Une universitaire juive iranienne casse les stéréotypes en les étudiant
Professeur Saba Soomekh s'est frayée un chemin dans la communauté juive iranienne de Los Angeles. Maintenant, elle revient sur les pas de ses ancêtres
Difficile de se détourner du regard perçant de la jeune fille sur la photographie de la couverture du livre de Saba Soomekh « Des Shahs à Los Angeles : Trois générations de femmes juives iraniennes entre religion et culture. »
La photographie représente l’arrière-grand-mère de Soomekh en jeune mariée à l’âge de 12 ans en Iran, et l’on se demande si elle n’est pas d’une certaine manière en train de regarder dans le futur, impressionnée par le fossé entre sa vie et celle de son arrière-petite-fille.
Elle a obtenu une licence à Berkeley, un Master en théologie à Harvard et un Doctorat à l’Université de Californie, Santa Barbara. Elle est membre du groupe de travail iranien auprès du Comité juif iranien et membre de la Commission des ressources humaines de Los Angeles.
Soumekh a utilisé son expertise en créant son programme « iranien américain » de 2012. La même année, le musée Flower de l’université d’UCLA l’a nommée coordinatrice de projet pour son exposition « Lumière et ombres » sur les juifs iraniens.
Pour devenir ce qu’elle est, Soomekh a dû parcourir un long chemin, tant physique que symbolique, à partir de l’endroit où son arrière-grand-mère se tenait assise. Pourtant, il lui était impossible d’ignorer l’envoûtant regard de son ancêtre qui l’a poussé à étudier les juifs iraniens aux Etats-Unis. Néanmoins, pour y parvenir, elle doit se tenir à distance de sa propre communauté.
Prendre une certaine distance vis-à-vis de la communauté juive iranienne très soudée à Los Angeles constitue un véritable défi pour une jeune femme qui y a baigné.
Soomekh et sa grande sœur Bahar, actrice hollywoodienne et écologiste, étaient parmi les premières filles de la communauté à quitter la maison pour aller étudier à l’université.
« Les gens faisaient pleurer ma mère en lui demandant : ‘Qu’as-tu donc bien pu faire pour pousser tes filles à s’enfuir de chez toi’ », se rappelle Soomekh lors d’un entretien donné au Times of Israel.
Saba Soomekh et sa soeur Bahar (à droite) (Crédit : autorisation)
« Quel homme voudrait épouser une fille qui est allée à Harvard », ont averti des amis des parents et des grands-parents de Soomekh.
Les choses ont commencé à changer pour les quelques 45 000 juifs iraniens de Los Angeles, mais les sœurs Soomekh se distinguent toujours de leur communauté étriquée grâce aux parcours universitaires et professionnels inhabituels qu’elles ont choisis.
Au début, la poursuite d’études religieuses de Soomekh l’a conduite bien loin de ses racines. Son premier centre d’intérêt universitaire portait sur les religions orientales comme l’Hindouisme ou le Bouddhisme, elle a d’ailleurs vécu et étudié en Inde pendant un certain temps.
Cependant, lorsqu’elle a remarqué que les cours d’études juives qu’elle suivait et la littérature liée à la recherche qu’elle lisait ne reflétaient pas sa propre expérience, elle a décidé de changer de centres d’intérêt.
« Aujourd’hui, il y a tellement d’étudiants juifs iraniens aux universités d’USC et d’UCLA, et de plus en plus de cours très variés sur le judaïsme sont proposés, remarque Soomekh. Mais quand j’ai commencé, tout ce que l’on proposait dans les études juives se limitait soit à la Bible, soit aux Ashkénazes. L’expérience mizrahi et séfarade ne faisait pas partie du programme d’étude, » précise-t-elle.
Ensuite, elle a découvert que l’on avait très peu écrit sur les Juifs d’Iran, et particulièrement sur les femmes. « C’est à ce moment que j’ai décidé de me concentrer sur ma propre culture et ma communauté » explique-t-elle.
« J’ai grandi avec ma grand-mère qui me racontait des histoires sur la vie en Iran, et j’ai compris qu’il me fallait témoigner de cette histoire orale, explique-t-elle. Je voulais être la voix du peuple, qui n’a pas de voix dans le milieu universitaire. »
Tandis que ses recherches et ses enseignements progressaient, Soomekh s’est spécialisée dans une variété de domaines. Dans les études sur le Moyen-Orient, elle est experte sur la question des femmes. En ce qui concerne l’histoire iranienne, elle s’est concentrée sur les minorités, et plus particulièrement, les juifs.
