ben-Uliel qui risquent d’être affectés par le projet de loi comprennent Limor Son Har-Melech (Otzma Yehudit), qui l’a qualifié de « saint homme vertueux » lors d’une collecte de fonds en 2023, précise Shechter.
Contactée par le Times of Israel, Har-Melech a déclaré qu’elle ne connaissait pas la législation de Sukkot et qu’elle répudiait toute violence contre les Palestiniens.
« Si une personne innocente est en prison, alors c’est une personne juste et sainte à mes yeux », a-t-elle indiqué sur WhatsApp, réitérant les affirmations selon lesquelles Ben-Uliel avait été condamné à tort. « Je ne suis certainement pas d’accord avec l’acte [d’incendie criminel]. »
Plusieurs membres de la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont été reconnus coupables d’incitation à la haine, ont fait l’objet d’une enquête à ce sujet ou ont été accusés d’incitation à la violence.
Le dirigeant d’Otzma Yehudit, Ben Gvir, a été condamné pour incitation à la violence et soutien à un groupe terroriste pour avoir distribué des autocollants sur lesquels était écrit « Chassez l’ennemi arabe » et « Kahane avait raison ».
Zvika Fogel (Otzma Yehudit) a été interrogé par la police en mars dernier pour avoir soutenu explicitement des habitants d’implantations extrémistes qui ont incendié des maisons et des véhicules palestiniens dans la ville de Huwara, dans le nord de la Cisjordanie.
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, président du parti HaTzionout HaDatit, a, quant à lui, présenté ses excuses après avoir appelé à « anéantir » le même village, affirmant qu’il n’avait pas réalisé que ces propos pouvaient être interprétés comme un ordre militaire.
Lors de l’audience de mercredi, Sukkot et Rothman se sont tous deux dits ouverts à une révision de la législation concernant l’utilisation d’un test de probabilité, a déclaré au Times of Israel Amir Fuchs, chercheur principal à l’Institut israélien de la démocratie, qui a témoigné lors de l’audience.
Ils ont également déclaré qu’ils étaient conscients que « cela pourrait potentiellement les impliquer ou impliquer leurs amis ou alliés politiques », mais c’était, selon eux, « le prix à payer », a expliqué Fuchs. Selon lui, il n’est pas certain que le soutien à Ben-Uliel, qui a été jugé non coupable d’appartenance à une organisation terroriste, soit suffisant pour que des politiciens comme Sukkot soient inculpés dans le cadre de ce projet de loi.
Un porte-parole de Sukkot, sollicité pour un commentaire, a partagé un communiqué affirmant que « les règles du jeu vont bientôt changer et que tout instigateur pourrait se retrouver derrière les barreaux. »
« Comme toute loi soumise à une commission, elle est soumise à des amendements ici et là », a ajouté le porte-parole dans un message WhatsApp.
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