Dans le domaine des études juives, elle a mis les juifs iraniens dans la lumière. La combinaison de ces différents domaines prend un sens particulier pour elle. « C’est une réflexion sur mon identité hybride, » confie-t-elle.

Pour son livre, Soomekh a interrogé 120 femmes juives âgées de 18 à 90 ans avec des origines juives iraniennes vivant à Los Angeles depuis la Révolution iranienne. Certaines de ces femmes ont grandi en Iran à l’époque de la monarchie constitutionnelle de la première partie du XXème siècle, tandis que d’autres ont été éduquées au cours du régime progressiste du Shah Pahlavi au milieu du siècle. Enfin, d’autres ont toujours vécu à Los Angeles.
Un portrait ethnographique, « Des Shahs à Los Angeles » se concentre sur la religiosité et sur l’observance des rites, les relations entre les hommes et les femmes, et la propre conception des femmes en tant que femmes juives iraniennes.
Cela recouvre des thématiques, comme les relations entre mères et filles, la différence de traitement entre les fils et les filles, les coutumes de mariage et l’attention portée à l’apparence extérieure. Soomkeh pense que les femmes sont plus ouvertes avec elle, précisément parce que, tout en appartenant à leur communauté, elle ne s’y implique pas pleinement pour autant.
« C’est un véritable avantage d’être extérieure à la communauté. J’essaie aussi de ne pas être trop académique, » explique-t-elle.
« Mes interlocutrices étaient disposées à me parler avec autant de franchise parce que je ne suis pas impliquée socialement dans la communauté iranienne. Mes amis sont pour la plupart américains, souligne-t-elle. Dans le même temps, il y avait un certain niveau de confiance parce que je suis iranienne et que ma famille est connue dans la communauté. »
La famille de Soomkeh a travaillé très dur pour s’établir à Los Angeles après avoir quitté Téhéran. Ses parents étaient un « couple classique de nouveaux riches iraniens » dans leur patrie, où son père Hamid, possédait une entreprise de haute couture pour femmes. Il est reparti de zéro aux Etats-Unis avec une entreprise de fabrique de ceintures en travaillant avec sa femme Manijeh.
« Nos grands-parents, qui sont venus avant nous, habitaient juste à côté, s’occupaient de nous puisque mes parents travaillaient tellement dur » se souvient la plus jeune des deux filles du couple.
Soomekh, qui a quitté l’Iran à l’âge de deux ans, est allée dans une école juive et a appris l’anglais en regardant la télévision.
« Ma sœur et moi avons appris à parler cette langue avec Dynastie, Dallas et MTV. »
« Ma sœur et moi avons appris à parler cette langue avec Dynastie, Dallas et MTV. »
Saba Soomekh
Soomekh a poursuivi au lycée de Beverly Hills, et c’est là-bas qu’elle a commencé à se sentir différente de ses amis juifs iraniens. « Je me suis liée d’amitié avec des enfants américains, et je me suis passionnée pour le groupe de musique « Grateful Dead », dit-elle. Les enfants iraniens m’en ont voulu pour cela. »
Parfois, c’était difficile d’évoluer dans ces deux mondes. Elle essayait de trouver un moyen d’établir des limites pour être indépendante tout en faisant partie de cette communauté très soudée.
La « Najeeb », ou pureté sexuelle, est importante pour les familles iraniennes, explique Soomekh. « Mais pour mes parents, le principal était de les rendre fiers. » Pourtant, elle n’était pas totalement protégée de la ‘pression étouffante’ et de l’insistance sur la réputation de la famille qui existe dans la communauté juive iranienne.
« La relation entre les parents et les enfants est très forte. C’est : ‘Nous vivons pour vous, vous vivez pour nous.’ »
Soomekh a choisi une voie jamais empruntée auparavant, et cela n’a pas été tout le temps un chemin facile à parcourir. Mais, à sa grande satisfaction, cela lui a permis, dans une certaine limite, de revenir sur ses origines.
Ses amis et ses voisins d’enfance ont peut-être été méfiants quant à la direction qu’elle avait décidée de suivre, mais ils sont maintenant impressionnés par ses contributions universitaires à la documentation et l’explication de la singularité de l’expérience juive iranienne.
« Les gens vous soutiennent une fois que vous avez du succès » dit-elle.
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